Du 18 au 23 mars, s'est tenu à Paris le Salon international du livre. Ce genre de manifestation est toujours un lieu propice pour prendre le pouls de la situation du livre : nouveautés, tendances littéraires, état de la traduction, statistiques diverses (ventes de livres, tirages moyens, afflux du public),... Pour qui aime les livres, un Salon international du livre, c'est d'abord un lieu de flânerie. On se promène parmi les stands (certains modestes et discrets, d'autres rutilants, presque ostentatoires), et on laisse son regard, son corps s'abandonner au flirt avec ces milliers d'ouvrages (en 2004, il a paru près de 50 000 livres en France, moins de 2000 en Algérie !). Vite, une sorte de vertige vous saisit, puis très vite on goûte à l'ivresse des profondeurs : nous nous faisons livre en quelque sorte et plus rien n'a de sens hormis la présence familière, obsédante et dangereuse de ces millions de feuillets imprimés, telle une forêt de champignons et où il faut éviter d'attraper une quelconque mycose, les mots comme des animaux maléfiques, diaboliques qui courent dans les allées tapissées de moquette et qui peuvent vous sauter à la gorge. Sincèrement, tout ce beau monde est pas mal ! Comme chaque année, un pays est particulièrement distingué par les organisateurs, avec ce que cela implique d'événements, de rencontres-débat et de signatures d'auteurs. Cette année, c'est la Russie qui était à l'honneur, et on a ainsi pu apprécier la production livresque et littéraire - particulièrement foisonnante - de ce pays sur un stand simulant une forêt de bouleaux sur lesquels étaient gravés les noms les plus illustres (il y en a tant !) de cette littérature : Pouchkine, Tolstoï, Dostoïevski... Sur une surface de près de 700m2, était présentés les dernières parutions, des classiques, des manuscrits rares, des ouvrages originaux, avec la présence de 40 auteurs (et pas des moindres) représentatifs de la littérature russe contemporaine. 2000 auteurs, 1200 éditeurs Malgré ce désir de célébration d'une culture étrangère, et si le Salon du livre de Paris est assurément un événement d'importance, il n'atteint pas cependant l'envergure du Salon de Francfort ou celui de Londres. Contrairement à ceux-ci qui sont des places fortes de l'édition internationale - où l'on vient négocier les droits d'auteur de best-sellers, dénicher un écrivain polonais, argentin ou américain particulièrement prometteur, vendre le meilleur de la production littéraire d'un pays...-, le Salon de Paris demeure essentiellement le lieu où se jauge l'état de santé de l'édition française. La preuve par les chiffres : d'une part, 2000 auteurs et 1200 éditeurs français, d'autre part, sur la zone internationale, 25 pays représentés pour un total de 300 éditeurs. De là, on imagine bien que la présence des uns est motivée par des raisons substantiellement différentes aux autres. Pour un petit éditeur français, il s'agit de faire connaître ses livres au public, mais aussi aux libraires, aux diffuseurs (comme au Salon de l'agriculture, un producteur met en avant le fromage ou les fruits de sa région) ; pour un éditeur moyen, il s'agit de promouvoir les nouveautés, d'affirmer une ligne éditoriale ; enfin pour les mastodontes de l'édition française (Hachette, Gallimard, Albin Michel, Actes Sud...), il s'agit de faire étalage de sa puissance, d'exhiber ses auteurs les plus importants, mais aussi de vendre beaucoup de livres. En revanche, pour les éditeurs étrangers, rien de tout cela. D'abord, ils viennent tous sous les couleurs de leur pays d'origine. d'une certaine manière, ils représentent leur nation dont ils symbolisent l'état de force, l'originalité, la vitalité du produit livresque. Celui-ci peut être dépressif ou taciturne, il peut au contraire être resplendissant d'insolence et délivrer une asticotée aux pays voisins. Le stand d'un pays étranger est donc une sorte de vitrine, tantôt brillante et attirante, tantôt terne et triste. C'est à cette aune que l'on doit juger la participation algérienne. On imagine sans peine que la présence d'un éditeur algérien n'est pas motivée par le succès de ses ventes ou la contribution d'auteurs importants. Comme le faisait justement remarquer un éditeur algérois, « les motivations de notre présence sont à chercher ailleurs ! » C'est-à-dire qu'il s'agit surtout de mesurer les progrès réalisés (dans la confection, comme dans l'élaboration de stratégies éditoriales), de maintenir le contact avec les partenaires professionnels et institutionnels, de regarder surtout ce qui se fait chez nos voisins et d'apprécier leur démarche. Ainsi, en face du stand algérien, se tenait celui de la Vallée d'Aoste, région d'Italie : ici très peu de livres, tous triés sur le volet ; l'accent est mis sur les qualités et la spécificité de cette région. Non loin, le stand libanais : 12 m2 occupés rationnellement, 2 personnes qui se relaient pour l'animation, la vente des livres ou les informations. En face du stand algérien, un bel et grand espace finement agencé : le stand marocain. Celui-ci a la particularité d'être totalement pris en charge par le ministère de la Culture marocain, qui possède donc, si l'on peut dire, « les murs » de cet aménagement et qui ensuite le réutilise à Francfort ou à Casablanca. L'Algérie ne donnait pas - il faut le dire - une image resplendissante de sa production éditoriale, une image qui n'est pas - il faut le dire aussi - conforme à la réalité, qui ne rend pas compte des efforts, des progrès, du dynamisme (certes relatif) dont elle fait preuve. Au final et au-delà des idées et des synergies à mettre en œuvre pour améliorer et rendre plus efficiente cette participation, il convient peut-être d'admettre qu'à travers ces Salons internationaux, il y a certainement plus à apprendre, à communiquer, à développer notre image qu'à tout simplement prétendre vouloir vendre des livres. Ce n'est pas une injure - non pas une épitaphe, mais une sorte de devise riche en enseignements et que nous devrions inscrire en lettres d'or - mais le signe d'une intelligence saine que de comprendre cela.