Elle reste comme une séquence peu glorieuse de l'histoire contemporaine de l'Algérie. L'emprisonnement de centaines de militants politiques, des animateurs de la société civile et des manifestants pacifiques, qui a rythmé la révolution démocratique en cours, entache le fronton de la République. Macule pour toujours le pouvoir et ses hommes qui ont abusé de leur autorité. Le recours abusif à la détention provisoire et pour de longs mois pour mater l'insurrection citoyenne aura de lourdes conséquences sur la justice qui a déjà du mal à s'émanciper. Des arrestations gangstériennes, des gardes à vue frappées d'opacité suivies de procès expéditifs, où de lourdes peines ont été prononcées. Pour venir à bout d'un mouvement populaire qui a pourtant sauvé le pays de périls certains, le pouvoir politique a fait usage de méthodes excessivement injustes. L'arbitraire a sévi et ratissé large. L'objectif étant de briser les reins d'une société qui a retrouvé son âme et son esprit combatif. La soumettre par la terreur. En ciblant des figures influentes qui ont osé défier ouvertement l'ancien chef d'état-major, Ahmed Gaïd Salah, et contesté ses «choix» politiques, le pouvoir a étalé toute sa brutalité. Au mépris des lois en vigueur, des citoyens ont été envoyés en prison au nom d'une idée éculée de la nation. Les discours officiels faisaient office d'articles juridiques sur la base desquels des juges infligent des peines d'emprisonnement absurdes. L'affaire de l'emblème amazigh restera dans les annales politiques et judiciaires du pays comme la preuve d'une dérive sans commune mesure. L'histoire retiendra que des vendeurs de pin's ont passé des mois derrière les barreaux. Des commentaires postés sur les réseaux sociaux et des pancartes brandies lors des manifestations ont valu à des personnes des séjours au sinistre pénitencier. Toutes les prisons du pays ont accueilli des citoyens dont le seul tort était d'exprimer pacifiquement des idées, des aspirations et des convictions. Septembre 2019 restera comme le mois le plus sombre. Une mécanique de la terreur a été mise en branle. Des listes circulent et ont été relayées par les nouveaux «ninjas» de Facebook comportant des noms de personnalités à arrêter. Tabbou, Boumala, Bouchachi, Belabbas, Benlarbi, Assoul y figuraient. La peur gagne leurs familles, elle s'empare des quartiers généraux des partis politiques et plombe les rédactions algéroises. Un effroyable climat s'installe dans le pays plongé dans un état d'urgence non déclaré. Les arrestations de Tabbou, Boumala, Benlarbi, Addad, Fersaoui, Laalami étaient des rapts. En franchissant le seuil de l'acceptable, les services de l'Etat envoient un message inquiétant. Celui d'agir en dehors des règles et des lois et en toute impunité. L'escalade verbale du pouvoir post-Bouteflika a ouvert les portes de l'enfer. Le discours militaire en vogue sonnait comme des déclarations de guerre et signaient les offensives à mener contre un mouvement citoyen qui a redoré le blason d'un pays abîmé. Alors que le moment commandait de la lucidité politique et de la sagesse qui siéent en pareille circonstance. En plus des dégâts politiques engendrés par cette politique de la terre brûlée, des familles entières en sortent cassées à jamais. Le martyre vécu par les enfants des détenus est irréparable. Les douleurs infligées à leurs parents sont incommensurables. De cette inqualifiable épreuve, la justice sort vaincue. Quant à l'Etat, sa crédibilité est sérieusement altérée, son image est souillée et sa grandeur est fortement ébranlée. Pour lui rendre un tant soit peu sa dignité, le locataire d'El Mouradia doit présenter – au nom de l'Etat – des excuses publiques et exprimer ses regrets. Parce que ces actes d'un autre âge ont été commis en son nom et par ses agents. Mais aussi et surtout pour prévenir ces dérives autoritaires à l'avenir. Pour que d'autres violations des droits de l'homme ne soient plus tolérées. Gouverner, c'est aussi reconnaître ces graves fautes politiques qui appellent des réparations morales à la hauteur des préjudices commis.