Récipiendaire, début décembre 2019, du Grand Prix Assia Djebar du roman en français pour son deuxième ouvrage Une Valse, la jeune auteure et maître de conférences à l'université de Boumerdès revient dans cet entretien accordé à El Watan sur son parcours et ses projets. «La grande littérature est pour moi celle qui se penche sur la question de l'âme humaine», dit-elle. – Vous êtes récipiendaire du Grand Prix Assia Djebar 2019 du roman en français pour votre deuxième ouvrage Une Valse. Pouvez-vous nous en parler davantage ? Je suis à la fois heureuse et fière d'être la première femme lauréate de ce prix pour un roman de langue française. Bien sûr, la reconnaissance de mes pairs – d'un jury composé essentiellement d'écrivains – me fait plaisir ; mais comme je le répète à tous ceux qui me posent cette question, c'est surtout le fait de voir mon nom associé à l'illustre nom d'Assia Djebar qui m'honore beaucoup. Assia Djebar était non seulement une femme aux multiples talents – elle était à la fois romancière, poète, dramaturge et historienne, mais elle était aussi une excellente ambassadrice de la littérature algérienne un peu partout dans le monde. Le prix m'a été attribué pour mon deuxième roman Une Valse, qui raconte l'histoire de Chahira Lahab, une couturière psychotique qui va sur ses quarante ans et qui, malgré un environnement incompréhensif et hostile, arrive à se qualifier en finale d'un concours de stylisme, qui se tiendra à Vienne. En attendant de pouvoir s'y rendre, elle tente d'oublier son quotidien difficile en rêvant d'une belle valse dans la capitale autrichienne – d'où le titre. C'est un hymne au courage, à l'espoir et à la vie aussi. – Vous avez écrit deux livres à caractère académique : une étude de l'œuvre d'Isabelle Eberhardt et un ouvrage collectif sur l'autorité ; comment vous êtes-vous tournée vers le roman ? Mon tout premier ouvrage, qui porte sur Isabelle Eberhardt, est original en ce sens qu'il démonte le mythe selon lequel Eberhardt est une figure subversive qui rejette tout système de pouvoir. J'y démontre en effet que cette écrivaine adhère aux codes racial et patriarcal de son époque et qu'elle ne les contourne, de façon ingénieuse, que pour tenter de satisfaire sa quête de puissance. Par exemple, j'explique qu'elle compense l'infériorité liée au fait qu'elle est femme – ou ce qui est perçu comme telle – par sa prétendue supériorité de race. Le deuxième livre est une collection d'articles qui se penchent sur la question de l'autorité, qu'elle se manifeste dans un contexte colonial, patriarcal, littéraire ou académique. Il s'interroge notamment sur le rapport entre ce concept et le discours. Certaines contributions examinent la manière dont le détenteur de l'autorité se construit discursivement comme supérieur à ses subalternes ou développe une rhétorique selon laquelle l'obéissance serait un devoir moral ou une prédisposition naturelle ; d'autres expliquent comment il est, de nos jours, fréquent de masquer l'autorité en présentant celui qui la détient comme l'égal de ceux qui la subissent, dont il adopte les manières et le langage. Je ne me suis pas tournée vers la fiction après ces deux ouvrages académiques ; j'écris depuis mon plus jeune âge, bien que mon premier roman ne soit paru qu'en 2017. J'ai commencé à l'écrire vers 2006, puis je l'ai laissé de côté pendant des années, avant de le reprendre et de me décider à le publier. Contrairement à mes ouvrages académiques, mes deux romans – Le Roman des Pôv'Cheveux et Une Valse – sont en français. L'écriture de la fiction me vient plus naturellement dans cette langue, mais il n'est pas exclu que j'écrive en anglais à l'avenir. – Quelles sont vos sources d'inspiration ? Comme je le répète souvent, je fonctionne par épiphanies ; par des sortes de révélations. Une simple chute de cheveux a inspiré mon premier roman ; un voyage à Vienne a inspiré le deuxième. Mais si l'idée de départ peut naître d'un détail plus ou moins insignifiant, elle s'appuie sur le réel pour s'enrichir. Ce réel peut être tout ce qui constitue notre quotidien, c'est-à-dire toutes nos préoccupations d'ordre sociétal ou politique, mais également tout ce qui fait la complexité de l'être humain, avec ses questionnements, ses peurs, ses aspirations et ses contradictions. La grande littérature est pour moi celle qui se penche sur la question de l'âme humaine, transcendant ainsi les frontières nationales et culturelles. – L'Algérie bouclera bientôt une année de mobilisation démocratique sans précédent. Que peuvent apporter les intellectuels pour l'avènement d'une nouvelle République ? Ils peuvent mettre leur savoir et leur esprit d'analyse au service de ce qui leur semble juste et utile. Ils peuvent, par leurs écrits et leurs interventions publiques, empêcher le peuple de se faire manipuler par des discours creux ou haineux, qui cherchent à le faire dévier de ses objectifs. Ils peuvent inviter à la réflexion et à l'échange d'idées dans le respect et l'acceptation des différences. Ils peuvent combattre les idées reçues et les raccourcis et encourager l'ouverture d'esprit. Mais surtout, ils ne doivent dire que ce qui leur semble vrai et juste, sans jamais tomber dans la complaisance. – Avez-vous un autre projet d'écriture sur lequel vous travaillez ? J'en ai plusieurs. Je viens de terminer une courte nouvelle qui, j'espère, paraîtra au courant de l'année dans un ouvrage collectif. Pour la fin de l'année, je prévois un recueil de poésie, car j'en écris aussi. Dans les mois qui viennent, je compte commencer un nouveau roman que je terminerai probablement dans deux ans ou un peu plus. Enfin, j'ai retrouvé deux contes que j'ai écrits dans ma jeunesse – quand j'avais dix-huit ans environ – et que je voudrais publier dès que je leur aurai trouvé un bon illustrateur.