Jamais les Algériens ne se seront sans doute autant interrogés sur le fonctionnement de la justice que depuis quelques mois, notamment depuis le début de cette contestation populaire pacifique qui s'apprête à boucler une année de manifestations et de marches citoyennes à travers le pays. Il y a d'abord la libération, en appel, après avoir purgé neuf mois en prison, de Louisa Hanoune qui demeure toutefois sous le coup d'une condamnation de trois ans, dont neuf mois de détention ferme. Une peine nettement moins lourde que celle de 15 années prononcée en première instance, alors que ses coaccusés devant le tribunal militaire de Blida ont vu leurs peines confirmées. S'il y a une chose qui a été d'emblée inadmissible, au-delà de «l'impénétrabilité» des voies de la justice militaire, c'est la présence de la cheffe du Parti des travailleurs dans le box du tribunal de Blida aux côtés de personnes qui avaient assumé de hautes charges au niveau de l'Etat ou de l'armée, alors qu'elle n'avait qu'une responsabilité politique, qui faisait d'elle une personnalité tout aussi politique. Mais ce qui inquiète le plus les Algériens, à juste titre d'ailleurs, c'est cet emballement de l'appareil judiciaire qui, tout au long des procès des militants du hirak, voit de simples manifestants arrêtés au cours de marches pacifiques. Un emballement qui cache mal la volonté d'un pouvoir, encore et toujours aussi autoritaire, d'instrumentaliser une justice qui a plus d'une fois eu la main lourde à l'issue de procès expéditifs de citoyens, dont le simple tort est d'avoir exprimé le rejet du système. Et par la même, la volonté de domestiquer un mouvement de contestation pacifique qui a fait preuve, depuis bientôt une année, d'une détermination à aller vers un réel changement, vers une rupture effective avec les pratiques anciennes du pouvoir basées sur le clientélisme, la division entre les Algériens et la prédation tous azimuts. Parce qu'il ne peut aller à contre-courant de cet élan populaire, le pouvoir ne cherche pas moins que d'essayer de le «mettre au pas» par le déploiement de dispositifs de sécurité d'intimidation et par le harcèlement judiciaire à l'encontre de ses principaux activistes. Une façon de faire qui, accompagnée de discours élogieux et flatteurs à l'égard du hirak, n'a d'autre objectif que d'essayer de le maintenir à un certain niveau de tolérance. Malheureusement, dans cette manière de souffler le chaud et le froid, le pouvoir n'arrive pas à admettre qu'il ne peut pas aller très loin tant qu'il n'aura pas reconnu le caractère incontournable du hirak, y compris dans la recherche d'une issue à la crise politique dans laquelle deux décennies de «bouteflikisme» ont plongé le pays.