Visiblement les scandales qui ont éclaboussé le secteur de l'Energie et qui ont fait couler beaucoup d'encre ne sont, en réalité, que l'arbre qui cache la forêt. Depuis le départ de l'ancien ministre Chakib Khelil, les langues commencent à se délier pour lever le voile sur une gestion des deniers publics plus que douteuse. Ainsi, des cadres de l'Agence nationale de la géologie et du contrôle minier (Angcm) ont dénoncé les conditions dans lesquelles a été donné le marché de réalisation de 16 cartes géologiques (reparties en trois lots de 1/200 000e et 1/500 000e), d'un montant de 500 millions de dinars, bloqué après le départ de Chakib Khelil et à cause duquel, quelques-uns de leurs collègues ont été relevés de leur poste pour « avoir dit la vérité ». Ces derniers ont subi les foudres de leur tutelle, juste parce qu'ils se sont posé des questions sur les motifs d'une dépense de 500 millions de dinars en prestation d'études externes « pour un résultat attendu très controversé et sans grande utilité immédiate » qui aurait pu être réalisée par des compétences nationales pour un coût, de loin, moins important. Ils se sont interrogés sur le fait d'avoir signé un contrat de gré à gré d'un montant de 26 millions de dinars avec un bureau sud-africain au moment où la commission d'évaluation des offres de l'agence siégeait pour étudier les dossiers des soumissionnaires. En fait, tout a commencé en décembre 2006, lorsque la décision de retenir l'élaboration des cartes et la définition des échelles des cartes (confirmée trois ans plus tard par arrêté ministériel) a été prise à l'issue d'une réunion consacrée au plan national de cartographie géographique et qui a regroupé tous les représentants des différentes agences concernées ainsi que les responsables du ministère de l'Energie. Dans une première phase, il a été retenu la réalisation de 16 cartes géologiques regroupées en 6 lots, puis réduits, en 2009, à 3 lots (2 pour le Nord et un pour le Sud. Une action inscrite dans le plan d'action de 2008, pour un montant initial de 290 millions de dinars. Pour avoir les plus larges propositions de réalisation, un avis d'appel d'offres national et international a été retenu. Le 30 juin 2008, un projet de cahier des charges a été distribué aux membres du CA (conseil d'administration) de l'agence qui ont tenu plusieurs réunions entre juillet et septembre 2008, pour en débattre. En octobre 2008, lors d'une réunion des cadres dirigeants de l'ANgcm et alors que le plan de cartographie n'avait même pas été adopté par les membres du CA de l'agence, il est annoncé l'option de recourir à un bureau d'études étranger, et ce, avant même que l'avis d'appel d'offres ne soit lancé. Les compétences nationales sont de fait totalement exclues du marché, alors que la réalisation des cartes géologiques est une activité permanente d'intérêt public qui permet de mettre en valeur les efforts de recherche des universités algériennes dans le domaine des sciences de la terre, tel que défini d'ailleurs par l'article 1 de la loi minière et qui précise : « Le service géologique procède à la réalisation des cartes géologiques par ses propres moyens et doit privilégier les compétences nationale en la matière. » En réalité, depuis sa création en 2005, l'Angcm a donné la majorité des marchés des cartes à l'Office national de recherche géologique et minière (Orgm). « Tout a été fait pour que ces marchés n'aboutissent pas, pour justement privilégier des bureaux étrangers dans un domaine censé être stratégique et sensible qui relève de la souveraineté nationale », révèlent nos sources. Le 10 novembre 2008, la 4e version du cahier des charges est approuvée par le CA, qui apporte de nombreuses corrections. Le 15 avril 2009, les membres de cet organe reçoivent le secrétaire général de l'agence qui leur rend compte de la réunion tenue avec la Commission nationale des marchés publics. Celle-ci s'est réunie le 12 juillet 2008 et a approuvé le cahier des charges, dont la copie n'a pas été transmise à ses auteurs. Une version différente de l'original : « Regroupement des cartes en lots de très grande taille qui exclut de fait les organismes nationaux. » Un marché qui passe de 29 millions de dinars à 500 millions de dinars Initialement, l'Angcm a évalué le budget consacré à ce marché à 289 millions de dinars. Un montant, qu'avait approuvé le CA, qui a fait l'objet d'un écrit au ministre de l'Energie et qui a été porté sur la décision d'approbation de la Commission nationale des marchés. Mais après l'ouverture des plis des différents soumissionnaires et après les évaluations techniques et financières par la commission compétente, ce montant a été revu pour atteindre 500 millions de dinars. L'écart financier n'est même pas justifié ou expliqué aux organes dirigeants de l'agence. « Seul le lot 3 et à la demande du ministre de l'Energie a fait l'objet d'un échange de courriers entre les différents responsables, dont ceux de l'agence et de la Commission nationale des marchés. L'importance des écarts financiers, y compris pour les autres lots, doit vraiment requérir l'attention des plus hautes autorités, notamment pour les suites à donner au projet », déclare-t-on. Le 12 août 2009, un arrêté interministériel définit les échelles des cartes géologiques régulières, des cartes géophysiques et géochimiques régionales. Le 15 septembre, une lettre d'information, accompagnée d'une note, est adressée à Chakib Khelil par le président du CA et remise aux membres, avec une annotation du ministre. Le 27 septembre, l'avis d'appel d'offres est lancé par voie de presse, mais l'ouverture des plis prévue publiquement le 8 novembre a été reportée au 25 novembre 2009. Le 6 décembre, le président du CA signe un contrat de gré à gré avec CGS, une société sud-africaine, pour la réalisation de la deuxième phase de l'étude d'appui du service géologique national (SGN), pour un lot de cartes géologiques, objet de l'avis d'appel d'offres. Les cadres qui ont osé dénoncer ce marché, ont vite été taxés d'éléments qui bloquent le fonctionnement de l'agence. En fait, les révélations de ces cadres sont très graves et mettent la lumière sur de lourdes anomalies au niveau de toute la procédure qui a accompagné ce marché, mais également l'exclusion des organes de gestion et de contrôle interne de l'agence, de la prise de décision. Nos interlocuteurs citent, document à l'appui, quelques cas de violation de la réglementation des marchés, à travers des dispositions d'un cahier des charges non approuvé par le CA. « Il est bien défini par la Commission nationale des marchés publics que les plis financiers et techniques doivent être ouverts simultanément, avec un deuxième examen des offres financières dans une seconde phase. Or, cela n' a pas été le cas, puisque dès l'ouverture des plis, les montants financiers ont été publiés et de ce fait, la commission d'évaluation technique était déjà au courant des offres financières avant même celles techniques. Le cahier des charges tel que présenté au CA a été modifié sans l'aval de ce dernier. Réduction des lots, modification des critères de notation laissant l'initiative à la commission d'évaluation, l'introduction du caractère restreint, contradiction entre les articles, etc. sont les plus grandes anomalies qui entachent le cahier des charges adopté en violation des procédures de forme », révèlent nos interlocuteurs. Ils s'interrogent sur le fait que « au moment où la commission d'évaluation des offres techniques examinait les dossiers, les représentants de CGCS, société sud-africaine, soumissionnaire, signaient dans les bureaux de l'Angcm un contrat de gré à gré d'un montant de 26 millions de dinars, destiné à la deuxième phase d'étude d'appui à la mise en place SGN (système de géologie national), objet de l'avis d'appel d'offres ». Un cadre soulève d'autres interrogations. Il s'est demandé : « Pourquoi le président du CA avait, au début du mois de janvier 2010, saisi par écrit le président de la Commission nationale des marchés publics pour lui proposer le choix du soumissionnaire du lot ? » Il précise que ce n'est que le 18 janvier 2010 et après insistance d'un membre du CA, que ce responsable a fini par diffuser la directive présidentielle n°3 relative au respect des procédures en matière de marchés publics. Son collègue abonde dans le même sens et affirme que le 22 février 2010, le directeur général des mines a informé le président du CA sur la démarche proposée pour le choix du soumissionnaire du lot 3, dont une copie a été adressée au ministre de l'Energie le 17 février. « Ce qui prouve que le choix était déjà fait et ce n'est qu'en début du mois de mars que le président du CA a soumis aux membres de son instance le choix relatif au soumissionnaire à retenir », note notre interlocuteur. Deux membres contestent et dénoncent cette situation. Ils font l'objet d'une lettre de dénonciation écrite au ministre de l'Energie. La contestation gagne le terrain et l'Inspection générale convoque les dénonciateurs qu'elle entend. L'un d'eux se voit notifier une mise de fin de fonction une semaine plus tard en sa qualité de membre du CA. La direction de ladite agence est restée imperméable à nos demandes d'entretien.