Quatre militaires tués lors d'une attaque dans les monts de Sidi Ali Bounab (Tizi Ouzou) : mercredi dernier, les terroristes ont encore frappé, comme presque toutes les semaines depuis le mois de juin. Comme presque tous les étés... El Watan Week-end a rencontré des experts de la lutte antiterroriste. La donne change. Voici ce qu'il faut savoir pour comprendre la stratégie des maquis. La région centre : L' arrière base logistique Comment les armes sont-elles acheminées dans les maquis du nord ? Par les portes du Sahara, qui servent de dépôt aux armes des terroristes. Jadis zone d'influence des trafiquants, Biskra, Tadjnant, El Oued, etc., cette région connue pour ses marchés d'armes est aussi un passage obligé des trafiquants de drogues et des contrebandiers. Elle est partagée en deux zones : l'axe El Bayadh-Djelfa-M'sila (Centre-Ouest), et l'axe El Oued-Biskra-Oum Bouaghi-Tébessa (Nord-Est) où une dangereuse phalange, katibat El Ahoual, active dans les Nememchas, entre les wilayas de Tébessa et de Khenchela, où elle assure la protection des contrebandiers. Le premier axe s'occupe principalement de l'acheminement des armes dans la région centre, en premier lieu la Kabylie, via Bouira, et dans un degré moindre l'ouest du pays. Le deuxième axe se concentre sur l'acheminement des armes aux maquis du nord-est du pays. En juin dernier, les forces combinées ont démantelé à El Oued un groupe de soutien aux terroristes utilisant des chameaux spécialisés dans l'acheminement des armes, mais aussi des produits explosifs, notamment du phosphate de la Tunisie à travers Tébessa au profit de la katibat Feth el Moubine, devenue l'une des katibat les plus actives. Les premiers éléments de l'enquête indiquent que les groupes terroristes possèdent des troupeaux de chameaux. Katibat Feth el Moubine est soutenue par la très dangereuse katibat El Maout (la mort), dirigée par l'émir Mehira Ali alias Abou Raouaha. Cette même katibat est derrière la tentative d'assassinat du président Bouteflika à Batna. Mais attention : cela ne veut pas dire que les deux axes n'échangent et ne partagent pas les tâches ou que l'une ne fournit pas d'armes à l'autre. Tout dépend de la capacité de ces groupes à forcer le dispositif sécuritaire. Ces points de contrôle spéciaux ont été mis en place dans ces régions. Cette arrière- zone pourvoyeuse d'armes et de munitions représente le point culminant de la résistance des groupes terroristes, et donc, le point nodal de la lutte antiterroriste. Comme au Sahel, les contrebandiers aident les terroristes, en utilisant leurs connaissances et par la corruption. Ce qui complique encore plus la mission de l'armée. Pourquoi parle-t-on de plus en plus de M'sila ? Il semblerait qu'une dissidence au sein du GSPC a conduit une phalange plus radicale à s'installer à M'sila, nouveau centre de liaison entre le Nord et le Sud. Aujourd'hui, l'essentiel de l'acheminement des armes passe par sa zone d'influence, vers les maquis du nord-est et vers ceux de la Kabylie. Une des katibat les plus impliquées : katibat El Forqane. Installée dans les Bibans, elle sème la terreur jusqu'à M'sila. La région centraliserait également les « commandes » des phalanges du Nord et les communications avec les groupes du Sahel. Problème : cette région, peu habitée, est difficile à quadriller pour l'Armée, en raison de son relief, et à même à surveiller par des moyens aériens en raison de la nature du sol. En juin dernier, la gendarmerie a démantelé un groupe de soutien au terrorisme composé de cinq éléments, des maquignons se déplaçaient entre les wilayas de Biskra, M'sila et Djelfa et travaillaient pour le compte de katibat El Mouhajirine, dirigée par Mokhtar Taibaoui, installée dans les maquis de Djebel Boukhil à Aïn Errich dans l'extrême sud de la wilaya de M'sila. Depuis quelque temps, une autre katibat fait de plus en plus parler d'elle : katibat Echouhada. Basée dans les maquis de Skikda, ses activités s'étendent jusqu'à Jijel, Bord Bou Arréridj, Sétif, jusqu'à Annaba. Les terroristes de cette katibat menacent les propriétaire des sablières entre Mechat et Oued Ezzehour et obligent les pilleurs de sable à verser des fedia, sorte d'impôts sur les revenus. La région nord : Le commandement politique Où se trouve le commandement général et opérationnel ? En Kabylie. Avant-garde des groupes terroristes, la région kabyle en particulier est le fief et le point de départ des terroristes, notamment pour l'exécution d'attentats terroristes dans la capitale. Cette région contient l'une des phalanges les plus meurtrières katibat El Ansar, spécialisée dans les rapts, les kidnappings, les attentats ciblant les casernes et les postes de police, afin de récupérer les munitions et les armes. Depuis l'intensification, les frappes de l'armée et la sophistication des moyens de lutte, ces cellules auraient plus de mal à communiquer entre elles, en particulier depuis avril 2009. Face à cette situation, les terroristes ont adopté une nouvelle stratégie : les phalanges sont devenues totalement autonomes. Elles se sont redéployées : les casemates ne sont plus les mêmes, elles se sont rapprochées des villes (ce qui rend la lutte plus difficile, car l'armée ne peut pas frapper les zones habitées). Par ailleurs, chacune des phalanges assure son autofinancement, ainsi que l'initiative des attaques. Pourquoi les terroristes frappent-ils davantage l'été ? D'abord parce que sur la côte, leurs déplacements deviennent plus faciles. Avec l'affluence des estivants, l'augmentation du trafic routier, les terroristes peuvent sortir du maquis et se fondre dans la foule. D'où l'augmentation des attaques et des rapts. D'autant qu'ils effacent tous les signes qui pourraient renseigner sur leur appartenance – barbe, kamis… Ensuite, c'est pendant l'été qu'ils peuvent se réapprovisionner en armes. Les températures pouvant atteindre plus de 56°C dans certaines zones du Sud compliquent la lutte, d'autant que l'emplacement exact des « aires » terroristes reste inconnues. Pour l'armée, impossible d'envoyer autant de troupes qu'en hiver. Reste la surveillance aérienne. Mais là encore, la chaleur est telle qu'elle compromet le fonctionnement du matériel. Profitant du nombre moins important de ratissages, les terroristes profitent de la situation pour acheminer leur matériel (téléphones satellitaires, armes, jumelles, munitions…). Un risque qu'ils n'hésitent pas à prendre même s'ils enregistrent des pertes humaines importantes : certains convoyeurs sont retrouvés en décomposition sur les routes de la contrebande avec leur cargaison. Une simple panne, par cette chaleur, peut suffire à les condamner. Pendant ce temps, les forces de sécurité se concentrent au Nord pour assurer la sécurité des citoyens, notamment à Alger (où un plan spécial est établi chaque saison estivale), mais aussi Boumerdès, Tizi Ouzou, Bouira, Béjaïa, Jijel, Bordj Bou Arréridj, Sétif, Skikda… et dans un moindre degré, Oran, Annaba, Constantine… Les attaques terroristes sont-elles toujours des représailles aux actions de l'armée ? Oui et non. Au sein de l'organisation, il y a un mot d'ordre : dès une attaque de l'armée, il est demandé aux chefs d'organiser une réplique. Mais ce n'est pas toujours exécuté, d'autant que les phalanges fonctionnent de manière autonome. Parfois, ils n'ont, par exemple, pas le financement nécessaire. Les attaques sont plutôt organisées en fonction de leurs besoins opérationnels. Surtout en ce moment : ils s'attaquent aux casernes pour combler leur manque de munitions. Dernièrement, un groupe terroriste appréhendé dans la région de Draâ El Mizan par les forces combinées a démontré que les groupes terroristes manquent d'armes : les kalachnikovs et les autres armes trouvées chez les terroristes étaient vides de munitions. Toujours à Draâ El Mizan et à Boumerdès, deux habitants se sont vu subtiliser leur arme par un groupe terroriste. La région sud : Approvisionnement et relations internationales Existe-t-il un lien entre le terrorisme au Sahel et les maquis du Nord ? Sans la région sud, les maquis du Nord n'existeraient pas. Et inversement. A la frontière de plusieurs Etats du Sahel, cette zone constitue la priorité aujourd'hui pour les services de sécurité, car c'est là qu'est acheminé le gros des armes vers les maquis du Nord. Les groupes, qui seraient réunis sous la direction d'un seul émir, également l'émir du GSPC, Abdelmalek Droukdel alias Abou Mosaâb Abdel Wadoud, travaillent avec la complicité des contrebandiers et autres trafiquants nombreux dans la région. Cette zone demeure la base de subsistance de la région nord, d'autant que c'est une plateforme de trafic de tout le Sahel (un nom attribué par les médias à la région, mais qui, pour l'armée, ne correspond à aucune réalité). Les connexions entre les marchands d'armes, les contrebandiers et les terroristes ne font plus aucun doute. A côté des groupes, il existe des phalanges installées au Mali, au Niger, en Algérie, en Mauritanie, qui abritent aussi des camps d'entraînement. Ces phalanges recrutent des djihadistes dans tout le Sahel (d'où la présence d'éléments de diverses nationalités capturés ou tués par les forces de l'ordre) et nouent des relations avec les autres mouvements djihadistes : Somalie, Yémen, Tchad… et les réseaux mafieux internationaux. Que se passe-t-il à Alger ? La capitale n'est que le « bras » exécutif du commandement en Kabylie. Il s'agit de la seriat El Feth (voir encadré). Dépendante de la katibat El Farouk, elle travaille également pour les autres katibat : Al Ansar et El Arqem notamment. Ses réseaux de soutien se concentrent dans la région est. Un vrai défi pour le dispositif de lutte antiterroriste, car ces réseaux n'ont aucun lien direct avec les terroristes : l'argent passe par une multitude d'intermédiaire. Point important : c'est à Alger que s'effectue, principalement en hiver, le recrutement pour la Kabylie. De fortes suspicions pèsent sur certaines mosquées et certaines halaqat. En été, ils sont prêts à intégrer les maquis, une opération rendue plus facile du fait que les casemates se sont rapprochées des villes. Alger est aussi le centre de communication et de propagande d'où sont distribués les films subversifs et les fetwas djihadistes faisant l'apologie du terrorisme pour les autres groupes répartis notamment dans la région nord-est. En juin dernier, les éléments de la Sûreté nationale, postés dans les points de contrôle de la capitale, ont été destinataires d'une liste accompagnée de photographies de présumés terroristes activant dans la région est d'Alger. ------------------------------------------------------------------------ Les terroristes sans fetwa ? Des informations faisant état de l'absence d'un guide religieux en mesure de « souder les rangs » et de proférer des fetwas à même d'encourager les troupes dans leur « combat », ont été confirmées par des terroristes capturés ou qui se sont récemment rendus. Les chefs terroristes auraient donc modifié leur stratégie en multipliant les attaques contre les casernes, histoire d'occuper les éléments hésitants. Si ces derniers refusent, les émirs n'hésiteraient pas à les exécuter pour leur « khiana » (traîtrise).