Le spectre qui hante le plus nos dirigeants et nos citoyens – en dehors du coronavirus – s'appelle le marché international des hydrocarbures. Nous n'avons aucune influence sur lui. Mais lui peut nous créer des problèmes désastreux. Le rempart entre nous et un grand chaos économique s'appelle les réserves qui aux dernières statistiques se rapprochent de 62 milliards de dollars. Si la chute vertigineuse des prix pétroliers continue son bonhomme de chemin, à la fin de 2022, nous devrions trouver rapidement des sources importantes de financement extérieur pour pallier l'insuffisance de ressources financières. Si les marchés des hydrocarbures restent déprimés, nous devrions puiser entre 20 à 25 milliards de dollars des réserves pour terminer chaque année sans subir des pénuries de produits finis et de matières premières de tout genre. Depuis plus de cinq décennies, tous les gouvernements qui se sont succédé ont toujours promis de mettre en place des programmes d'action qui iraient nous libérer progressivement de la dépendance des hydrocarbures. Et pour de nombreuses raisons, à chaque fois le pays s'enfonce davantage dans la dépendance. Certes, il est fort probable que cette fois-ci la situation soit très fortement exacerbée par l'épidémie du Coronavirus. Quelques mois peuvent suffire à éradiquer ce mal, selon certains spécialistes en médecine. Mais la situation peut durer beaucoup plus. L'incertitude est totale. Mais encore une fois de plus, on est placés dans une situation défensive qui nous rappelle que très peu a été fait pour redresser la situation. Nous avions une occasion en or qu'on a dilapidée les dernières années avec des ressources énormes, en grande partie parties en fumée, en corruption, restes à réaliser, malfaçons ; et une infime proportion en réalisation d'infrastructures. L'économie est aussi dépendante des hydrocarbures aujourd'hui qu'il y a quarante ans. Les problèmes structurels Depuis des décennies on fait des diagnostics superficiels qui se trompent de causes et donc de schémas thérapeutiques. Pourquoi est-on encore dépendant des hydrocarbures ? Les réponses généralement sont du genre parce que nous n'avons pas financé l'économie productive et nous avons créé une économie de distribution de la rente. Or, c'est plus profond que cela. La première cause est politique. Nous avons deux types d'Etat. Il y a ceux qui se sont structurés pour accéder au développement et à l'émergence. On connaît alors les politiques économiques qu'ils mènent et on sait comment développer les facteurs-clés de succès. On se souvient de la Corée du Sud au début des années 60' qui avait de grands problèmes de malnutrition, mais orientait ses ressources vers une éducation de qualité (pas de quantité), le développement de la science et la technologue dans tous les domaines et leur mise en application sur terrain. La seconde approche est celle d'un pouvoir politique, dont l'économie ne serait qu'un moyen pour pérenniser son règne le plus longtemps possible. Nous avons toujours fait partie du second lot et l'économie a toujours été un moyen de faire durer les gouvernements en place. L'émergence et le développement ont souvent été un facteur secondaire. Ceci explique l'ampleur de la corruption, des malversations et la gabegie des Etats du tiers-monde qui optent pour la seconde orientation. Et nous en avons toujours fait partie. Le second facteur qui explique de tout temps les échecs de construction d'une économie de marché productive et diversifiée demeure notre incapacité à la construire, à la concevoir et à l'ériger. La cause essentielle demeure l'intrusion du politique dans l'économie. Puisque cette dernière n'est qu'un instrument de pérennisation du pouvoir, elle doit être soumise au diktat de la politique. Elle n'a pas d'autonomie réelle malgré les multitudes de textes qui la prônent. Les Etats qui optent pour l'émergence au lieu de la pérennisation de pouvoir donnent beaucoup d'autorité aux scientifiques et aux techniciens pour décider sur le choix des hommes et des femmes, l'orientation des ressources, les stratégies sectorielles, les politiques macroéconomiques et le reste. Les politiques fixent les grandes orientations politiques et contrôlent. Il y a une fine répartition des tâches entre la sphère politique et les scientifiques. Cette distinction ne se retrouve pas dans les Etats mal structurés pour produire de l'efficacité. C'est cette confusion qui provoque l'essentiel des problèmes qui empêchent l'économie d'être performante. Pouvons-nous nous en sortir ? La grande problématique de notre dépendance réside dans le fait que nous avons un appareil économique et social qui détruit de la richesse au lieu d'en créer. Il lui faut toujours consommer plus de ressources qu'il n'en reçoit. Considérons un fait que la plupart de nos analystes ont mis de côté. Nous espérons faire croître notre économie de 1,8% en 2020, alors que le taux de croissance de la population serait de 2% au moins. Donc, on prévoit une légère baisse du niveau de vie de la population. On compare ce taux à des pays comme la Malaisie ou la Corée du Sud qui arrivent à des taux supérieurs à 5%. Mais notre économie tire de ses réserves à peu près 12% du PIB (production du pays) pour les injecter dans l'appareil économique. Ces pays n'injectent pas des ressources non produites par l'économie. Ils ne puisent pas de leurs réserves. Ils créent plus de 5% des richesses à partir de leur économie productive. Nous injectons 12% au moins pour en tirer un maigre 1,8%. Ceci est un signe que notre appareil économique et social détruit des richesses au lieu d'en créer. Il nous faut prendre la mesure de la gravité des problèmes qui secouent notre pays pour en tirer les conclusions réelles. Le gouvernement a conçu un programme d'action pour redresser la situation. Faut-il en conclure que ces problèmes graves vont connaître des dénouements heureux ? Il y a bien des aspects positifs dans ce programme, comme la priorisation de l'économie numérique, l'importance accordée à l'éducation, la modernisation de la fiscalité et l'aide aux personnes les plus vulnérables. Nous ne pouvons citer toutes les avancées dans ce contexte. Mais ces retouches seraient efficaces dans une économie fiable qui a des problèmes superficiels. Nous n'avons pas une grippe. Nous avons un cancer du second degré guérissable mais avec une thérapie de choc. En jargon technique, nous avons besoin d'une réingénierie globale. Or, nous avons un schéma thérapeutique pour une grippe bénigne. Je prendrais un seul exemple : celui d'améliorer le fonctionnement de nos administrations pour régler les problèmes des citoyens. Pour arriver à cela, il faut du sang neuf, une administration gérée par des contrats de performance et des objectifs comme les entreprises économiques, toute une multitude de sociétés spécialisées en management administratif, une décentralisation des ressources ; bref, toute une technologie sociale de modernisation que l'on ne voit pas venir. Je pourrais prendre tous les secteurs et conclure la même chose. Certes, ce plan global a le mérite d'exister et nous éviter le vide avec lequel on a vécu plusieurs mois. Mais il est loin d'être la solution à nos problèmes et encore trop loin pour faire de l'Algérie un pays émergent.
Par Abdelhak Lamiri , PH. D. en sciences de gestion