Les villes de tous les pays sont pratiquement assiégées de bidonvilles qui font partie d'un décor sinistre. Un cancer pour le monde urbain. A Alger, ce phénomène s'est accentué notamment pendant les années de terrorisme. Non encore endigué, ce phénomène s'inscrit parmi les grandes sources du malaise social de la ville et de sa gouvernance, a indiqué le sociologue Icheboudene. Spécialiste de la sociologie urbaine à l'Université d'Alger, Larbi Icheboudene estime que la ville, par son ampleur, ne se gère plus, elle se gouverne. « Cela signifie implication et participation des acteurs de la Cité afin de mieux vivre la ville », considère-t-il. Nombre de bidonvilles quadrillent la capitale, ainsi que d'autres villes du pays. La situation est symptomatique d'un malaise social criant. Qu'est-ce qui est à l'origine de ce phénomène ? Dans leur histoire, les bidonvilles, ces excroissances des pathologies urbaines, résultent souvent des exodes ruraux de populations pour lesquelles la ville n'est quasiment jamais préparée. Parmi les effets, il y a un surplus de populations qu'une ville subit en les admettant, mais elle ne les intègre pas. Il s'agit souvent de populations déracinées ayant pour destinations les seules périphéries, ces espaces confins et pauvres, susceptibles de les recevoir et leur permettre une première installation dite « provisoire », mais qui va s'inscrire dans la durée ; souvent des décennies. Ce phénomène a touché quasiment toutes les villes capitales, qui, sous une forme ou une autre, avaient leurs bidonvilles. A titre d'exemples, les capitales comme Alger ou Casablanca, Paris et son bidonville de Nanterre des années 50-60, ou les capitales d'Amérique latine avec leurs célèbres favelas, avaient toutes des bidonvilles réputés et qualifiés de cancer pour le monde urbain. Alger reste l'une des villes les plus « peuplées » de bidonvilles ? A propos d'Alger, je me dois de vous rappeler qu'il n'y avait pas de bidonvilles dans l'Alger précolonial. Les populations rurales et urbaines vivaient chacune dans leurs mondes et leurs cadres sociologiques propres, où adossée à un système social traditionnel rigide, la totalité solidaire était avérée. Il faudra attendre les années 1920 pour que les bidonvilles voient le jour dans la ville d'Alger. C'est à la suite de la dépossession des terres, des crises politiques du XIXe siècle, de la désorganisation de l'économie rurale, devenue coloniale, et enfin des famines vécues comme des fatalités que les populations seront déracinées et vivront des mouvements d'exodes et « ruées » vers les villes du pays, villes où elles ne seront jamais admises. Des terrains de faible valeur foncière, en tout cas loin de la civilisation urbaine, contribueront aux implantations de quelques téméraires qui serviront de main-d'œuvre bon marché. Bien plus tard, d'autres événements seront à l'origine, soit d'apparition, soit de développement des espaces devenus bidonvilles. Outre les exodes liés aux effets de déstructurations sociales, de dépossessions et des nouvelles formes juridiques de propriété des terres, à l'origine de nombreuses crises politiques, il est important de signaler que le plus grand exode est celui de la guerre de Libération nationale, suivi de la période de l'après-indépendance. Enfin, signalons aussi celui dit de la décennie noire, qui a drainé une population vers les villes supposées à l'abri. Quelles en sont les conséquences aux plans social, économique et sociologique du phénomène de « bidonvillisation » de nos villes ? Adossé à une crise de logement quasi endémique, dont la durée forge cette impression d'être parfois entretenue, le phénomène bidonville, non encore endigué, s'inscrit parmi les grandes sources du malaise social de la ville et de sa gouvernance. En effet, l'urbanisation rapide, qualifiée parfois d'anarchique et la non-maîtrise des outils de planification révèlent les nombreuses difficultés d'un développement urbain harmonieux. Avec de telles tares et la multiplicité des demandes sociales et les besoins des populations, on ne peut pas prétendre à un bilan de satisfecit quant à la gestion des questions urbaines. Cependant, il est utile de signaler que les opérations de relogement lancées par les institutions de l'Etat sont du plus grand effet quant à l'éradication progressive des bidonvilles dans l'agglomération algéroise. Pourquoi, d'après vous, les pouvoirs publics semblent avoir tant de mal à éradiquer ces sites de plus en plus nombreux ? En fait, nos grandes agglomérations et leurs populations subissent doublement la question de l'habitat. Elles sont de fait sommées de répondre aux besoins de logements afin d'atténuer les effets de la crise et, dans le même temps, éradiquer les bidonvilles par des opérations de relogement. Je vous rappelle que la crise du logement reste encore une réalité dans nos grandes villes. Elle est aussi permanente dans le discours populaire que dans les priorités des besoins des familles. C'est pourquoi les secteurs concernés ne manquent pas de lancer de nombreux programmes de logements. Ces derniers, réalisés sous diverses formules (LSP, AADL…), sont destinés aux différentes catégories de populations. Les programmes dits de logement social bénéficient aussi au relogement des populations de bidonvilles. Il est important de rappeler qu'il s'agit-là de nouvelles solutions et de biens louables initiatives soutenues par l'Etat. Il est tout aussi important d'insister sur un fait très important, parfois à l'origine de quelques couacs enregistrés dans les opérations de relogement. Il s'agit du fameux logement F2, cette menterie d'habitat destinée aux ménages. En effet, ce serait faire de la négation sociologique de la famille algérienne pour qui connaît les caractéristiques de cette dernière. C'est à s'interroger sur le bon sens de certains concepteurs quant à l'idée qu'ils se font de la taille des ménages et son évolution même récente. La consultation des dernières données statistiques (RGPH 2008), contenues dans les documents statistiques de l'ONS, suffit pour que le simple bon sens dicte l'exclusion des habitations de type F2 dans les programmes de logements collectifs publics. Quant au bidonville, entretenir sa présence c'est le rendre pérenne. Mais l'éradiquer, c'est en finir ! Pour cela, l'important serait d'en éliminer les causes pendant que les opérations de relogement se poursuivent. Ce qui est une tâche de longue haleine pour la politique publique de la ville. Ces derniers temps, le constat est un début de soulagement grâce aux effets d'une politique publique qui s'exprime à travers des actions dont l'objectif est l'éradication effective des bidonvilles. Ces opérations de relogement sont un signe considérable exprimant l'attitude positive vis-à-vis des citoyens qui souffraient dans ces « habitats » qui n'en sont pas. Par ces opérations de relogement, il s'agira de salubrité et de promotion pour les bénéficiaires. Même les quartiers concernés bénéficieront d'une certaine dédensification de leurs espaces jusque-là squattés. Les bidonvilles sont-ils finalement une fatalité ? Bidonville, fatalité ? Pas du tout ! On doit mesurer la portée de certains dont il faut se méfier. Il n'est point de fatalité s'agissant de bidonville. Si ce dernier fait partie des héritages récents, liés à la rupture historique, le bidonville n'en demeure pas moins une problématique des réalités urbaines actuelles. Très rapidement, le bidonville hérité de la période coloniale n'a pas encore disparu de nos grandes villes. Si dans les années 1970 la question du logement était secondaire pour les décideurs, on connaît les effets d'une telle inconséquence. A présent que la société algérienne vit dans sa grande majorité dans les villes, il nous semble primordial de souligner que c'est toute la question urbaine qui s'impose, avec la variété et la complexité de ses problématiques actuelles. Car les problèmes sociaux urbains ne sont que les effets et conséquences de certaines formes de gouvernance. De nos jours, par son ampleur, la ville ne se gère plus, elle se gouverne. Cela signifie implication et participation des acteurs de la Cité afin de mieux vivre la ville.