Le délicat et non moins compliqué processus de dépistage du coronavirus circule du côté de l'université Ferhat Abbas de Sétif I où de nombreuses voix s'élèvent contre le lancement hasardeux d'un processus nécessitant, disent-ils, des mesures de précaution draconiennes, des kits, des réactifs et l'aval des hautes autorités sanitaires du pays. Cachant de nombreux non-dits, le sujet cache beaucoup de choses. Une partie préfère les chemins sinueux, l'autre joue carte sur table. S'intéressant de près à la question de la question, la pandémie faisant des ravages ici et là, El watan Etudiant va à la rencontre des intéressés. Très bien placé pour en parler, le professeur Slimane Laouamri – doyen de la faculté de médecine et chef de service d'épidémiologie au centre hospito-universitaire (CHU) Saadna Abdenour de Sétif dit en substance : «Contrairement au laboratoire de pharmacie galénique, le laboratoire cardio-vasculaire d'origine génétique et nutritionnelle est une structure de recherche. Le labo, qui vient d'être rattaché à la faculté, dépendait du rectorat. Il ne faut pas confondre entre le diagnostic et le dépistage de masse qui relève des autorités sanitaires du pays. Une opération aussi complexe exige, non seulement des conditions matérielles, mais la validation des experts du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique et de l'Institut Pasteur. Dans de telles structures, aucune faute n'est permise. Avant son lancement, le projet doit être discuté et validé par toutes les équipes du laboratoire, puis soumis au doyen de la faculté et au recteur de l'UFAS. Pour le moment, les premiers responsables de l'université n'ont pas été consultés ou informés», souligne le premier responsable de la faculté qui a transformé le laboratoire de pharmacie galénique en semi-unité industrielle ayant produit plus de 28 000 flacons de gel hydro alcoolique, distribués gratuitement aux soignants de nombreuses structures de la wilaya de Sétif et du centre du pays. Rappelons que l'UFAS, qui avait produit des valves pour casques Décathlon, à la demande du service de réanimation du CHU d'Ain Fouara, réédite l'expérience avec des hôpitaux de Béjaïa, Bordj Bou Arréridj, Ain Oulmene et Ain Azel qui devraient, en outre, bénéficier d'un lot des 10 000 visières de protection fabriquées par des enseignants et fonctionnaires mobilisés dans la lutte contre la pandémie. Le laboratoire des maladies cardio-vasculaires, un «enjeu» Pour revenir à notre sujet, les chercheurs ou plutôt les chercheuses qui ont accepté de répondre à El Watan Etudiant, mettent en garde et estiment que les conditions ne sont pas réunies. Cheffe de service de cardiologie au CHU, la professeure Khaira Boussouf, principale initiatrice du laboratoire objet à grands enjeux, est catégorique : «Le laboratoire des maladies cardiovasculaires génétiques et nutritionnelles (LMCVGN) est le seul laboratoire des maladies cardiovasculaire en Algérie. Vu que cette pathologie est la première cause de mortalité en Algérie et dans le monde, la Direction générale de la recherche scientifiques et du développement technologiques (DGRDST) a tenu à nous accompagner. Elle nous délivre l'agrément en 2014 et une enveloppe assez conséquente. Ce qui a permis d'acquérir l'un des meilleurs équipements en génétique et nutrition et incité plusieurs laboratoires nationaux et internationaux à nouer des collaborations. Malheureusement, jusqu'à aujourd'hui, aucune étude génétique n'a été réalisée. Grâce aux responsables de l'université Ferhat Abbes, nous disposons désormais d'une infrastructure dédiée à notre laboratoire, pas assez spacieuse pour inclure tout le matériel», dit en préambule la cardiologue. Des projets au point mort… Ayant sans nul doute gros sur le cœur, la chercheuse poursuit : «Plusieurs projets ont été lancés, tels le registre de l'infarctus du myocarde, l'étude des facteurs de risques d'athéroscléroses, l'application de la nutrithérapie chez les coronariens et cardiomyopathies génétiques. Mais à l'heure actuelle, c'est l'embrouille totale. Datant de plus de 5 ans, les projets des équipes de cardiologie, d'épidémiologie, pourtant parties prenantes du laboratoire, tombent à l'eau. Mieux encore, les essais cliniques en nutrithérapies – domaine prometteur dans le traitement et la prévention des maladies cardiovasculaires, et plusieurs autres recherches ne sont ni plus ni moins que des morts-nés. Dire que lors de l'audit organisée à Oran par l'ATRSS pour l'évaluation et l'expertise de nos projets de recherches, il y a eu l'unanimité du directeur de l'agence et des différents intervenants sur la présentation de notre laboratoire ne prêtant à aucune confusion. Malheureusement, l'abus de pouvoir essaye non seulement détourner le labo de sa vocation première, mais va jusqu'à proposer le changement de nom du labo et son objectif principal. Faisant fi du règlement intérieur ; l'abus du pouvoir nous impose sa loi et ses projets. A titre d'exemple, un projet sur le dosage des benzodiazépines dans les eaux usées n'est pas du ressort du laboratoire de maladies cardiovasculaire», révèle notre interlocutrice. Avertissements et craintes des experts… Expertes en la matière, le discours des professeures Farida Djabi (médecin chef du laboratoire central et professeur de biochimie médicale) et Farida Sahli (médecin chef de l'unité de microbiologie médicale et professeure de microbiologie) au CHU est sans équivoque. Basée sur des données précises, la réplique des deux scientifiques éclaire le lecteur : «La microbiologie médicale est une spécialité qui revêt son importance tant dans le domaine de la santé publique que celui de la recherche scientifique. Si on prend comme exemple la pandémie actuelle de COVID-19, ce sont les outils de recherche microbiologique qui ont permis de détecter et d'identifier l'agent responsable, le SARS- CoV-2. Ces outils ont permis de développer les tests diagnostiques actuels. Avec ces tests, on peut dépister les sujets contaminés et confirmer la guérison des malades. La recherche sur les médicaments efficaces contre le COVID-19 se base sur les essais cliniques et essentiellement sur la diminution ou la négativation de la virémie donc en utilisant des techniques microbiologiques», soulignent en préambule les chercheuses. Et d'enchaîner : «Concernant le dépistage du COVID-19, qui se fait surtout par PCR, c'est-à-dire la détection du génome viral par technique de biologie moléculaire, certaines conditions doivent être réunies pour pouvoir le lancer. Nous citons la sécurité biologique au niveau du laboratoire, la disponibilité de l'appareillage nécessaire et les réactifs. La sécurité biologique au niveau du laboratoire commence par une infrastructure adéquate surtout quand on manipule des prélèvements contenant des agents biologiques aussi dangereux que le SARS-CoV-2. Les prélèvements doivent être manipulés dans des postes de sécurité microbiologiques (PSM2) qui sont des équipements à acquérir dans les laboratoires de microbiologie médicale. Et puis, des précautions particulières doivent être prises par les manipulateurs avec la disponibilité bien sûr des équipements de protection individuelle (EPI). La sécurité biologique a pour objectif de protéger le personnel, d'éviter la contamination des échantillons et donc d'avoir des résultats corrects et également d'empêcher la contamination de l'environnement. La construction des laboratoires de sécurité biologique de niveau élevé, constitue un investissement à long terme. Le développement des laboratoires de biologie médicale doit être considéré, aujourd'hui plus que jamais, un des moyens de sécurité nationale», précisent les universitaires, laissant le soin au cardiologue de conclure : «A mon avis, l'emplacement de l'infrastructure de notre laboratoire va créer une épidémie au sein de l'université ; si jamais le dépistage du COVID-19 est lancé, je signale l'absence du minimum de sécurité pour les manipulateurs surtout que c'est un virus inconnu et très contagieux. Enfin, à ma connaissance, nous ne disposons pas de microbiologiste au sein de la structure seule habilitée à diriger de telles opérations», dira sans la moindre équivoque, une spécialiste bardée de publications et travaux de haut niveau.