Gros plan sur Christine Lagarde. La patronne du FMI se tient debout et murmure pour elle-même : «N'y a-t-il aucun adulte parmi nous ?» De cette séquence est tiré le titre du dernier long métrage de Costa Gavras, «Adults in the room», sorti fin 2019, qui met en scène un huis-clos regroupant dans une salle de réunion du bâtiment de l'euro-groupe les patrons des institutions financières de l'Union européenne face à la délégation légitimement élue du gouvernement grec. Nous sommes en début 2015 et les institutions de la zone euro, conduites par l'Allemagne, veulent imposer à la Grèce dirigée par Syriza de nouvelles mesures d'austérité qui ne peuvent que mettre définitivement le pays à genoux. Dans cette salle feutrée et sinistre, et au long de plusieurs mois, Yanis Favourakis, le brillant ministre des Finances grec, vient défendre les intérêts de son peuple contre la machine dogmatique et implacable des institutions financières européennes. L'auteur de «Z» se base d'ailleurs sur les témoignages de Favourakis révélés dans son ouvrage «Conversations entre adultes. Dans les coulisses secrètes de l'Europe» pour raconter cet épisode de l'histoire récente de l'Europe mettant en relief l'hégémonie du capitalisme néolibéral au détriment des peuples. «C'est l'histoire d'un pays et de son peuple, prisonnier d'un réseau de pouvoir, le cercle vicieux des réunions de l'Eurogroupe qui ont imposé la dictature de l'austérité à la Grèce», explique Gavras dans une bande-annonce du film, en décrivant son film comme une tragédie grecque antique dans les temps modernes. En février 2015, les résultats des élections législatives en Grèce propulsent au pouvoir Syriza, une coalition de 13 partis de gauche et de gauche radicale, qui décroche la majorité des sièges. Mais la coalition hérite d'une situation économique désastreuse due essentiellement à une ardoise trop salée pour être surmontable, contractée auprès des banques françaises et allemandes, et aux politiques d'ajustement structurel conduites par la troïka (composée de la BCE, le FMI et la commission européenne). C'est le premier défi auquel est confronté Alexis Tsipras, nouveau Premier Ministre grec, qui reçoit trois jours seulement après son élection le patron de la troïka, froid et méprisant, délégué pour s'assurer du respect du Memorandum of understanding (MOU), signé avec le gouvernement précédent. Tsipras sait qu'il est impossible à son pays d'honorer cet accord, qualifié de «catalogue de cruauté» par un média allemand, et charge Favourakis, son camarade compétent et engagé à gauche, de négocier un remboursement de la dette «socialement juste». L'obstination des hauts fonctionnaires européens à humilier les Grecques pour en faire un exemple contre toute tentation de résurgence de l'idéologie de gauche et l'accès au pouvoir de gouvernements hostiles au modèle capitaliste dominant n'a d'égale que la ténacité et le talent de Farouvakis (interprété par Christos Loulis) pour sortir son peuple de la tragédie humanitaire dont il souffrait depuis de longues années. Les échanges sans concession de part et d'autre sont filmés comme une partie d'échec entre David et Goliath. Le suspense est garanti. En prologue, Gavras abandonne le réalisme pour terminer son histoire par une scène théâtrale où Tsipras, perdu d'abord dans la souricière de la commission européenne, est encerclé, ballotté et pressé par les fauves qui décident de la vie et la mort des européens. «La crise continue mais le peuple survit héroïquement», conclut le réalisateur franco-grecque. Avec «Adults in the room», Costa Gavras signe un drame politique haletant ; un magistral plaidoyer contre l'Europe anti-populaire, celle de la finance et de la bureaucratie, mais aussi une œuvre cinématographique d'une rare beauté. Un film à voir absolument.