Sur les allées Ben Boulaïd, au cœur de la capitale des Aurès, est née une école d'aviation, une expérience inédite en Algérie. C'est la seule en tout cas à avoir investi ce créneau, au moment où l'esprit d'entreprenariat demeure frileux en Algérie, les promoteurs refusant de s'engager en dehors des sentiers battus et des filons faciles. « Qui ne vole au sommet tombe au plus bas degré », disait Nicolas Boileau dans ses Satires qui ont dû inspirer Abdelmadjid Louaï, à la tête de l'école et pionnier de cette entreprise familiale qui fait le bonheur de ses acteurs, car il s'agit d'une aventure avant tout. Pour ceux qui ont vu Là-Haut, le film d'animation à succès sorti des studios Disney et primé par un Oscar, il est facile d'imaginer le personnage de Louaï. Refusant de prendre une retraite pourtant méritée, ce sexagénaire infatigable continue de parcourir les capitales occidentales à la recherche de bons contrats pour sa société. M. Louaï est à la tête d'Aurès Aviation depuis 10 ans. Un rêve d'enfance réalisé contre vents et marées, en dépit d'un terrain extrêmement difficile, sans visibilité aucune quant à un avenir économique viable. Créée en 2000, sous l'agrément portant le n°001 délivré par la Direction de l'aviation civile et de la météorologie (DACM), Aurès Aviation ne pouvait compter à ce moment-là que sur les moyens propres de la famille, l'expérience et par-dessus tout la passion de son fondateur. A l'âge de 20 ans, ce dernier fréquente déjà les aéroclubs de Cannes, où il décroche sa licence professionnelle de pilote d'avion. Cette expérience acquise en France lui permettra plus tard de former ses propres enfants, dont l'un est devenu instructeur et pilote de ligne, détenteur de l'ATPL (Air Transport Pilot Licence). La formation de pilote est la plus chère dans le monde, tous domaines confondus. L'Algérie, qui a pourtant fait de l'éducation et de la formation un canon stratégique dès l'indépendance, ne dispose pas de sa propre école et envoie son personnel naviguant se former dans des écoles étrangères, notamment en France, en Angleterre et, depuis quelques années, en Jordanie. Un investissement qui coûte énormément d'argent au Trésor algérien et bénéficie à des étrangers. C'est afin de pallier ce vide et investir un créneau vierge qu'Aurès Aviation a vu le jour. Une décennie après sa création, l'école s'est dotée d'un potentiel humain et matériel qui n'a rien à envier aux autres. Boycott à l'algérienne Se maintenir en vie avec toutes les difficultés rencontrées durant 10 ans est en soi un exploit. Pour résister, il a fallu partir sur des bases solides. Les fondations de la maison s'appuient en effet sur un encadrement de choix. Un personnel qualifié ayant plus de 20 ans d'expérience. « Des gens qui ont passé leur vie dans la famille aéronautique », affirme M. Louaï, qui nous présente Bounaâma Abdelmadjid, Mehdi Djamel et Mebrek Souhil, respectivement directeur technique, directeur de la formation, et directeur des études. Chacun d'eux cumule plus de 30 ans d'expérience et 22 000 heures de vol, poursuit-il, ce qui, chez les gens du métier, sont des références qui imposent le respect partout dans le monde. « Notre personnel est plus qualifié que celui de ces écoles (les écoles étrangères choisies par l'Etat pour former les Algériens, ndlr), je le dis en connaissance de cause. Ici, on a des instructeurs d'expérience, contrairement à l'étranger où tout le monde ne peut pas se le permettre », insiste M. Louaï. Cet atout, pourtant solide, n'a, semble-t-il, pas joué en faveur de l'investisseur. Les appareils acquis pour servir aux leçons de pilotage, les hangars loués auprès de la direction de l'aéroport Mustapha Ben Boulaïd de Batna et l'ensemble des moyens humains et matériels mobilisés pour offrir une formation conforme aux standards internationaux n'ont pas pu convaincre les tenants de la décision. Air Algérie, l'unique employeur de personnel naviguant, l'éphémère Khalifa Airways et l'Etat, propriétaire et tenant du monopole dans le domaine, ont continué à tourner le dos à l'offre nationale en favorisant des écoles étrangères, « alors que nous avons les mêmes moyens que les écoles étrangères comme Oxford en Angleterre ou les écoles française et arabes », commente encore M. Louaï. Que reproche-t-on à Aurès Aviation ? Mystère ! Car les raisons de ce boycottage qui ne dit pas son nom n'ont jamais été clairement exprimées. En 2006, l'école a assuré une présélection de 96 candidats pilotes pour le compte d'Air Algérie. Mais pour leur formation, la compagnie a préféré les envoyer ailleurs. Manque de confiance ? Ou alors y avait-il des enjeux qui poussaient la compagnie à donner son argent à d'autres ? Quelque temps après, Air Algérie a envoyé 135 pilotes sous d'autres cieux, notamment dans une école de Jordanie, pour « rafraîchissement », comme on dit dans le jargon des gens du métier (mise à niveau). Avec l'argent versé dans des comptes étrangers, une fortune, l'Etat aurait pu créer une école en Algérie. Grâce à cet argent, l'école jordanienne a acheté des avions. Beaucoup d'autres établissements bénéficiaires reconnaissent qu'ils existent grâce à l'argent de l'Algérie. Là-haut, l'aventure continue En l'espace d'une décennie, l'école peut s'enorgueillir d'avoir formé une centaine de pilotes privés et professionnels – dont six pour le corps de la Protection civile –, assuré la mise à niveau des pilotes de la DGSN ainsi que la remise à niveau et la revalidation de licence – 15 heures de vol, 10 heures de simulateur et 50 heures de théorie – de 135 pilotes repêchés par Air Algérie parmi les rescapés de Khalifa Airways. Des services qui ont valu des remerciements à l'école et qui font la fierté des instructeurs. « Aucune école au monde n'aurait pu réussir cela en 9 mois », souligne Mebrek Souhil, ajoutant : « On ne joue pas aux billes, ici, on a fait nos preuves. » Mais loin de dormir sur ses lauriers, l'école préfère avancer et se donner les moyens d'assurer de meilleures performances. Cet état d'esprit justifie des investissements encore plus lourds accomplis aujourd'hui pour agrandir l'école et la doter d'outils compétitifs. Environ 800 millions de dinars ont été mobilisés pour la construction d'une nouvelle école, dans la zone industrielle de Batna. Une infrastructure moderne offrant tous les moyens nécessaires pour l'accueil et la formation. C'est cette école qu'a visitée Amar Tou, ministre des Transports, en mars dernier. M. Tou a été impressionné par le simulateur de dernière génération (simule les avions à réaction et à hélices), flambant neuf, acquis par l'école, ce qui a sans doute motivé sa décision d'amener la DACM à orienter les formations vers Aurès Aviation en ne validant plus le personnel envoyé par les compagnies nationales à l'étranger. Une décision jugée révolutionnaire et stratégique, qui tombe à point nommé pour réduire les dépenses de l'Etat, du moment que celles-ci ne sont plus justifiées. Bien que réjoui par ce tournant, le staff de l'école prend le temps qu'il faut pour voir se traduire sur terrain cette décision. Sinon, l'école poursuit son effort de modernisation. Sa flotte devrait connaître un boom avec l'acquisition récente de 10 appareils et l'arrivée prochaine de 8 autres. Aurès Aviation prévoit aussi l'achat d'hélicoptères, dès réception de l'autorisation de la DACM. Sur les tablettes des stratèges de l'école, il est question aussi d'un projet de formation du personnel naviguant de cabine (PNC), la signature prochaine d'une convention avec l'université de Batna pour assurer la formation théorique des ingénieurs en maintenance aéronautique et l'élargissement de ses activités en offrant, à la carte, tout ce qui est formation en matière de navigation. Il est prévu aussi une ouverture sur le marché international. L'école attend incessamment l'autorisation de la DACM pour accueillir et former des élèves vietnamiens, tout en lorgnant du côté du marché de l'Afrique subsaharienne. Au moment de notre visite des locaux d'Aurès Aviation, les salles de cours étaient occupées par une soixantaine d'élèves candidats à une préselection (évaluation des aptitudes pour faire carrière) pour le compte de Tassili Airlines (TAL). Le vent en poupe, M. Louaï annonce que son école offre une formation gratuite à 10 Soudanais (pilotes et PNC). Une manière de remercier ce pays d'avoir soutenu l'équipe nationale et porté le drapeau algérien durant le match de qualification au Mondial face à l'Egypte. Il est clair que le patron d'Aurès Aviation est sur un nuage. Voir s'accomplir son rêve d'Icare et goûter aux fruits de la réussite lui donnent des ailes, à lui et à tout le staff de l'école. Autant de passion et de persévérance « exupérienne » devraient faire de l'émulation parmi tous les rêveurs algériens désirant s'accomplir et s'élever.