Certes, en matière de lutte contre la corruption, le pays a besoin d'un programme d'actions approprié et intégré, tellement les dysfonctionnements sont latents, les carences criantes et les failles béantes, qui sont autant d'opportunités qui rendent possibles les actes pervers qui se traduisent malheureusement pour le pays par des plaies qui font mal. Par Z. D. Akhamezine Ce programme devra comprendre évidemment des éléments de prévention, encore inexistants aux plans technique, juridique, institutionnel, organisationnel, etc. Cependant, il ne faut pas croire que de telles actions suffiraient sans une approche intégrée comprenant une présence communicative talentueuse et professionnelle, car depuis belle lurette, les démarches qui se suffisent exclusivement des actions répressives se traduisant par des arrestations et des jugements ont montré leurs limites. En effet, de nombreux pays ont opté, ces dernières décennies, pour des actions préventives complémentaires des démarches répressives. La lutte contre la corruption peut-elle se suffire d'une démarche basée uniquement sur les services répressifs ? Jusqu'en 2006, avec l'adoption de la loi 06-01, qui prévoit la mise en place d'un organe de prévention de la corruption, les pouvoirs publics se sont appuyés, dans la mise en œuvre du dispositif de lutte contre la corruption, exclusivement sur les services judiciaires et de sécurité. Hormis le court et éphémère épisode de l'ex-Observatoire national de surveillance et de prévention de la corruption, (seul organe au monde qui, paradoxalement, a essuyé des critiques, aussi bien des gestionnaires, cela se comprend, mais aussi de toute la presse, et cela se comprend moins, les partis politiques toutes tendances confondues ... avant même qu'il ne commence à travailler, à ce jour, ce qui est un phénomène rarissime). La doctrine de l'Etat n'a jamais intégré une politique cohérente de prévention. Or, cette vision basée sur la seule optique répressive exclusive a montré ses limites pour des raisons connues. En effet, cette vision repose sur une position « défensive », voire passive, qui se déploie schématiquement comme suit : « tout délinquant qui se fera attraper sera jugé et sanctionné ». Cette approche qui accorde une place importante à l'appareil judiciaire a besoin pour fonctionner efficacement que les délits et les faits de corruption soient décelés. Or, tout le problème réside là, les services judiciaires sont conçus pour juger, ils ne décèlent pas. De plus, de l'avis de l'ensemble des spécialistes, ce délit reste difficile à détecter en raison de son caractère sournois, il ne laisse pas de traces faciles à mettre en évidence et tend de plus en plus à évoluer en réseaux, avec parfois un apparent respect de la loi. Les statistiques publiées de par le monde montrent d'ailleurs qu'une infime partie seulement des faits de corruption est détectée, alors que de nombreux montages illicites ne seront jamais découverts pour être déférés devant la justice. Ceci est valable pour tous les pays du monde. D'un autre côté, l'approche répressive ne s'attaque pas aux causes de la corruption, même en réprimant le délinquant, c'est pourquoi les nations ont opté pour une vision complémentaire intégrant des politiques préventives avec la création d'un organe spécialisé chargé de la prévention, dont l'objectif est de s'attaquer aux causes de la corruption. A présent, presque tous les pays du monde, y compris la Russie, la Chine et le Vietnam, (à l'exception toutefois de l'Inde, du Pakistan, de la Corée du Nord et de l'Egypte...) se sont dotés d'un instrument administratif spécialisé avec des appellations différentes (organe, agence, observatoire, bureau ...). En 1996-1997, seule l'Algérie s'était dotée alors d'un observatoire après la France, qui a créé son service central de prévention de la corruption (I993), le Portugal ainsi que quelques expériences qui se comptent sur les doigts d'une seule main. Aujourd'hui, presque l'ensemble des pays du monde, notamment ceux d'Afrique, se sont dotés d'un organe spécialisé de prévention constitué de spécialistes pluridisciplinaires qui ont bénéficié de formations adéquates et qui se rencontrent souvent pour des échanges d'expériences. La lutte contre la corruption a-t-elle besoin d'une stratégie, d'une politique, d'un programme ? Expliquons-nous d'abord sur les concepts et les notions. Suivant les définitions admises par les instances internationales, on entend par stratégie « un ensemble de programmes cohérents visant des objectifs à long terme et supposant la mobilisation de moyens adéquats ». Il convient de préciser que par long terme il faut entendre une période de plus de 5 ans. Cet ensemble de programmes qui vise à modifier la configuration de l'existant est défini et dégagé à la lumière de diagnostics des secteurs. Ces diagnostics doivent être conduits par des professionnels suivant une méthodologie qui obéit à des critères préétablis et connus et les résultats obtenus doivent être validés suivant une procédure qui répond à des normes définies. C'est l'approche scientifique universellement admise. Sur ce sujet, à notre connaissance, les pouvoirs publics n'ont jamais fait savoir que de tels diagnostics ont été établis, ni par qui, la raison est que l'organe censé les faire n'est pas encore mis en place. On sait seulement, à travers un communiqué de la présidence de la République lors de la remise du 1er rapport annuel de l'ex-Observatoire (au 1er trimestre de l'année 1998), qu'un début de diagnostic avait été amorcé, les secteurs touchés ont été cités, sans que le contenu soit rendu public, mais on sait aussi que ce travail n'est pas terminé pour la simple raison que cet organisme a été dissous quelque temps après. Nous savons aussi qu'un diagnostic portant sur le fonctionnement des services de l'Etat, portant sur la modernisation de l'Etat, appelé aussi « Rapport Sbih » a été commandé par les pouvoirs publics en 2000, mais on sait aussi que ce document est plutôt orienté sur l'amélioration du fonctionnement des structures de l'Etat et n'est pas particulièrement dédié à la lutte contre la corruption. Dès lors, le problème se pose de savoir comment a-t-on pu établir que le pays a besoin d'une stratégie de lutte contre la corruption sans diagnostic ? Sur quelles bases peut-on décider que le pays a besoin d'une stratégie, ou d'un programme sans mesurer l'étendue du fléau et sans exposer les instruments d'analyse qui ont permis de décortiquer ce fléau ? Quels sont ces instruments ? Cependant, d'aucuns peuvent répliquer qu'il y a le classement de l'ONG Transparence International qui dispose d'un Indice de perception de la corruption. Les instruments de mesure de la corruption L'Indice de perception de la corruption peut-il servir pour mesurer l'étendue de la corruption ? A l'occasion de la parution du classement annuel de l'ONG « Transparence International », les médias font comme chaque année, à cette occasion, écho du classement des pays, sans cependant observer le recul et les précautions indispensables pour éviter les confusions nuisibles à la bonne compréhension du sujet... Le plus curieux, c'est de voir cet indice de mesure de la perception se transformer en estimation de l'étendue de la corruption par une opération de mystification dont seuls quelques-uns de nos médias ont la recette. Qu'est ce que l'IPIC ? Pour les spécialistes avertis, l'Indice de perception de la corruption de Transparency International est un agrégat de sondages, il suffit de se référer à la documentation de TI qui accompagne chaque année le rapport annuel de cette ONG pour relever les caractéristiques de cet indice, ainsi que la méthodologie adoptée pour le confectionner et le mettre en œuvre. Pour bien s'imprégner des différents composants de cet index, on peut aussi lire le fascicule du professeur Johann Graf Lamsdorff de TI et de l'université de Passau, paru en 2005, intitulé l'Index de perception de la corruption. Il résulte de cette documentation que l'IPC ne mesure pas l'étendue de la corruption dans un pays donné, mais la perception de certains opérateurs qui sont consultés par le procédé du sondage d'opinion sur le climat éthique des affaires dans ce pays. C'est donc un baromètre qui mesure la représentation que se fait une partie de l'opinion publique, à savoir le milieu d'affaires, (car depuis longtemps, TI considère les opérateurs comme plus fiables que l'opinion publique) sur le phénomène. Du reste, les experts de TI prennent le soin de le préciser par souci méthodologique à chaque parution de leur rapport annuel, mais comme à chaque fois ce sondage se transforme (c'est ce qui paraît bizarre) par les médias en mesure de l'étendue de la corruption. En ce qui concerne cet indice, la curiosité reste entière s'agissant du classement de l'Algérie puisque depuis 2005 TI a cessé de donner le détail de la population ciblée par le sondage d'opinion. En effet, on ne sait plus depuis, quel est le nombre d'opérateurs consultés pour le sondage, ni qui sont les opérateurs sondés. Ont-ils été tous des soumissionnaires malheureux qui n'ont pas réussi à obtenir des marchés ? Connaissent-ils bien les rouages de l'administration ? ... A défaut d'IPC, existe-t-il des instruments de mesure de la corruption ? Tous les experts et responsables qui travaillent dans la lutte contre la corruption sont unanimes pour constater « la difficulté de mesurer l'ampleur de la corruption ». Si on considère qu'à travers « instruments de mesure fiables » on entend les outils qui doivent répondre à un modèle opératoire conçu suivant des normes et paramètres précis, qui tiennent compte d'une méthodologie scientifique et dont les résultats sont validés, ce point de vue est largement partagé par les spécialistes. Ces instruments vont au-delà des sondages d'opinion, et sont à construire. Les résultats des sondages d'opinion, tels que l'IPC de TI peuvent constituer un des indicateurs de l'état de la question, mais pris isolément, ils restent insuffisants pour les enquêtes des services de sécurité et des organes de contrôle - l'évolution des affaires portées devant les services judiciaires - les affaires traitées par les services judiciaires... doivent s'ajouter à ces indices pour constituer un faisceau d'informations qui, après des analyses, pourront être des indicatifs d'une évolution du phénomène. Ce n'est pas parce que ce travail ne se fait pas encore vu l'inexistence d'un organe spécialisé dans la lutte contre la corruption qu'on doit se contenter (ou se suffire) de prendre les résultats de sondages d'opinion en guise de mesure de l'étendue de la corruption. Lutte contre la corruption, communication et image du pays Il y a beaucoup à faire en matière de communication. ll est clair que le pays souffre de graves lacunes en la matière. Ceci fait énormément de tort à son image, à l'interne comme à l'externe. Le communiqué de la commission des droits de l'homme des Nations unies paru dernièrement en est l'illustration. L'image du pays prend des coups et ces dérapages sont corroborés par de nombreuses interventions de hauts responsables de l'Etat sur la question (la corruption qualifiée de « sport national » par un haut responsable de l'Etat, et elle est considérée comme « inévitable » par un autre non moins haut responsable de l'Etat) ont contribué à donner une très mauvaise lisibilité des choses. Les statistiques des affaires traitées par la justice, balancées hors de leur contexte, sans les explications nécessaires, sans fil conducteur ont accentué cette difficulté à comprendre le phénomène. La forte médiatisation de certaines affaires de corruption portées devant la justice pendant qu'elles étaient encore en cours d'instruction, les commentaires qui ont suivi posent la question de savoir comment combler l'inexistence d'une presse spécialisée, ce qui traduit une démarche de communication publique difficile à cerner ou pour le moins incohérente. S'il est vrai que tout ce décor planté dans le champ médiatique donne l'image d'un pays résolument implacable devant toute déviation ou perversion quel que soit le rang du fautif, il reste que le retard pris dans la mise en place de l'organe spécialisé est de nature à créer un vide, avec déjà la disparition du défunt et éphémère Onspc vite et bien occupé par des apprentis sorciers, car la nature a horreur du vide.