Profitant de l'opportunité de pouvoir s'exprimer librement sur les réseaux sociaux en ces temps de confinement imposé par la propagation de la Covid-19, de plus en plus de voix de simples citoyens, d'intellectuels, d'esthètes et d'artistes locaux que le passé de Biskra et de ses environs ne laissent pas indifférents signalent et dénoncent ouvertement le triste sort réservé aux référents culturels matériels et immatériels dans cette région du Sud-Est algérien laquelle a connu le passage et la présence de 23 civilisations faisant de la Reine des Zibans ce qu'elle est aujourd'hui. «Dans le temps, nous avions de mémorables veillées avec nos mères et grands-mères qui nous chantaient des comptines et des berceuses et nous racontaient des contes extraordinaires, des histoires éducatives, des charades et des devinettes qui aiguisaient notre appétit de connaissances et alimentaient notre imaginaire. Maintenant chacun est rivé face à l'écran de son Smartphone ou de son ordinateur. On ne communique plus vraiment et tout un patrimoine de la littérature orale, des chansons ancestrales et de la musique typique de notre région s'évanouissent imperceptiblement et insidieusement faute de fixation et de perpétuation de certains rituels. Dans tous les villages, les mariages, les circoncisions et les grands événements marquant de la communauté étaient l'occasion pour des groupes de Rahaba d'égayer les soirées avec leurs danses folkloriques et leurs voix aiguës. Malheureusement, tout ce patrimoine musical et lyrique, chorégraphique, architectural et littéraire constitué au cours des siècles est en voie de disparition», déplore Abdelmadjid Bessam. Celui-ci œuvre depuis des années pour la préservation des vieilles maisons en terre de puisée des villages des Aurès, de l'art culinaire et de l'artisanat local dans le but de faire de Djemorah, Branis et El kantara des destinations touristiques de choix. «Mais l'heure n'est pas à la joie vu le ralentissement voire le gel de toutes les activités induit par la propagation de la Covid-19», ajoute-t-il. Pour sa part, Youcef Abdelkader, né en 1956 à Biskra, expert en management et stratégies des entreprises mais néanmoins fortement intéressé par le passé de sa région natale, est révulsé par le fait qu'«un trésor d'environ 1500 manuscrits conservé à la zaouia Ali Benamor de Tolga soit laissé à la merci de la poussière et de la dégradation», révèle-t-il. En outre, cette ancienne bibliothèque créée par le fondateur de la zaouïa Ali Ibn Othmane Ibn Omar (1814-1857) recèle 4500 ouvrages, dont les plus récents datent de 1948, s'intéressant à divers domaines dont l'interprétation des prescriptions religieuses, selon le rite malékite, l'exégèse coranique, les hadiths, l'histoire, la littérature, le soufisme, la philosophie, la médecine et même la mécanique. Les plus vieux manuscrits dont il ne subsiste que des lambeaux mais qui sont encore consultables datent du IVe siècle de l'Hégire. Il s'agit d'une exégèse du Saint Coran écrite en l'an 355 de l'Hégire par Abi Mansour Ethaâlibi El Naysaburi et d'un autre manuscrit rédigé en 382 de l'Hégire par Aquili en sciences du Hadith intitulé Edhouâfa acquis par le cheikh fondateur de la zaouia lors de ses voyages au Moyen-Orient, ces manuscrits sont annotés de commentaires constituant un corpus inépuisable pour les sociologues, les théologiens, les chercheurs, les historiens et les étudiants de différents bords. «Ces manuscrits dont certains ont été réalisés à la main par des scribes représentent un patrimoine hautement important au regard de leur triple valeur scientifique, historique et artistique. Vieux de plusieurs siècles, ils exigent de véritables opérations de restauration, de numérisation et de classement pour les protéger de la désagrégation car il est dommage de les perdre», ajoute notre interlocuteur qui lance un appel aux responsables du Centre des manuscrits de Biskra afin qu'ils s'intéressent à ce sujet. A noter que la wilaya de Biskra compte d'autres collections de manuscrits dont celle de la mosquée Sidi Lembarek à Khenguet Sidi Nadji, celle de la mosquée Sidi Moussa El Khedri et celle du Centre culturel islamique et que des familles conservent des ouvrages et des manuscrits de grandes valeurs qu'ils seraient bon de protéger contre les outrages du temps. Faisant de la protection des bâtiments historiques de Biskra son credo et sa raison d'être, les membres de l'association Mosaïque mènent, ces jours-ci, une inlassable campagne pour la sauvegarde, la restauration et la réhabilitation de la salle Atlas (ex Casino) laquelle «est en train de s'écrouler dans l'indifférence, le laisser-aller, l'inconscience et l'irresponsabilité des autorités concernées», signalent-ils. Unique en son genre, ce bâtiment de style néo-mauresque réalisé par l'architecte Albert Ballu (1849-1939) constitue un joyau architectural intégré harmonieusement dans un ensemble formé par l'ancien Hôtel Palace doté d'un théâtre de plein air où est actuellement logée la maison de la culture Redha Houhou de Biskra et la direction du tourisme. «La salle Atlas, utilisée pour quelques représentations artistiques, des meetings politiques et des rencontres entre les élus municipaux et les habitants de Biskra, est en déperdition et elle menace ruines en particulier sur son aile droite à cause des infiltrations d'eau et de nombreuses fissures en lézardant les murs. Nous avons fait appel à des experts de l'université Mohamed Khider de Biskra qui ont confirmé la dégradation avancée du bâtiment et ont préconisé de mettre fin avant tout à ces infiltrations d'eau. Depuis plus d'une année rien n'a été fait. Devant cette situation alarmante et le danger qui guette ce patrimoine, nous demandons aux citoyens, aux artistes et à tous les amoureux de Biskra de réagir et de soutenir notre pétition pour que ce bâtiment soit sauvé et classé en tant que bien inaliénable», rapporte Saddek Guedim, artiste photographe activant dans l'association citée. Ainsi, de simples citoyens ou des acteurs de la vie culturelle de Biskra s'insurgent comme ils le peuvent contre les atteintes aux richesses, aux acquis, à l'histoire, aux artefacts et aux référents culturels de leur ville et région «sur lesquelles semble fondre une chape de plomb ouvrant la voie à toutes les sortes d'amnésie et de déni d'un passé pourtant flamboyant à bien des égards», se plaignent-ils à qui veut bien les entendre.