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Crise, espoirs et conjectures ? (1ère partie)
Publié dans El Watan le 09 - 06 - 2020

Tout compte fait, la Covid-19 n'est pas à blâmer pour tout. Elle n'est venue que pour donner du fil à retordre à une crise économique et climatique persistante, en lui adjoignant une crise sanitaire d'une dimension originale, qui restera dans les mémoires comme un tournant de l'histoire de l'humanité.
Ce qui est à blâmer de prime abord, c'est plutôt cette confrontation menée avec dédain par les superpuissances pour l'affaiblissement de l'un et le renforcement de l'autre autour des conséquences de la chute des prix du pétrole.
Maintenant qu'une crise multicolore est belle est bien là, chaque pays est mis devant une kyrielle de défis dont il lui est difficile d'y faire face, seul ; non pas pour cause de manque de moyens ou de ressources, les pays les plus industrialisés étant les plus touchés, mais parce que la crise revêt un caractère mondial où la sortie nécessite une solution mondiale.
Un effort collectif est indispensable comme lors de la grande récession de 2008 consécutive à la crise des subprimes de 2006/2007. La survenue des crises a toujours provoqué l'émergence de forces qui lui résistent, sinon le monde ne serait pas ce qu'il est advenu.
Il aurait été complètement amoché au vu des crises de toutes sortes qui sont survenues à travers l'histoire. Nous allons nous interroger à partir de quelques crises économiques les plus saillantes, comment mesurer les craintes, apprécier les conjectures et les espoirs suscités ou portés ; ce qui entreverra quelques pistes de sortie de crise à l'image de quelques pays qui ont réussi leur mutation ou qui ont pu s'opposer et sortir d'une dépression économique. L'espoir peut naître d'une crise, même si cela semble contradictoire !
Crise, durée et conséquences ?
La notion de crise n'a jamais été aussi bien abordée que dans le marxisme où les crises sont décrites comme la résultante des contradictions du capitalisme. Pour faire court, une crise est interprétée dans ce courant de pensée économique et philosophique comme «le moyen par lequel le capitalisme se réorganise». En nous plaçant dans cette optique, il est remarquable qu'à chaque crise, le capitalisme fait son mu en créant une nouvelle structure économique qu'il juge plus adaptée pour perpétuer son existence et sa domination. Le système génère les conditions de sa reprise pour «renaître de ses cendres».
C'est la théorie des fluctuations économiques étudiée par Karl Marx. La mondialisation, qui a été préférée au capitalisme vieillissant des années 80/90 en est l'exemple vivant de cette mutation de stratégies pour maintenir avec excès un monde hégémonique et conflictuel où l'avenir n'appartient pas à tous de manière équitable.
La mondialisation n'est en fait qu'un changement de fusil d'épaule pour corriger «l'ancien monde» par la création d'un nouveau mode de fonctionnement touchant tous les secteurs de l'économie, de la culture, de l'information, de l'enseignement transfrontalier, le saut du verrou des frontières entre les pays à économie dominante… mais aussi l'affaiblissement et la dépendance des pays à faible revenu. Ceci est important pour comprendre la notion de crise, car de sa bonne compréhension découlera les dispositifs pour l'endiguer.
Les pays, architectes de la mondialisation, sont passés d'un mode de fonctionnement jugé alors suranné à un autre estimé plus pertinent, et c'est cette transition qui constitue la durée de la crise. Durant cette période de transition, l'économie est soumise à de rudes épreuves du fait de la complexité des nouvelles règles à réinventer.
Elle se trouvera perturbée à des degrés divers selon qu'il s'agisse d'un pays à fort potentiel ou d'un pays à revenu faible ; c'est alors le processus de changement qui se déroule comme décrit dans les cycles de Kondratiev. Pour que cette transition n'engendre pas trop de «casses», il faut la réduire par un effort de recherche et d'innovation ainsi que par le soutien aux petites et moyennes entreprises.
Les nouveaux modes de fonctionnement à inventer seront ceux qui devront permettre au pays de construire un système ouvert, anticipatif et dynamique, affranchi de toute dépendance «aveugle», faisant intervenir des facteurs qui rendent la diversité économique une réalité, les outils de prospective et de management dominants, l'aptitude à la concurrence et à la survie des moments difficiles ou désespérants.
Les crises sont-elles inéluctables ?
Les anticapitalistes défendent l'idée qu'une crise économique est inévitable tant que le capitalisme persiste dans son «désir illimité d'enrichissement», caractéristique qui lui est profondément rattachée. D'autres, au contraire, des libéraux, argumentent qu'une crise est évitable et si on en arrive, c'est que finalement nous avons tout fait pour ne pas l'éviter.
A la lumière des dernières décennies et les différentes crises économiques, qui ont secoué les pays, il est difficile d'ignorer les signes avant- coureurs qui ont toujours précédé la venue de ces crises économiques. La crise de 2008 a été provoquée par les prêts hypothécaires que les emprunteurs n'étaient pas capables de rembourser, aggravée d'ailleurs par les relents de la crise des subprimes en 2006/2007. Cette crise de 2008, mêlée à d'autres survenues en amont et en aval, a eu un effet ralentisseur sur l'économie chinoise dont les conséquences ont été la chute drastique des prix de pétrole en 2015 qui, par ricochet, a fait trembler notre économie fortement dépendante des hydrocarbures.
La crise induite par le Covid-19 est une crise sanitaire. Elle relève de la catégorie du « cygne-noir » c'est-à-dire qu'elle est imprévisible mais lorsqu'elle survient les conséquences sont dramatiques sur le système de santé et les autres secteurs. L'histoire nous apprend qu'une crise sanitaire est dangereuse pour les économies malades ou fragiles en raison de la faiblesse de leurs structures socio-économiques.
Les pays dont les économies sont prospères peuvent y faire face, même s'ils vont traverser des périodes difficiles marquées essentiellement par la chute des taux de croissance dont les conséquences sont fâcheuses pour l'emploi, le commerce et l'industrie. Ils risquent de se retrouver par moments sur des plateaux négatifs durant le temps que demanderait la période de transition entre les deux modes de fonctionnement, l'ancien et le nouveau. Ces pays arriveront à écourter cette période de transition grâce à l'abondance des moyens et des ressources dont ils disposent, mais aussi grâce à la solidarité, réelle ou supposée, entre eux car l'effet domino sera dramatique pour ces pays s'il y a chute de l'un parmi eux.
Humanisme et mercantilisme
La crise induite par la Covid-19 est atypique. Les plus graves crises sanitaires à travers l'histoire, outre leurs conséquences néfastes sur les pays, se caractérisent par le nombre de morts par centaines de millions, mais aussi par la prépondérance de l'économique sur l'humain ; en quelque sorte le mercantilisme sur l'humanisme.
L'histoire nous apprend que la diffusion du virus a toujours été favorisée par les relations économiques conflictuelles ainsi que les conquêtes européennes et les guerres : Le commerce entre l'Europe et l'Asie centrale a favorisé la diffusion de la peste noire en occident au milieu du XIVe siècle. La découverte de l'Amérique vers la fin du XVe siècle diffusa la syphilis et la variole qui a décimé des populations entières sur les territoires nouvellement conquis. Le choléra a été introduit en occident au début du XIXème siècle lors de la conquête des Indes par les anglais.
Cette conquête a aggravé la situation sanitaire entre ces deux pays par la toute nouvelle relation économique « coloniale » fondée sur le commerce du coton, ayant conduit à la mise en place d'un circuit infernal de collecte du coton (en Inde), de sa transformation en tissus(au Royaume-Uni) et de sa commercialisation (en Asie). Ce circuit a eu un effet dévastateur en assurant le « transport » du virus entre les deux continents.
Durant ses nombreuses campagnes (Egypte, Russie, Les Amériques,…), fin XVIIIème et début du XIXème siècle, coïncidant avec les plus grandes épidémies, l'armée impériale française ne s'était jamais inquiétée du sort de ses soldats même lorsque la maladie virale faisait rage et les détruisait. Seul importait pour elle le prestige aux dépens de la vie humaine.
Bien plus tard, en 2003, dans un pays occidental, l'on se rappelle de la canicule qui a provoqué plusieurs milliers de morts, tous locataires de résidences de troisième âge laissés s'éteindre lentement, sans que cela n'ait provoqué le moindre ressenti pénible vis-à-vis de ces pertes humaines.
Tous ces événements se sont produits en faisant fi de tout ce qui n'est pas économique. La prévalence causée par les maladies leur importait peu. La Covid-19 fera certainement plus de 500 000 morts en 2020, voire plus, mais c'est la première fois dans l'histoire des nations que, face à une crise de cette ampleur, une posture humaniste a été privilégiée à l'économique.
Les pays dans leur totalité ont préféré la mort de l'économie plutôt que celle des hommes même si, hélas, une note est venue du Brésil griser cet enthousiasme. Au moment où le Président brésilien ne veut pas laisser mourir sa population fortement éprouvée par le virus Covid-19, d'autres de ses concitoyens préfèrent plutôt la sacrifier au profit de leurs affaires économiques.

Par Baddari Kamel
Professeur des universités et recteur de l'université de M'sila

En raison de l'abondance de la matière, la suite de cette réflexion paraîtra prochainement dans le même quotidien. Elle abordera les espoirs qui pourraient en découler d'une crise, et les voies et moyens de sortie d'une crise, à l'image des pays qui ont réussi leurs mutations.


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