La loi de finances complémentaire pour 2020, publiée au journal officiel n° 33 du 4 juin 2020, est entrée en vigueur depuis la semaine dernière et passe ainsi au rang des lois applicables, dont la plus commune des lectures retiendra le maintien de la dispense de déclaration pour les montants dépassant les 5000 euros ou leur équivalent en d'autres devises, ou encore l'augmentation de la taxe sur les transactions des véhicules de tourisme neufs, reformulée à l'occasion de sa révision par l'Assemblée populaire nationale. Dans son rôle de loi de finances publiques, la loi de finances complémentaire pour 2020 a ajusté les prévisions de ressources et de dépenses devant compter autant avec la variable du prix du baril, que celle de la pandémie qui s'est rajoutée sur la copie, non sans compliquer les prévisions budgétaires. Dans son rôle d'adaptation des textes fiscaux à la politique fiscale, elle recadre ou annule certaines dispositions de la loi de finances pour 2020, mal acceptées en fin de décennie, et dans son rôle de loi de réforme, elle introduit des modifications d'importance, particulièrement pour ce qui concerne le développement de l'investissement. Equilibres et prévisions budgétaires Les prévisions de ressources sont évidemment réduites. L'Etat devra renoncer à 894 milliards (mds) de dinars en recettes, pour atteindre sa nouvelle prévision basse de ressources projetées à 5 395 mds de dinars. La fiscalité pétrolière est évidemment la première mise en cause, avec une contribution aux ressources fixées à l'origine à 2,200 mds de dinars, et qui devrait perdre près de 880 mds de dinars, sur la base d'un prix unitaire du baril, pris en nouvelle hypothèse à 30 dollars. Les dépenses de fonctionnement plus difficiles à réduire, puisque quasiment incompressibles, font l'objet d'une légère réduction. A l'origine budgétées pour 4,893.43 mds de dinars, la loi de finances complémentaire pour 2020 les réduits à 4,752.4 mds de dinars. La loi de finances complémentaire pour 2020, ne bouscule pas les données de dépenses d'équipement puisqu'on relève que le budget d'équipement subit une légère réduction en passant de 2,930 milliards de dinars à 2,620 milliards de dinars. Au taux de change applicable à la date de publication de la loi de finances complémentaire pour 2020, la prévision consiste à maintenir un niveau de dépenses d'équipement de 20 milliards de dollars après réduction de 2,4 milliards de dollars. Au final, cette loi de finances complémentaire réduit les dépenses budgétaires à 7372,7 milliards de dinars à l'opposé des 7 823,1 milliards de dinars budgétés dans la loi de finances pour 2020. En conclusion, la redistribution de la réduction des ressources affecte les dépenses d'un total de 450.2 mds de dinars et le déficit de 430 mds de dinars (Estimé à prix constant du prix du baril). Ces modifications de données conduiront de toute évidence à reconsidérer les déficits issus du financement prévisionnel des charges définitives du budget général pour les années 2021-2022 projetés à l'origine à respectivement 1,898 mds de dinars et 1,910 mds de dinars. Des mesures pour un retour à l'état initial Ces mesures qui sont pour la plupart des réponses aux préoccupations portées par masses ont tout simplement abrogé certaines dispositions de la loi de finances initiale. Ces dispositions ont été prises en sens inverse, en renonçant à poursuivre ce qui avait été argumenté, voté et légiféré et qui, dans l'attente de la loi de finances complémentaire, ont été mises en attente. Il en est ainsi de la renonciation à l'imposition des résultats d'un antériorité supérieures à trois ans non distribués et à l'imposition des bénéfices distribués aux associés ou actionnaires de personnes morales, du retour de la réfaction de 25% pour la Taxe sur l'Activité Professionnelle (TAP) des entreprises du secteur du BTPH, du retour de l'IFU pour les professions libérales avec le retrait parallèle du régime des Bénéfices Commerciaux (BNC) et du retour des déclarations fiscales mensuelles sans paiement. Retour à la tolérance sur l'antériorité des résultats non distribués La loi de finances pour 2020 était revenue à une ancienne disposition qui consistait à imposer les résultats non affectés au fonds social (comprendre capital social) au bout de trois (03) ans, par une assimilation à des résultats distribués. Le huitième alinéa de l'article 46 du Code des Impôts Directs et Taxes Assimilées qui assimilait à des revenus distribués les bénéfices des sociétés n'ayant pas fait l‘objet d'affectation au fonds social de l‘entreprise dans un délai de trois (03) ans 1 est à présent abrogé. Cette disposition n'aura pas été sans incidence, certaines sociétés ayant procédé à des augmentations de capital social, non nécessaires, sous l'influence de la disposition de la loi de finances pour 2020, et dans certains cas, pour d'autres ayant procédé à la liquidation de l'impôt par anticipation. Retour à la non-imposition des dividendes distribués aux associés ou actionnaires personnes morales L'article 87 bis du Code des Impôts Directs exclut de nouveau de l'assiette de l'Impôt sur le Revenu Global les revenus provenant de la distribution de bénéfices, lorsqu'ils ont été soumis préalablement à l'Impôt sur les Bénéfices des Sociétés, ou expressément exonérés, compris dans l'assiette de l'impôt sur le revenu global, pour les revenus régulièrement déclarés. Cette disposition reprend sa rédaction initiale alors que la loi de finances 2020 devait imposer les bénéfices déjà soumis à l'IBS. L'article 147 bis du Code des Impôts Directs et Taxes Assimilées revient également à sa rédaction d'origine pour établir que les revenus provenant de la distribution des bénéfices distribués à des personnes morales, ne sont pas compris dans l'assiette de cet impôt lorsqu'ils ont été soumis à l'impôt sur les bénéfices des sociétés ou expressément exonérés. La rédaction de cet article éphémère, porté par la loi de finances pour 2020, prévoyait une imposition, par voie de retenue à la source, au taux de 15% libératoire d'impôt. La rédaction de l'article 147 bis, d'avant 2020, prévoyait que les revenus provenant de la distribution des bénéfices déjà soumis à l'Impôt sur les Bénéfices des Sociétés (IBS) ou expressément exonérés n'étaient pas compris dans l‘assiette de l'IBS. La loi de finances complémentaire pour 2020 revient à cette rédaction initiale. Retour de la réfaction pour la TAP du secteur du BTPH Cette réfaction de 25% concerne les activités du bâtiment et des travaux publics et hydrauliques. Son application réduit le taux effectif de la Taxe sur l'Activité Professionnelle de 2% à 1,5%. C'est la loi de finances complémentaire pour 2015 qui avait institué cette réfaction pour les activités du bâtiment et des travaux publics et hydrauliques. La loi de finances pour 2020 l'avait retirée. La loi de finances complémentaire la rétablit avec un article 222 du Code des Impôts Directs et Taxes Assimilées rédigé comme suit : pour les activités du bâtiment, de travaux publics et hydrauliques, le taux de la taxe est fixe à 2%, avec une réfaction de 25%. Comme ce n'est pas entreprise du secteur bu BTPH qui veut, l'article 150-1 du Code des Impôts Directs et Taxes Assimilées définit ces entreprises comme celles qui ont ces activités immatriculées en tant que telles à leur registre de commerce et qui donnent lieu au paiement des cotisations sociales spécifiques au secteur (sous-entendu des cotisations payées à la CACOBATPH2). Les entreprises du secteur auront payé la TAP au taux plein pour les premiers mois de l'année 2020 et auront pour seule consolation qu'il s'agit d'une taxe déductible pour la détermination de la base imposable à l'Impôt sur les Bénéfices de Sociétés. Nouveau retrait du Régime des Bénéfices Non Commerciaux La réactivation des articles 22 à 29 du Code des Impôts Directs et Taxes Assimilées, déjà retirés du même code en 2015, n'aura duré que le temps de la publication de la loi de finances pour 2020, sans être appliquée, remettant aux archives le régime de la déclaration contrôlée, ancien régime d'imposition des professions non commerciales. En parallèle, à la lecture du récent communiqué de la Direction Générale des Impôts, sur les dispositions de l'article 14 de la loi de finances complémentaire pour 2020, il y a lieu de comprendre qu'entre autres de modifications aux dispositions de l'article 282 ter du Code des Impôts Directs et Taxes Assimilées, qui traite du champ d'application de l'Impôt Forfaitaire Unique (IFU), ce régime forfaitaire est élargi aux professions non commerciales et aux sociétés civiles à caractère professionnel, à l'exclusion de celles remplissant les conditions d'éligibilité au régime du bénéfice réel. Il faut comprendre que l'IFU, sous la nouvelle rédaction ne devrait s'appliquer qu'aux personnes physiques et sociétés civiles professionnelles, dont le chiffre d'affaires ou les recettes professionnelles annuels n'excèdent pas quinze millions de dinars (15 000 000 DA). En l'absence d'un régime intermédiaire pour les professions non commerciales, il y a lieu de comprendre que toute personne physique ou société civile professionnelle dont le chiffre d'affaires excède les quinze millions de dinars (15 000 000 DA) est soumise au régime du bénéfice réel. Il est regrettable que le législateur n'a pas retenu le régime de la déclaration contrôlée, car sans alléger le taux de l'impôt, il aurait pu au moins tenir compte du fait qu'il est complexe pour les professions non commerciales de tenir une comptabilité répondant aux exigences du code de commerce et de la législation comptable. Pourtant, l'exposé des motifs qui plaidait fin 2019 pour le retour des BNC argumentait, à juste titre, que les recettes professionnelles des professions libérales ne s'accommodent pas avec les exigences des textes légaux précitées qui sont destinées davantage à encadrer, au plan comptable, les activités à caractère commercial. Le législateur aura probablement à revoir la rédaction de cet article 282 ter du Code des Impôts Directs et Taxes Assimilées, pour avoir omis de citer les professions non commerciales. En effet, le texte publié stipule que «sont soumises au régime de l'impôt forfaitaire unique, les personnes physiques et les sociétés civiles a caractère professionnel exerçant une activité industrielle, commerciale, artisanale ainsi que les coopératives d'artisanat d'art et traditionnelles dont le chiffre d'affaires ou les recettes professionnelles annuels n'excèdent pas quinze millions de dinars (15 000 000 DA), à l'exception de celles ayant opté pour le régime d'imposition d'après le bénéfice réel. Il lui sera toujours possible de réfléchir à un modèle de déclaration simplifiée pour les professions libérales relevant du régime du bénéfice réel. Déclarations fiscales mensuelles sans paiement L'article 42 de la loi de finances complémentaire pour 2020 rétablit la possibilité de déposer les déclarations mensuelles des différents impôts et taxes sans que le paiement des droits dus ne soit concomitant, avec l'application subséquente des pénalités de retard dans le cas où le paiement des impôts et taxes exigibles dépasse les délais requis. La loi de finances pour 2020 avait supprimé cet avantage. Le retour de cette disposition est le bienvenu, car il permet aux contribuables de ne pas se trouver en défaut d'obligation déclarative, lorsqu'ils n'ont pas les moyens de procéder au paiement des impôts et taxes déclarés. Parmi les nouvelles dispositions, qui ne font pas dans la démarche inverse, il y a lieu de citer L'exonération totale de l'IRG pour les revenus qui n'excèdent pas les 30 000 DA. L'augmentation de la retenue à la source sur les prestations de services fournies par des prestataires étrangers. L'octroi de nouvelles exonérations pour les start-up. Exonération totale de l'IRG pour les revenus qui n'excèdent pas les 30 000 da L'article 104 du Code des Impôts Directs et Taxes Assimilées fait toujours référence à un barème progressif avec dans sa nouvelle rédaction, l'inclusion d'une exonération totale des revenus qui n'excèdent pas les 30 000 DA. Pour le traitement du lissage des revenus proches du seuil d'exonération, la nouvelle rédaction de l'article 104 prévoit que les revenus supérieurs à 30 000 DA et inférieurs à 35 000 DA bénéficient d'un deuxième abattement supplémentaire, avec application de la formule: IRG = IRG (selon le premier abattement) * (8/3) – (20 000/3). L'article 204 reprend le cas de l'imposition des revenus des travailleurs handicapés moteurs, mentaux, non-voyants ou sourds-muets, ainsi que les travailleurs retraités du régime général, pour ceux dont les revenus sont supérieurs à 30 000 DA et inférieurs à 40 000 DA pour les faire bénéficier d'un abattement supplémentaire sur le montant de l'IRG, calculé selon la formule : IRG = IRG (selon le premier abattement) * (5/3) – (12 500/3). Au-delà des seuils d'exonération, le barème de l'IRG ne subit pas de modification, mais il est fortement recommandé à ce que les applications utilisées pour les calculs des salaires soient révisés pour être en conformité avec ces nouveaux seuils, d'autant que ces nouvelles exonérations prennent effet le 1er juin 2020. Cette nouvelle expression de l'exonération d'IRG apportera-t-elle un réel avantage aux salariés qui ont une sensibilité basée sur la rémunération nette ? L'apport de cette mesure s'essouffle déjà avec les débats qui évoquent un seuil de pauvreté bien au-dessus du seuil de non-imposition alors que l'inflation diluera très rapidement le léger gain de salaire net procuré par cette mesure. Augmentation de la retenue à la source sur les prestations de services fournies par des prestataires étrangers La loi de finances complémentaire pour 2020 procède à l'augmentation du taux de la retenue à la source de 24% applicable aux contrats de services fournis par les sociétés étrangères sans installation professionnelle permanente pour la porter à 30% tout en gardant son pouvoir libératoire en sus de l'IBS pour la TAP et la TVA. Dans pareil cas, des mesures transitoires devraient être précisées comme, par exemple, le traitement des contrats en cours. Dans le passé, les modifications relatives à la retenue à la source avaient conduit à appliquer le nouveau taux aux avenants des contrats existants et aux nouveaux contrats. L'augmentation du taux de la retenue à la source vise à ce que les entreprises étrangères intervenant en Algérie, dans le cadre de contrats de prestation de services, soient incitées à opter pour le régime d'imposition du droit commun (IBS, TAP et TVA), à l'instar des sociétés de droit algérien. Dans la foulée de cette mesure et par la volonté d'orientation des entreprises étrangères, prestataires de services, vers le régime général d'imposition, la rédaction de l'article 156 bis du CIDTA est modifiée pour accorder un délai trente (30) jours, à compter de la signature du contrat ou de l'avenant au contrat, pour la prise d'option. Le délai était antérieurement de quinze (15) jours seulement. L'augmentation du taux de retenue à la source poussera très certainement à une meilleure attention pour l'application des dispositions conventionnelles et dans les cas d'absence de conventions fiscales à des choix économiques raisonnés en considération d'un coefficient effectif (coefficient de reconversion) qui passe de 1,3157 à 1,4285. Il n'en demeure pas moins que cette mesure reste contraignante pour les contrats de courte durée pour lesquels le régime général d'imposition reste inadapté. Comme par le passé, cette retenue à la source aura un impact inflationniste sur le coût des services importés, même si l'article 31 de la loi de finances complémentaire pour 2009 précise que les impôts, droits et taxes dus dans le cadre de l'exécution d'un contrat et légalement incombant au partenaire étranger, ne peuvent être pris en charge par les institutions, organismes publics et entreprises de droit algérien. L'application des taux dits de reconversion (Gross-up) conduisent inéluctablement les clients à prendre indirectement en charge le coût de la retenue à la source. Ainsi sur la base d'un service payé net à 100 dollars US (par exemple), le service coûtera 42.85 USD de plus. Ce qui est à méditer lorsque les taux de change se mêlent à la calculette. L'octroi de nouvelles exonérations pour les Start-up L'article 69 de la loi de finances pour 2020 avait prévu que les start-up soient exonérées de l'Impôt sur les Bénéfices des Sociétés (IBS) et de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) pour les transactions commerciales. Cet article est repris sous la loi de finances complémentaire pour 2020 pour préciser la durée de l'exonération à trois (03) années et pour étendre l'exonération à la Taxe sur l'Activité Professionnelle (TAP). S'agissant de la TVA, l'exonération de TVA pour les transactions commerciales est retirée et remplacée par l'exonération de la TVA sur les équipements acquis par les Start-up, au titre de la réalisation de leurs projets. Il est également prévu l'exonération de l'IFU pour celles des start-up soumises à un tel impôt. Il faudra attendre les conditions et les modalités d'application de cet article qui doivent être fixées par voie réglementaire. Espérons que les textes d'application seront publiés rapidement et qu'en l'absence d'une définition juridique de la start-up, les avantages accordés restent centrés sur l'innovation. Par Samir Hadj Ali Expert-comptable (A suivre)