Quand on voit Hajer Sharief pour la première fois, on ne peut s'empêcher de percevoir une ressemblance avec feue Binazir Bhutto. Dynamique et combattive, la jeune Libyenne est une femme de convictions. Diplômée en sciences juridiques de l'université de Tripoli, elle s'est engagée dès 2011 pour la construction de la paix en Libye. Défenseuse des droits humains, membre de la Fondation Kofi Annan, co-fondatrice de l'ONG libyenne «Ensemble nous la bâtirons», elle a de nombreuses cordes à son arc. Cofondatrice du «Réseau 1325» en Libye, pour encourager l'engagement des femmes dans la société civile et la construction de la paix, elle prendra part en 2015 aux travaux du Groupe consultatif d'experts pour l'étude de progrès sur les jeunes, la paix et la sécurité, mandaté par la résolution 2250 du Conseil de sécurité de l'ONU, instance devant laquelle nous la retrouvons le 17 janvier 2018, aux côtés de Ghassan Salamé, où elle porte la voix de la soci1été civile libyenne. Hajer Sharif est l'une des 11 autres championnes de «ONU Femmes». Son engagement lui vaudra d'être nommée au prix Nobel de la paix 2019. Pour Hajer, œuvrer pour la paix est plus qu'une simple occupation. Il s'agit d'un mode de vie, une conviction profonde pour laquelle elle s'investit pleinement : «Nous partons du principe que les guerres sont une erreur. Toute personne qui appelle à la violence, qui la mobilise, qui participe à la guerre ou qui la justifie est dans l'erreur. Pour nous, toutes les parties qui se font la guerre en Libye sont dans l'erreur.» Face à l'option armée, il faut un engagement pacifique et plus que déterminé. «La société civile libyenne est très jeune, elle n'a émergé qu'en 2011. Après qu'elle ait été le fer de lance de la révolution du 17 février 2011, dès 2014 elle devient elle-même une cible pour tous les protagonistes.» Kidnappings, assassinats, chantages, etc. Tous les moyens sont bons pour faire taire les voix des opposants. La spirale de la guerre n'épargne personne, celui qui n'est pas tué est forcé à l'exil ou réduit au silence. Encore plus que les autres, les Libyennes se retrouvent en plus fragilisées et «invisibilisées». L'insécurité est telle que beaucoup hésitent même à sortir. «La femme est prioritairement la cible de la guerre. Elle est visée par tous les protagonistes qui se livrent bataille. Elle n'est perçue ni comme partie de la guerre, encore moins comme sa victime. L'une des affaires les plus marquantes reste cette de la députée de Benghazi, Siham Sarguiwa, enlevée en juillet 2019. Nous ignorons jusqu'à l'heure ce qu'il est advenu d'elle. Tout le monde sait qu'elle a été attaquée pour ses positions politiques.» En prenant contact avec Hajer Sharief pour les besoins de l'article, elle était affairée à suivre le dossier de «Wissal», kidnappée du domicile parental à Tripoli le 20 mai dernier. La jeune fille a été retrouvée le 3 juin en cours, saine et sauve, selon un communiqué du GNA. «Dans l'affaire de Wissal, une bande armée s'est introduite dans la maison familiale, y a subtilisé des choses et a kidnappé Wissal. Si dans l'affaire de la députée le caractère politique est avéré, tel n'est pas le cas de la jeune Tripolitaine. N'importe quelle Libyenne est une cible potentielle», affirme-t-elle. Limitées dans leur pouvoir d'action, les associations en Libye ne ménagent pas leurs efforts pour consolider la société civile. L'alerter, la conscientiser au rôle de la citoyenneté, encourager l'engagement citoyen, surtout celui des jeunes et des femmes. «Depuis 2011, nous sommes à pied d'œuvre. Nos mandats ne nous donnent pas la possibilité de stopper les guerres, nous aimerions pouvoir le faire du simple fait de nos mandatures. Tout comme nos mandats ne nous donnent pas le pouvoir d'améliorer les conditions de vie des citoyens, en leur assurant un salaire, ou l'accès au logement, à l'électricité, à l'eau ou autre service, qui eux relèvent des prérogatives de l'Etat», regrette-t-elle. L'engament à l'international de Hajer Sharief et ses camarades leur permet de faire entendre d'autres voix libyennes que celles des seigneurs de la guerre. Tout aussi important, cela leur donne l'occasion de devenir acteurs de la situation. A défaut de pouvoir prendre des décisions, ils se saisissent du rôle consultatif : «Il nous faut être lucides, l'opération de construction de la paix en Libye, et dans beaucoup d'autres pays en voie de développement, est une opération politique. C'est l'ONU et ses pays membres qui officient aux décisions». De l'avenir de la Libye, Hajer Sharief a un avis clair : «Si la gestion de la question se limitait à la composante libyenne, je serais optimiste. Mais il se trouve que nous sommes otages d'ingérences étrangères. Elles sont à la fois au cœur des conflits armés, mais également aux commandes de la solution. J'avoue mon extrême pessimisme. L'histoire regorge de ces cas de figure où ces mêmes puissances étrangères étaient impliquées dans des conflits similaires à celui de la Libye et dont l'issue est loin d'avoir été en faveur de ces pays-là, encore moins en faveur des peuples.»
Assia Bakir Universitaire à Paris 8. Diplômée en relations euro-méditerranéennes et monde maghrébin