Les crises de dimension planétaire sont généralement propices à toutes sortes de fantasmes, fantasmes nourris par notre imaginaire collectif ; la pandémie en cours nous le rappelle avec force. A cette occasion, nous avons vu une espèce de fiction envahir notre réel, bousculé comme jamais jusque dans ses fondamentaux. Comme dirait Jacques Lacan, le réel est ce que nous recevons en pleine figure de façon brutale et inattendue ; nous voilà donc sur le point de nous transformer en survivalistes illuminés pour assurer notre survie et celle des nôtres, quand ce n'est pas seulement la nôtre propre, devant ce qui était perçu comme un danger immédiat d'anéantissent collectif et général. Les informations les plus alarmistes, les thèses les plus folles à l'origine d'une véritable psychonévrose émotionnelle se sont emparé de notre quotidien, notre champ de pensées saturé par les théories les plus improbables qui nous sont imposées comme une explication plausible à ce désastre annoncé ; c'était Kafka qui s'était invité au royaume d'Ubu. Le sentiment de fin du monde que suggéraient les images savamment travaillées par les médias montrant des métropoles transformées en villes fantômes m'a fait rappeler pour ma part un film des années 70' au titre étonnement prémonitoire (Le survivant) dans lequel un grand acteur (américain bien sûr !) campait le rôle d'un médecin qui devait sauver le peu qui restait de l'humanité ravagée par une terrible pandémie. L'ultra rapidité de transmission de l'information et de la rumeur ne laissant guère le temps pour un quelconque discernement, très vite la théorie du complot avait pris forme, celle d'un troisième conflit mondial qui ne disait pas son nom, d'une guerre économique sans merci, d'une guerre biologique dont on aurait perdu le contrôle, et surtout que cette guerre biologique serait fomentée par une organisation occulte transnationale voire planétaire composée des plus puissants qui auraient programmé de sacrifier une bonne partie de la population mondiale aux seules fins d'assurer la pérennité de leur bien-être ; un monde orwellien en marche sur fond d'un eugénisme prévisible pour lequel l'Afrique serait la victime expiatoire toute désignée pour un génocide programmé qu'on accomplirait au mieux grâce à un virus qu'on aurait fabriqué à dessein, au pire par le moyen d'un vaccin sciemment délétère. Cependant, au-delà de ces fantasmes véhiculés par quelques hurluberlus, une chose nous paraît logique et incontournable, comme les grades pandémies à travers l'histoire ont eu pour la plupart un impact majeur sur les systèmes politiques, les idéologies et les religions et ont été parfois à l'origine du déclin des empires, celle que nous vivons actuellement marquera certainement pour longtemps les esprits et les paradigmes selon lesquels évoluera désormais l'humanité ne seront plus ceux d'avant ; nous voyons révélée par cette crise la remise en cause du monde tel qu'organisé aujourd'hui, révélée par-là même la fragilité de la mondialisation avec ses soubassements que sont l'ultralibéralisme et le consumérisme effréné. La Covid-19 sera possiblement à l'origine de la désunion de certains ensembles et de la création de certains autres, pour finalement remettre en question l'idée d'un village planétaire harmonisé qu'on voulait nous proposer comme une organisation alternative pour le monde de demain et qui vient de se révéler n'être qu'une illusion parce qu'elle consacre notre domination par les force du capital. A en juger des graves disparités entre la qualité des soins réservés aux nantis et ceux accordés aux citoyens quelconques, de la fragilité des systèmes de santé de pays au PIB pourtant élevé qui se sont révélés impuissants à endiguer cette déferlante pathogène de la Covid-19 dont ils n'ont pu que très peu atténuer les conséquences létales à grande échelle. Cette pandémie aura révélé aussi le caractère inopérant de ce système mondialisé si l'on en juge déjà par la quasi-absence de solidarité des systèmes de santé au sein d'unions continentales de plusieurs nations censées pourtant coopérer pour assurer la santé pour tous, faire partager les bénéfices du progrès par le plus grand nombre et gérer de concert une possible adversité collective. Si l'on en juge également sur la volonté des gouvernants de certains de ces pays de fragiliser sciemment les structures de santé publique parce que budgétivores en privilégiant la politique du tout rentable dont le brutal contrecoup a été de dévoiler leur incapacité à assurer à l'occasion de cette pandémie. Ce qui, normalement, pour ce qui nous concerne, devrait nous faire réfléchir pour l'avenir à la mise en application d'une politique de santé efficiente fondée sur la formation des ressources humaines et le renforcement des structures et des équipements et qui devrait se traduire sur le terrain par le développement de systèmes qui assureraient un maillage sanitaire équitable tant en structures qu'en compétences au profit de toute la population. Cette crise aura enfin et contre toute attente révélé le glissement inexorable de plusieurs méridiens vers l'extrême est du centre de gravité de la suprématie planétaire qu'on croyait définitivement dévolue à une certaine puissance ; ce qui pourrait laisser entrevoir notre entrée dans une ère nouvelle dans laquelle des partenaires inattendus voudront prendre part à la feuille de route qui va restructurer le monde de demain. Souhaitons seulement là aussi que cela ne se fera pas au détriment des plus vulnérables et qu'au final régnera un minimum d'équité entre nous, les habitants de cette formidable planète. s