Artiste, militante de la cause amazighe, engagée pour les droits de la femme et des peuples autochtones, Sana Elmansouri est membre fondateur du parti politique libyen Libou, qu'elle quittera par la suite. Le paysage politique libyen, Sana a appris à le connaître et à l'apprivoiser à la fois grâce à sa fonction de journaliste, mais également au travers de ses engagements militants. C'est dans l'histoire amazighe de l'Afrique du Nord qu'elle puise ses modèles de femmes fortes. Dihya, Tin-Hinan, Fadma N'sumer et bien d'autres. C'est à elles que Sana se réfère pour rappeler la place centrale n'tmutut dans la société amazighe. Ni les campagnes de diffamation, encore moins les intimidations et les menaces de mort n'auront raison de sa détermination. «Je suis une Libyenne amazighe libre qui s'exprime haut et fort. Je le fais sans crainte ni hésitation. Je ne parle ni au nom d'un parti politique ni d'une tendance islamiste ou autre.» Sanaa a été le cœur battant de l'émission «Abrid N'tagrawla», dès 2011 sur la chaîne Libya Al Ahrar. «C'était une première dans l'histoire des médias libyens. On parle tamazight à la télévision, encore plus, nous mobilisions un langage politique et de guerre. Nous étions un média de guerre qui donnait des nouvelles du front.» Sana conduira, 5 années durant, interviews et débats avec les noms les plus importants de la scène libyenne. Un moment d'effervescence et d'ouverture, où furent abordés tous les sujets qui étaient interdits sous la Jamahiriya. C'est sur décision politique que prendra fin la collaboration entre la journaliste et sa chaîne. Aujourd'hui, Sana regrette l'état de déliquescence de la sphère médiatique libyenne. «Il y a une guerre sur le terrain et une autre dans les médias. L'instrumentalisation est telle que le spectateur libyen est la cible quotidienne de campagnes de propagande, à la fois interne mais surtout par les chaînes satellitaires. Cet état de fait altère ses lectures du conflit.» De la situation libyenne, elle a une lecture d'une grande lucidité : «La Libye a besoin d'une prise de conscience, pour que soit encouragée l'émergence d'une société civile qui porte le projet d'un Etat civil.» La consolidation de cette société civile et la construction de cet Etat libyen ne peuvent s'envisager sans une citoyenneté pleine et effective pour tous. L'inscription de la composante amazighe dans la Constitution est une exigence non négociable pour Sana et les siens. La Zouari alerte sur la dégradation de la condition de ses concitoyennes. «La femme libyenne est violentée, dans le privé, au travail, dans le secteur de la santé et dans la société. Des femmes sont kidnappées, tuées car elles s'expriment librement, sans que personne ne bouge ou n'exige des explications. Le monde est spectateur, tout en sachant parfaitement qui sont les commanditaires.» L'amélioration de la condition de la femme est primordiale pour faire avancer la Libye. Non dans un rôle de figuration, encore moins comme alibi qui justifierait une ouverture sociétale de façade, la question des droits de la femme lui tient d'autant plus à cœur qu'elle a elle-même été victime des pratiques sociales libyennes violentes avant de décider d'y mettre fin et de prendre son destin en main. Si elle mesure l'importance du concours de la communauté internationale pour la résolution de la crise libyenne, elle sait le relativiser. «De mon expérience personnelle, je n'ai aucune confiance en l'ONU, en la communauté internationale ni en aucune de ses organisations. Je ne parle pas que de la Libye. En 2018, j'ai visité les camps des réfugiés en Syrie, l'échec de ces organisations est réel. Elles reproduisent le schéma de domination nationaliste arabe contre lequel nous nous sommes soulevés. Toutes ces organisations, à leur tête la Mission d'appui des Nations unies en Libye, sont rentrées dans un système »rentier » avec cette »société civile » de façade, créant des réseaux d'influence qui ne cherchent que leurs propres intérêts, sans ceux de la Libye. L'échec est cuisant pour tous, jusqu'ici aucune stratégie n'a été concluante.» Pour elle, la solution doit être impérativement libyenne. «Il y a un besoin urgent que soit mis sur pied un troisième plan, avec de nouveaux visages. Il faut que soient favorisés des éléments qui ont une influence réelle sur le terrain. Nous avons besoin d'un axe national qui œuvre à la construction d'un projet national libyen sans exclusion. Nous sommes pris sous un dôme international inefficace. Leurs outils et politiques sont fabriqués par eux et pour eux. Ils sont nos ennemis. Al Sarraj et Haftar sont leurs instruments, dépourvus de visions politiques qui soient dans l'intérêt de la Libye. Ce dôme n'a rien de libyen, il nous en faut un qui soit national, qui prenne en considération nos intérêts, nos priorités et soit porté par des Libyens», martèle-t-elle.
Assia Bakir Universitaire à Paris 8. Diplômée en relations euro-méditerranéennes et monde maghrébin