Entre Zeleikha Oudjertli, épouse Bouaouni, et les métiers d'artisanat, c'est une histoire d'amour et de passion, cultivée depuis sa plus tendre enfance. Agée à peine de douze ans, elle commencera l'apprentissage des rudiments des métiers du tissage dans son village natal de Aïn Makhlouf, dans la wilaya de Guelma. J'ai fait cet apprentissage sur les pas de ma mère, ma grand-mère et mes tantes, qui ont légué ces traditions à notre famille durant plus de cinq générations, et c'est grâce à elles que j'ai pu conserver encore cet héritage », affirme-t-elle fièrement. Lorsqu'elle a quitté sa terre natale pour s'installer avec sa famille dans une ferme sur le plateau de Aïn El Bey à Constantine, Zeleikha ne se doutait guère que sa vie allait être intimement liée aux métiers nobles de l'artisanat, notamment les tissages. Elle s'y lancera au début des années 1970, alors qu'elle n'avait que 18 ans. Elle manie la laine avec passion et dextérité, un travail qu'elle affectionne vraiment, surtout que le produit est déjà disponible dans la ferme familiale où l'on pratique l'élevage ovin. La matière est soigneusement lavée, avant d'être passée sur le peigne et la carde, pour être filée. « On tire les fils durs pour fabriquer un henbel ou un tapis, ceux plus fins sont préparés pour la confection d'un burnous ou d'une kachabia », explique-t-elle. Dans une pièce de sa maison, Zeleikha s'installe devant le métier à tisser, une « seddaya » en bois de pin, conçue il y a plus de 115 ans. Les formes et les couleurs prennent naissance dans sa tête, avant d'être finement « accouchées » comme une chorégraphie sur la face du tapis. Un bouillonnement d'idées qui transforme la laine et le poil de chèvre en œuvre d'art. Les lignes parallèles et brisées, les losanges presque parfaits, les couleurs qui s'épousent à merveille, et le calcul des nœuds suivant une arithmétique bien précise, sont le fruit d'un travail digne d'une architecte « chevronnée » des tissages. Pourtant, le tout est fait à la main, sans l'intervention d'aucune machine. « Nos mères et grand-mères prenaient le bras d'un homme comme unité de mesure pour fabriquer un burnous, une manière exacte de calculer pour des femmes qui n'ont jamais fréquenté l'école », notera-t-elle. Une chorégraphie des formes et des couleurs En 1975, elle entamera la fabrication du tapis dit « el oûgda », qu'elle a ressuscité pour la première fois à Constantine après des années de recherches. D'une conception simple, forte et claire, l'œuvre est d'une singularité frappante. Ce tissage est un modèle original qui représente un travail de création de par la matière choisie et les techniques utilisées dans sa fabrication. Il est façonné suivant des points bouclés de différentes dimensions, à partir de la laine haute et du poil de chèvre, mélangés dans la carde, puis filés ensemble pour donner un seul fil doublé composé d'une mixture de laine et de poil de chèvre. Le tapis est orné de motifs géométriques sous forme de losanges de grande dimension, disposés au centre, et d'autres petits losanges en chaîne sur les côtés, séparés par des lignes brisées. Les couleurs dominantes sont le rouge, le vert et le noir. Ce tapis peut servir comme ameublement ou décoration, selon le poids et les dimensions. Comme pour le tapis, Zeleikha « enfante » aussi de belles choses en fabricant un burnous en laine, une kachabia, un henbel ou des objets en poterie. « Je ne connais pas le mot impossible et je cherche toujours à créer les belles choses que ce soit sur les tissages ou sur l'argile », confie-t-elle. La beauté et l'originalité de ses œuvres ont fait sa notoriété, aussi bien à Constantine, sa ville d'adoption, qu'à l'échelle nationale où elle s'est distinguée dans diverses manifestations et expositions. La station régionale de l'ENTV de Constantine a même tourné dans sa ferme un film sur son travail en 2007. « C'est grâce à ces métiers que j'ai élevé et éduqué mes enfants qui ont réussi dans leurs études. Transmettre cet art aux jeunes générations, surtout les femmes au foyer, est mon souhait le plus cher, car il s'agit d'un héritage d'une richessesw intarissable », précise-t-elle.