Trois cents films de fiction et 820 documentaires de propagande, consacrés avant tout à l'expansion coloniale française au Maghreb et en Afrique subsaharienne, sont conservés au centre d'archives à Bois d'Arcy près de Paris. Certains titres ont été montrés lors de la rétrospective Images et Colonies à l'Institut du monde arabe (IMA). D'autres peuvent être consultés sur place par les chercheurs et les historiens. C'est en fait un matériau incontournable sur le discours colonial proprement dit. Ce cinéma d'archives a un grand intérêt à la fois historique et scientifique. Selon les responsables du CNC à Paris, la plus forte période de production de films coloniaux se situe entre les deux guerres. Au début du siècle dernier en une seule année, 250 films ont été tournés pour véhiculer le discours de l'occupation coloniale, la soi-disant « mission de civilisation ». L'Etat français de l'époque soutenait financièrement et diffusait très largement ces images d'un imaginaire de pacotille. 50 % de la production était consacrée au Maghreb (Algérie, Tunisie, Maroc) ; le reste au Sénégal, Congo, Cameroun et Mali... Ce qu'on désignait par l'AEF et l'ADOF. Cinéma colonial sans frontières, de Touggourt à Tombouctou... C'est le ministère des Colonies qui supervisait cette production. Des firmes privées comme Pathé, Eclair et les Actualités françaises, se sont aussi spécialisées dans ce créneau. Côté documentaire, la terminologie colonialiste courante donnait à voir des images qui mêlaient exotisme, tourisme, rites religieux, mission catholique, artisanat, raids automobiles au Sahara, vaccination dans les écoles, routes, barrages... Côté fiction, un cheminement quasiment pareil même si c'est moins apparent. Il y avait des films qui n'étaient pas de commande et qui n'étaient pas mineurs au plan esthétique : Pépé le Moko, Le Grand Jeu, L'Appel du silence... œuvres pourtant fortement impliquées dans l'idéologie coloniale. Le personnage de « l'indigène » est toujours en position inférieure à l'homme blanc, le héros, fusse-t-il gangster ou proxénète... Bref, le cinéma colonial dans son ensemble, fiction et documentaire, n'a jamais réussi à représenter de façon exacte et honnête ni l'homme colonisé ni sa culture. Ce cinéma en réalité est celui de l'absence de l'Autre. Bien des années plus tard, après la décolonisation, on a pu constater que l'échange (au cinéma) était toujours inégal. Des cinéastes venus du Nord continuaient à filmer au Sud du point de vue de leur seul regard, véhiculant ainsi un néo-exotisme très étrange (il y aurait toujours d'un côté la civilisation et de l'autre la barbarie). Les paradoxales œuvres ethnologiques de Jean Rouch par exemple ou les très simplistes fictions de Raymond Dépardon (Afrique, comment va la douleur ?) provoquant au débat l'attention et aussitôt après la distance.