La décision d'Abu Dhabi de normaliser ses relations diplomatiques avec Israël n'est pas seulement un coup de poignard planté dans le dos des Palestiniens. Elle constitue aussi une remise en cause de l'action arabe commune. Tout le monde s'en souvient, les Arabes avaient retenu le principe, lors du sommet de l'organisation panarabe qui s'était tenu à Beyrouth en 2002, d'établir une paix globale avec Israël à la condition que l'Etat hébreu se retire des Territoires palestiniens occupés en 1967 et qu'une solution «juste» soit trouvée au problème des réfugiés palestiniens. Ces propositions retenues sous l'appellation d'«Initiative arabe de paix» avaient été réadoptées en 2007 par l'ensemble des membres de la Ligue arabe, exception faite de la Libye. L'initiative avait été approuvée également dans sa globalité par Mahmoud Abbas, le président de l'Autorité palestinienne. Le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, qui avait assisté au sommet, avait applaudi l'initiative, déclarant qu'elle «est l'un des piliers du processus de paix». «Elle envoie un signal prouvant que les Arabes sont sérieux au sujet de la réalisation de la paix», avait-il dit. En nouant des relations officielles avec Tel-Aviv, les Emiratis étaient forcément conscients qu'ils allaient porter un coup fatal à cette initiative de paix. Plus encore, ils savaient qu'ils allaient hypothéquer le peu de crédit qui restait encore à la Ligue arabe. La Palestine était pourtant l'un des rares sujets qui faisait encore consensus au sein de l'organisation panarabe. Hormis la question de la paix au Proche-Orient, les Arabes ne s'entendent en effet sur rien. C'est un secret de Polichinelle. En ne respectant pas la parole donnée, les Emirats arabes unis vont peut-être accélérer la mort de l'agonisante Ligue arabe, dont l'existence n'a désormais plus aucun sens. C'est peut-être bien que les choses soient ainsi. L'opinion arabe, ou plutôt les opinions arabes ont aujourd'hui tout le loisir de se rendre compte par elles-mêmes que cette Ligue arabe n'est rien d'autre qu'un ramassis de potentats dont le moteur principal est la trahison et le retournement de veste. Personne ne va donc pleurer sa disparition. Le rideau est définitivement tombé. La question qui se pose maintenant est de savoir ce que fait encore l'Algérie dans cette organisation, qui est par ailleurs réputée pour être une annexe des ministères égyptiens et saoudiens des Affaires étrangères. Pourquoi continuer à y siéger dès lors que les Emirats arabes unis viennent de vider de son sens la notion de multilatéralisme dans l'espace dit arabe. C'est une perte de temps, d'argent et d'énergie, surtout que rien n'empêche d'avoir des relations bilatérales avec chacun des pays membres de la Ligue arabe. Maintenant que les Emirats ont ouvert la voie de la normalisation, d'autres pays vont certainement s'empresser de faire la paix avec Israël. On parle déjà de Bahreïn, d'Oman, de l'Arabie Saoudite et du Maroc. Pour tout ce beau monde, la question palestinienne représente le cadet de ses soucis. Tout le monde ne pense qu'à protéger ses intérêts propres. A propos d'intérêts, il apparaît clairement que les monarchies arabes du Golfe, auxquelles on peut ajouter l'Egypte, s'acheminent doucement mais sûrement vers la mise en place d'une alliance stratégique avec Israël. Tout le monde l'aura compris, cette alliance est destinée, entre autres, à contrer l'Iran et probablement aussi la Turquie. Le monde arabe est en train de subir une recomposition. Le moment est donc venu de se réveiller. Autrement, le chamboulement en cours pourrait se faire au détriment de l'Algérie.