Près de 20 ans après sa signature à Valence, en Espagne, le 22 avril 2002, et 15 ans après son entrée en vigueur en septembre 2005, l'Accord d'association entre l'Algérie et l'Union européenne est de nouveau remis en question. Le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, a demandé une évaluation express de cet accord, dans une conjoncture économique difficile pour le pays qui est aggravée par la crise sanitaire induite par la pandémie de Covid-19. Reporté il y a trois ans, le parachèvement du processus du démantèlement tarifaire, qui devait arriver à son terme en 2017, a été décalé à 2020. Contrairement à l'Algérie, rarement on a vu l'Union européenne se plaindre de la mise en application des dispositions de l'Accord d'association, si ce n'est, il y a plus d'un an, à propos d'abord de la mise en place par l'Algérie de droits additionnels provisoires de sauvegarde sur certains produits, puis de la montée en puissance du partenaire chinois. Selon un bilan fourni par le ministère algérien du Commerce, en 2011, les importations en provenance de l'Union européenne sont passées de 8,2 milliards de dollars en moyenne annuelle avant la mise en œuvre de l'Accord d'association (2002 à 2004) à 24,21 milliards de dollars en 2011, soit une augmentation de près de 200%. Les exportations algériennes vers l'Union européenne sont passées, elles, en moyenne annuelle, de 15 milliards de dollars, entre 2002 et 2004, à 36,3 milliards de dollars en 2011, soit une augmentation de 140%. Faut-il souligner que ces exportations sont constituées à hauteur de 97% des hydrocarbures. Les exportations des produits manufacturés et des produits agricoles et alimentaires sont passées de 552 millions dollars en 2005 à 1 milliard de dollars en 2010, soit une augmentation de 81% (1). C'est dans ce chapitre des échanges que l'Algérie s'estime très lésée. Les Algériens l'avaient dit déjà de manière claire en 2010, au lendemain de la décision prise par le Conseil d'association tenu à Luxembourg, en estimant que les résultats de l'Accord sont mitigés et très éloignés des attentes de l'Algérie. Mais les Européens ne voient pas les choses de cette manière. Selon un diplomate à Alger, au sein de l'UE, on ne fait pas de distinguo entre les produits manufacturiers, agricoles ou autres et les produits pétroliers et gaziers. Les limites d'un accord et les raisons de l'échec Ces derniers sont considérés comme toute autre marchandise. Pour les Européens, il n'y a donc pas de déséquilibre dans les échanges commerciaux entre les deux partenaires. Mais les derniers chiffres sont parlants. L'Algérie, qui n'a jamais pu placer ses produits, notamment agricoles, en raison des clauses protectionnistes de l'Accord d'association, sur les marchés européens, a importé pour plus de 250 milliards de dollars. Le démantèlement tarifaire lui fait perdre 16 milliards de dollars. La réalité est là. Elle est schématisée par Abdelatif Rebah, économiste, ancien cadre supérieur au ministère de l'Energie, dans une interview à El Watan, en mars 2017. Selon lui, «aucun de nos ‘‘partenaires énergétiques'' majeurs, en l'occurrence l'Espagne, l'Italie et la France, liés à notre pays par des relations d'interdépendance dans un secteur d'importance vitale, l'énergie, ne réalise ne serait-ce que 0,1% de ses IDE en Algérie. Si ces dix dernières années, le volume des importations algériennes de l'Union européenne sont astronomiques, en revanche, durant la même période, les investissements de cette région en Algérie n'ont représenté que moins de 4% de ce montant et encore essentiellement dans les hydrocarbures (...)»(2). La directrice de la Chambre algérienne du commerce et de l'industrie (CACI), Wahiba Bahlouli, annonçait en janvier dernier sur les ondes de la Radio nationale que «les aspects relatifs à l'investissement, dans cet accord, n'ont pas été pris en compte par l'UE, parce que ‘‘mal négociés'' par la partie algérienne». Beaucoup comme elle considèrent qu'à l'origine de cette mauvaise négociation, «le contexte politique qui régnait alors en Algérie». L'Accord d'association aurait été signé, dit-on dans la précipitation par un président (Abdelaziz Bouteflika, ndlr), en mal de légitimité interne et cherchant constamment l'assentiment de partenaires étrangers. Certains même soutiennent qu'il n'y a pas eu de négociations à proprement dit. Mais Cela n'explique pas les échecs et très mauvaises performances de l'économie algérienne. La problématique des IDE en est l'un des exemples les plus édifiants. Un des négociateurs de l'Accord d'association, en l'occurrence l'ancien ambassadeur d'Algérie à Bruxelles, Halim Benatallah, a toujours expliqué, dans ses multiples sorties médiatiques, que les Algériens ne pourraient indéfiniment chercher les arguments à leur échec chez la partie européenne. Selon lui, «en rapport avec les services liés à l'investissement, une clause est couramment violée par notre bureaucratie, c'est celle se rapportant à la présence temporaire de personnes physiques » (article 33). «Un grand nombre de patrons d'entreprises étrangers, souligne l'ancien diplomate algérien, n'obtiennent pas leur permis de séjour et de travail ‘‘pour la durée de leur engagement'' malgré la présentation du très volumineux dossier administratif qui leur est exigé. Ils sont contraints de séjourner avec des accusés de réception ou de renouveler leur visa tous les six mois.»(3) «Accabler les étrangers en général et les Européens en particulier pour justifier l'absence des investissements directs étrangers est un argument impassable lorsque l'on voit comment les anciens gouvernements sont passés champion dans l'art de changer constamment les législations qui régissent l'économie nationale.» L'ancien ambassadeur d'Algérie à Bruxelles, Abdelhalim Benatallah, lors d'un débat organisé par CARE (Cercle de réflexion et d'action sur l'entreprise), a affirmé que «le texte de l'accord est ‘‘neutre'' et que c'est l'incapacité de la partie algérienne qui l'a rendu aussi négatif». Mettant en avant «les défaillances de la partie algérienne et son incapacité à réformer pour accompagner un accord ambitieux», la même source avait donné une parfaite illustration sur les raisons de l'échec. «L'Algérie, rapportait-il, avait engagé une procédure pour être admise dans des structures de recherche. Elle a reçu une réponse favorable mais elle n'a ‘‘pas donné suite à sa propre demande''.» Aujourd'hui à Alger, la décision est prise pour changer le contexte. Le président Abdelmadjid Tebboune s'est engagé à le faire. Mais la partie européenne est-elle disposée à accéder à la demande algérienne. La question a été abordée lors de la visite en Algérie, il y a deux ans, de Federica Mogherini, haute représentante de l'UE pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité et vice-présidente de la Commission européenne. Assisterons-nous à une autre étape dans les relations Algérie-Union européenne dans la perspective du démantèlement tarifaire prévu le 1er septembre prochain ? L'Algérie veut la refondation de ce partenariat. L'ancien ambassadeur d'Algérie à Bruxelles avait plaidé pour une troisième génération d'accords. Selon lui, le «devenir de l'Accord se pose sous une triple problématique aux effets interconnectés : comment gérer l'AA sans la perspective d'adhésion à l'OMC ? Comment le gérer sans un véritable engagement pour des réformes visant à faire de l'Algérie une entreprise productive ? Comment gérer l'AA par temps de ‘‘crise'' ?» La question est, expliquait-il, d'autant plus complexe que nombre de «dispositions communes» de l'Accord sont d'application alors que l'Algérie n'est pas membre de l'OMC. Le chapitre sur le commerce des services (titre III de l'AA) devra, tôt ou tard, faire l'objet d'une reprise des négociations avec l'UE, disait-il, en estimant par ailleurs que «cette négociation est conditionnée par une autre entente préalable avec l'UE, dans le cadre du processus d'adhésion à l'OMC». Ces questions d'une grande importance, jugeait Abdelhalim Benatallah, sont à trancher pour, enfin, sortir de l'impasse et dénouer l'enchevêtrement des négociations. Plaidoyer pour refonder le partenariat entre Algérie et l'UE L'actuel ambassadeur d'Algérie à Bruxelles semble travailler dans cette optique de réformes du partenariat entre l'Algérie et l'Union européenne. Amar Belani avait déjà donné quelques indices concernant la vision algérienne sur la refondation de l'Accord d'association. «La densification de la coopération, qui s'est accompagnée de la conclusion de nombreux instruments et conventions, pave la voie, de manière concrète, à cette nouvelle dynamique que les deux parties ont l'ambition d'impulser dans le cadre de l'équilibre des intérêts.» Le diplomate algérien, qui affirmait que «cette refondation est devenue nécessaire depuis l'adoption de la nouvelle politique de voisinage rénovée qui a été débarrassée des scories de l'ancienne approche européenne en direction du partenariat du Sud (paternaliste, verticale et euro-centriste)», rappelait dans une ancienne déclaration que les axes retenus à l'époque dans le cadre de nouvelles discussions étaient, selon la même source, au nombre de cinq : «Le dialogue politique, la gouvernance, l'Etat de droit et la promotion des droits fondamentaux ; la coopération, le développement socioéconomique inclusif, les échanges et l'accès au marché ; le partenariat sur l'énergie, le changement climatique, l'environnement et le développement durable ; le dialogue stratégique ; la sécurité et la dimension humaine, les migrations et la mobilité.» Mais ne faudrait-il pas avant tout faire une évaluation de la situation. Du côté algérien, l'idée semble fixée. L'Algérie réclame depuis 2015 de revoir le contenu de l'Accord. Selon Amar Belani, la demande algérienne partait du principe que(4) «1- les circonstances prévalant au moment de la signature de l'Accord d'association en 2005 ont fondamentalement changé ; 2- le bilan de la coopération, censé revêtir un caractère asymétrique à l'avantage de l'Algérie vu l'écart de développement, est toujours en faveur de l'UE (en 11 ans de mise en œuvre de l'AA, l'Algérie a importé pour plus de 250 milliards de dollars et a exporté vers l'Europe pour moins de 14 milliards de dollars en produits hors hydrocarbures) ; 3- la faiblesse des investissements européens en Algérie alors qu'ils sont censés compenser le manque à gagner du Trésor public en recettes douanières et aider à l'émergence d'un tissu productif national compétitif». A la lumière d'éventuelles nouvelles règles et une refondation de l'Accord d'association avec l'Union européenne, une démarche qui est visiblement partagée par les deux parties, il est nécessaire de nourrir à la fois de l'ambition et de l'espoir. Pour une raison très simple : les obstacles qui s'érigeaient contre l'investissement étranger, par exemple, pourraient enfin être levés. Il est attendu de nouvelles perspectives en cela que le nouveau gouvernement a promis «d'apporter de la stabilité et de la visibilité aux lois pour donner des garanties à l'investisseur». Il est loin de penser que l'Algérie, même si elle s'oriente vers la diversification de partenariats, désertera son milieu naturel qu'est la Méditerranée et sa proximité avec l'Europe. Les liens sont à la fois historiques, géographiques et sociologiques. Le partenariat a aujourd'hui plus de chances de réussir qu'il n'en avait auparavant, si les conditions de sa mise en pratique sont réunies. En tout cas, «l'UE a tout intérêt à voir en l'Algérie un partenaire qui se développe durablement et qui est économiquement solide». C'est le scénario le plus optimiste. Les plus pessimistes regardent du côté de ceux qui revendiquent aujourd'hui l'annulation pure et simple de l'Accord d'association et la frilosité européenne à mettre plus de confiance dans ses rapports avec son partenaire du Sud, avec lequel elle doit aussi discuter des questions aussi importantes, liées à la sécurité et la circulation des personnes. En fait, l'Europe doit manifester plus d'intérêt à ce côté-ci de la Méditerranée, comme le pense un professeur de droit public à l'Ecole nationale d'administration pour qui «l'Europe se désintéresse de plus en plus du Maghreb en général, de l'Algérie et de la Tunisie en particulier, en raison la lenteur anormale avec laquelle s'accomplissent les réformes et la dominance d'une fausse économie de marché. Le grief d'indifférence ne cessera que le jour où l'Algérie se donnera les moyens de faire émerger une véritable économie de marché, fondée sur la liberté de la concurrence, le recul de la corruption et l'indépendance de la justice et des autres autorités de régulation». Et ce sont bien là les nouvelles priorités de partenariat qui semblent redonner du dynamisme aux relations de l'Union européenne avec l'Algérie. Cela a été mentionné lors de la dernière visite en mai 2018 de la chef de la diplomatie européenne, Federica Mogherini, à Alger . Pour l'Algérie, l'Union européenne est «un partenaire structurel majeur et historique». L'objectif, affirmait l'ambassadeur d'Algérie à Bruxelles, est de trouver ensemble les mécanismes susceptibles d'aboutir à un équilibre dans la coopération et à une complémentarité dans tous les domaines d'activité, de sorte que les pertes subies dans les échanges commerciaux soient compensées par les investissements et le concours financier dans la réalisation de certains programmes.
1)- Source : ministère algérien du Commerce 2)– Source : journal El Watan, mars 2017 3)– Halim Benattallah, ancien ambassadeur d'Algérie à Bruxelles, contribution Le Quotidien d'Oran, 20 septembre 2015 4)- Amar Belani, actuel ambassadeur d'Algérie en Belgique, Interview El watan mars 2017.