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Massacre d'un village
Publié dans El Watan le 24 - 08 - 2020

L'auteur de cette nouvelle publiée dans la revue Promesse en juin 1970, avait neuf ans au moment des faits et il n'apporte ici que son témoignage ; témoignage d'un enfant qui pendant quelques jours a vécu dans un village du Constantinois – Aïn Abid –, l'un des plus horribles carnages vécu par la population civile.
Absorbés par leur jeu, les garçons avaient oublié l'heure. L'heure passait, repassait, naissait, renaissait ; morte chaque fois e chaque fois ressuscitée : éternelle mesure du temps, inventée parles hommes pour diminuer leur vertige et leur angoisse devant le gouffre de l'infini.
Un autre enfant, bébé encore, cul nu, regardait le soleil à travers ses doigts déjà secs. Ses pieds s'agitaient – fragile expression de présence – dans un rond d'ombre. Les billes roulaient et laissaient derrière elles sur la poussière des traces légères et courbes. Le soleil stagnait à mi-chemin.
Dans la chaleur, les gestes prenaient un effet de ralenti et de las. Les voix s'étouffaient sur les lèvres. La voiture d'un colon traversa la cour des garages sans bruit. Deux hommes, en gandoura blanche, se pressaient vers la mosquée pour être à l'heure de la prière. Le muezzin appelait et son chant parvenait faible aux oreilles des jeunes joueurs.
Soudain, un cri fusa, rompant ainsi un trop grand silence. Les garçons se dressèrent d'un bond, le bébé, surpris, ôta rapidement sa main de son visage. Son sourire naïf s'effaça d'un coup. Ses yeux s'arrondirent de surprise et de peur.
Un autre cri, plus près et plus fort, s'éleva.
– El djihad fi sabil Allah !
Des hommes surgirent du coin de la rue. Les enfants s'enfuirent, abandonnant leurs billes éparses sur la poussière. Le bébé se mit à pleurer. La horde passait déjà.
Quelques-uns étaient à cheval, les autres suivaient à pied. Ils brandissaient chacun une arme : un fusil, une hache, ou alors tout simplement une fourche. Yassine tenait son jeune cousin par la main et l'entraînait dans une fuite folle. Ils se jetèrent tous deux dans les bras d'une parente. Tous les enfants se précipitèrent chez eux. Une main vigoureuse souleva le bébé. Son père courait en les serrant fortement contre sa poitrine. Les femmes inquiètes étaient déjà debout aux portes.
– Qui sont-ils ?
Des coups de feu résonnèrent. Les portes se fermèrent d'un coup.
Les femmes disparurent. La rue redevint plus déserte qu'avant. Les coups de feu, après un bref arrêt, résonnèrent avec plus de violence. Le sirocco s'était mis à souffler, lent et brûlant. L'air sentait la poudre.
– Qui sont-ils ?
Chut ! ordonna la tante de Yassine en mettant son doigt sur sa bouche. Par l'entrebâillement de la porte, elle surveillait la rue. Sa grand-mère, sourde depuis une dizaine d'années, l'interrogeait du regard. Elle n'avait rien vu et n'entendait rien. De temps en temps, elle lançait un regard triste et inquiet aux enfants essoufflés.
Brusquement, la tante s'élança dehors.
– Nasser, mon fils !
Le jeune homme courait de toutes ses forces. Mère et fils se jetèrent l'un sur l'autre dans un élan éperdu, brutal et délivrant.
Son oncle arrivait, lui aussi, en boitant. II était à la mosquée. Ils avaient quand même terminé la prière. La foi avait dominé la peur. Quelques-uns étaient restés, d'autres avaient rejoint la horde.
Les épiciers s'enfermèrent dans leur épicerie.
– Ils ont tué le maire et ils ont brûlé la poste.
– Ton père, où est-il ?
– Et ton frère ?
– Mon Dieu protégez-nous.
Deux ou trois heures après, les coups de feu cessèrent. Le village pénétra dans un silence lourd et angoissant. Les portes s'étaient ouvertes, timidement d'abord, puis toutes grandes.
Dans les rues, les hommes se réunissaient en petits groupes, les femmes restaient au seuil des maisons, les enfants s'accrochaient à leur robe.
– Ammar Sahraoui est parti avec eux.
– Mon Dieu, et ses filles ?
La grand-mère de Yassine interrogeait toujours :
– Que se passe-t-il ?
Les hommes discutaient avec agitation. Les femmes gesticulaient en mimant gravement. Les enfants regardaient, peureux.
Un homme traversa l'autre rue.
– C'est Joseph, il leur a échappé.
– Et la vieille Titine ?
– Non, tu es fou !
Les ombres s'allongeaient sur la poussière. Le soleil déclinait à l'horizon. Le sirocco devint moins brûlant.
Les hommes parlaient toujours. Quelques-uns fumaient en tirant nerveusement sur leur cigarette.
Les femmes étaient rentrées. Les enfants avaient pris leur place aux pas de portes, et risquaient de temps en temps, sous le regard sévère du père, un aller-retour rapide dans la rue.
Soudain un cri s'éleva.
– França ! França !
Courage
Loi non écrite
Feu dévorant qu'active
Souvent la haine
Courage,
Volonté d'affronter le danger,
De se soulever.
Courage,
Né de l'oppression et
De l'injustice, né de
L'abaissement.
Essence forte et mystérieuse
Mot qui laisse
La bouche ouverte
Aux faibles et aux enfants.
Puissant compagnon,
Inséparable
Du vouloir mourir
Pour que naisse une idée,
Pour que soit forgé un but,
Pour que se concrétise…
LA LIBERTE
Courage.
Les hommes du village n'avaient peut-être pas encore ce courage. Même si ce courage était inné chez eux, le but n'était encore que rêve, rêve qu'ils n'osaient laisser gratter leur mémoire, faire un chemin jusqu'au sein de leur cœur noir pour y découvrir le feu, rêve qu'ils n'osaient rêver de peur de crier un mot en leur tête depuis longtemps actif et brûlant ; verbe immortel de tous les oppressés. Pour ne pas aussi lever leurs bras et tendre leurs mains usées par les travaux de l'exploiteur, vers des armes cachées trop longtemps…
– Franca ! Franca ! cria encore le jeune berger.
Les groupes se dispersèrent. La rue redevint morte. Les hommes écoutaient derrière les portes le bruit des chars.
Ils étaient loin, mais la terre tremblait déjà. Ils semblaient venir de partout : d'Oued Zenati, du Kroubs, d'EI Aria et peut-être même de là-bas, du côté du château d'eau.
La nuit couvrait lentement le village et les étoiles ne brillèrent pour personne. Le berger avait déserté la sienne et se réfugiait dans le lit d'un oued. Les fellahs quittaient les maisons, abandonnant moissons et cheptel.
Le toit d'une ferme vola en éclats sous les obus d'un char.
Les balles jaillirent des canons, brûlantes et traçantes dans la nuit noire à la recherche d'un dos innocent.
Et cette nuit-là à Aïn Abid, cette nuit du 20 Août 1955, commença l'horrible massacre d'un village.
Dans les maisons, les quinquets s'allumèrent plus faiblement que d'habitude. On avait diminué la flamme comme pour veiller un mort ou un agonisant.
Une rafale déchira la nuit.
Le bébé tressauta sur les jambes de son père.
Puis une autre, et les coups de feu se succédèrent sans arrêt. On eut dit un enfer. La nuit brûlait rouge au-dessus des sillages des balles.
Vers l'aube, le silence s'était rétabli, plus grand, plus fort, plus pesant, plus angoissant.
– Qui sont morts ?
– Un parent ? Un ami ? une femme ou un bébé ?
Le sang courait endiablé, dans les veines, s'arrêtait brusquement puis reprenait sa course folle.
La tête éclatait d'un coup, sombrait dans un vertige évanouissant puis revenait toute entière sur les épaules d'un corps las.
Qui aurait pensé manger ou dormir cette nuit-là ?
Le bébé ne voulait pas dormir, sa mère l'avait frappé mais il n'avait pas pleuré. Comprenait-il le sacrilège de troubler pareil silence ?
Dans la maison voisine, une femme avait parlé, doucement pourtant, mais les mots sonnaient comme des cris.
— Mais Yassine tu es là ?
Avait-il oublié de rentrer chez lui ?
La peur provoque-t-elle l'oubli ?…
— Mon Dieu, dans quel état doivent être tes parents maintenant ?
Dans une autre maison, une femme priait. C'était la mère de Yassine ; son seul fils, le seul vivant après douze enfants.
Ventre fécond mais combien malchanceux. La mort allait-elle emporter le treizième ?
Le père, debout dans la cour, levait la tête vers les étoiles et cherchait dans sa mémoire un verset du Coran à réciter pour en faire une prière acceptable de Dieu… Qui sait ?…
A la campagne, la ferme détruite brûlait encore. Les flammes illuminaient les alentours d'une lumière rouge et crue.
Mohamed avait réuni toute sa famille (sa femme et ses huit enfants, ses deux belles-sœurs et leurs six enfants) au bord de l'oued, à côté d'une mare.
Les enfants dormaient, terrassés par la fatigue. La lune baignait leurs visages calmes d'une lueur blanche.
Sommeil d'épuisement dans lequel le cerveau ne fait plus de cauchemars et le corps ne fait plus de soubresauts.
Ils n'avaient pas vu, près d'eux, entre les joncs, au milieu de la boue, le corps inerte du jeune berger tué par une rafale avant même qu'il ne se lève.
Une à une les étoiles s'effacèrent sous la claire, envahissante et lente lueur de l'aube.
L'aube,
Désolation
ô mon cœur en débris
Désolation
En ces terres en blé,
Labourées par les chars
Et brûlées par le feu.
Désolation
En cette aube sombre,
En nos cœurs, ou le soleil
Regarde LA MORT
Frapper à nos portes
Et choisir les plus jeunes
Et les plus vigoureux,
Choisir les enfants.
Ou alors ne rien choisir,
Prendre dans le tas,
Dans les maisons,
Des bras…
Des seins…
Désolation
ô mon âme ravagée
Par le cri du bébé
Dans le ventre de sa mère
Désolation.
Désolation
Ou même les chiens avaient peur
Et tremblaient sous les lits.
Je les ai vus,
De mes yeux
Et j'en garde encore
Et toujours
L'inoubliable
L'indélébile
Souvenir de
Désolation.
Du côté ouest, le ciel était encore sombre, mais à l'est, juste au-dessus du découpage irrégulier de l'horizon, il éclatait rose et argent, de lumière éblouissante.
Les débris et les cendres de la ferme brûlée s'entassaient en un amalgame hétéroclite.
Le chien errait dans un camp nomade abandonné. Le vent gonflait les tentes. Un tas d'épis d'orge, glanés péniblement dans les champs, après le passage des moissonneuses, était dispersé. Un char passa à côté du campement, s'arrêta, son canon décrivit une large courbe et les coups tonnèrent, assourdissants.
L'atmosphère vibrait sous chaque détonation.
Le chien avait fui. Pauvre animal, il ne savait même pas, dans sa course éperdue, qu'un éclat l'avait atteint et qu'il boitait… qu'il boiterait désormais.
Une jeep rejoignit le char.
– Ils sont tous partis, mon commandant ! cria le soldat de la tourelle à l'officier debout dans la voiture.
– II faut les rattraper. Essayez d'atteindre le flanc de la colline là-bas, je vais vous envoyer les autres.
Couchés derrière les rochers, les nomades regardaient se déployer les chars. Ils arrivaient de trois différentes directions, sillonnant les champs de blé.
– Ils vont nous encercler !
– Nous allons fuir d'un côté et laisser les femmes et les enfants.
Ils nous suivront et concentreront leurs tirs sur nous.
Un sous-officier, debout à la tourelle d'un véhicule blindé scrutait les rochers à l'aide de ses jumelles.
– Attention les voilà ! Tous à gauche !
Les chars pivotèrent lourdement.
– Feu !
Par Abdelhamid Mecheri


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