Le procureur de la République près le tribunal de Chéraga (Alger) a requis, jeudi, contre les principaux accusés dans l'affaire de la femme d'affaires Nachinache Zoulikha-Chafika, dite «Mme Maya», des peines allant de 10 à 15 ans de prison ferme. Alors que les plaidoiries se poursuivaient toujours hier en fin de journée, au tribunal de Chéraga, au troisième jour du procès de l'affaire dite de Mme Maya, de son vrai nom Zoulikha Nachinache, connue comme étant la prétendue fille cachée du Président, jeudi dernier, et après une journée de débats avec les prévenus et les témoins, le procureur a réclamé de lourdes peines contre les mis en cause. Après la plaidoirie de la partie civile, représentée par Me Zakaria Dahlouk qui, agissant au nom du Trésor public, a demandé à Mohamed Ghazi et à Abdelghani Zaalane, respectivement anciens ministres du Travail et des Transports, le paiement d'un préjudice évalué à 1,234 milliard de dinars, le procureur est revenu sur les faits reprochés à chacun des mis en cause, avant de prononcer son lourd réquisitoire. Ainsi, il requiert une peine de 15 ans de prison ferme et 6 millions de dinars d'amende contre Mme Maya, la même peine avec un million de dinars d'amende contre Mohamed Ghazi, Abdelghani Zaalane, une autre de 12 ans de prison ferme et un million de dinars contre Abdelghani Hamel, Abdelghani Belaïd, et Karim Koudjil, et Belkacem Bensmina (les ex-fiancés des deux filles de Mme Maya). Le procureur a réclamé 10 ans de prison ferme assortis d'un mandat de dépôt à l'audience, contre les deux filles, Farah et Imène, de Mme Maya, la même sanction contre Amar Yahiaoui, mais avec un mandat d'arrêt international, une autre de 10 ans de prison ferme contre Miloud Benaicha, Mohamed Cherif, Mustapha Boutaleb et 5 ans contre Chafiâ Ghazi, le fils de Mohamed Ghazi. Une bonne partie de la journée a été consacrée aux questions du procureur et des avocats aussi bien aux prévenus qu'aux témoins à charge dont les réponses des uns et des autres ont permis de lever une partie du voile qui entoure cette affaire. L'audition des principaux prévenus notamment les deux ex-ministres du Travail, Mohamed Ghazi, des Transports, Abdelghani Zaalane, et l'ex-patron de la police, Abdelghani Hamel, et malgré la légèreté des questions du juge, ont dévoilé l'énorme poids de «la politique du téléphone» dans la gestion des affaires de l'Etat. Mohamed Ghazi, qui apparaissait malade et incapable de répondre aux questions du juge, a fini par surprendre l'assistance par sa réaction. D'emblée, il nie en bloc tous les faits qui lui sont reprochés en précisant : «M. le juge, j'ai découvert que Maya n'était qu'un surnom qu'en 2017. Je la connaissais en tant que Maya, la fille du président Abdelaziz Bouteflika.» «Les demandes de fakhamatou Bouteflika étaient un ordre» Il encense ce dernier, lui exprime tout le respect et l'évoque comme s'il était encore en poste, suscitant l'étonnement de l'assistance. Le juge le ramène au sujet. «Qui vous l'a présentée ?» lui demande-t-il. Ghazi : «C'est le président Bouteflika en personne qui m'a contacté par téléphone et m'a informé qu'il allait m'envoyer des membres de sa famille et il m'a dit clairement ‘‘Ethalafihoum'' (prends soin d'eux). J'étais wali de Chlef. Puis son secrétaire particulier, Mohamed Rougab, m'a appelé pour me dire que des membres de la famille du Président allaient venir me voir. Deux ou trois jours après, j'ai reçu Maya et sa fille dans mon bureau au siège de la wilaya. Je lui ai affecté une forêt après qu'elle se soit engagée à la transformer en parc d'attractions. L'endroit était un lieu de débauche et de drogue, et elle il devenu aujourd'hui un lieu de rencontre des familles et de nombreux postes d'emploi ont été créés.» Le juge : «Est-ce que Bouteflika vous a demandé de lui accorder ce projet seulement ou d'autres aussi ?» Ghazi : «Le Président était le chef suprême des forces armées. Ses demandes étaient des ordres.» Le juge : «Est-ce qu'il est intervenu dans d'autres projets ?» Ghazi : «Comme le dit l'adage : l'intelligent comprend au clin de l'œil et l'âne aux coups de poing. Les demandes du Président sont des ordres.» Le président : «Vous aviez affecté deux chauffeurs à Mme Maya. A quel titre ?» Ghazi : «Ce n'est pas vrai !» Le juge : «Maya vous a-t-elle demandé d'intercéder en sa faveur auprès de Zaalane ?» Ghazi : «Bien sûr. Elle m'avait dit qu'elle était la fille de Bouteflika et qu'elle ne connaissait pas Oran. Elle m'a demandé de lui obtenir un rendez-vous avec Zaalane, pour qu'il lui facilite la procédure pour son projet. Je ne pouvais pas la contredire sur le fait qu'elle était la fille du Président. Je n'ai même pas osé lui demander sa carte d'identité.» Le juge : «Lorsque vous aviez su qu'elle n'était pas la fille du Président qu'avez-vous fait ?» Ghazi : «J'ai demandé l'annulation de tous les actes qu'elle avait obtenus...» Le magistrat : «Et les logements sociaux que vous lui avez affectés ?» Ghazi : «Chaque wali dispose de10% des logements. Je lui ai affecté les deux logements, parce qu'à Chlef, elle n'avait pas où aller lorsqu'elle venait.» L'ex-ministre s'effondre en larmes et jure au nom de Dieu : «Je n'ai jamais volé ou dilapidé», puis cède sa place à Abdelghani Hamel. Lui aussi nie tous les faits qui lui sont reprochés et déclare : «De toute ma vie je n'ai rencontré cette femme que deux fois. La première chez Ghazi à son domicile familial autour d'un déjeuner, en présence de son épouse et ses enfants. Il m'avait dit que la fille du Président voulait me voir. La seconde fois, c'est Ghazi qui m'a contacté et informé que cette femme a fait l'objet d'un vol et qu'elle veut avoir une protection et un système de caméras-surveillance qu'elle s'est engagée de payer. C'est ce que j'ai fait et la facture, c'est elle qui l'a payée. Elle a également demandé une protection de l'entourage de la maison pour enquêter sur les auteurs du vol. Elle m'a été présentée comme la fille du Président.» Le juge : «Pourquoi n'avez-vous pas vérifié ?» Hamel : «J'avais en face de moi un ministre en activité et un secrétaire particulier du Président. Comment puis-je mettre en doute leur parole ?» Le juge : «De qui dépendent les agents qui ont installé les caméras de surveillance ?» Hamel : «Du service des moyens technique de la Sûreté nationale.» Le juge : «Avez-vous envoyé des agents pour assurer le dressage de son chien ?» Hamel : «Je ne suis pas au courant de cette affaire. Les chiens de garde ne relèvent pas des prérogatives de la Sûreté nationale.» Le juge : «Niez-vous avoir mis une protection policière à la disposition de Mme Maya et un chauffeur à sa fille ?» Hamel enfoncé par le témoignage de ses anciens officiers Hamel nie totalement ces faits. Mais il sera confondu par des témoins à charge. D'abord le contrôleur Azzedine Maakouf, directeur des moyens techniques à la Sûreté nationale, qui affirme : «Le directeur général m'a appelé et demandé d'installer un dispositif de sécurité pour des membres de sa famille, sans me préciser de qui il s'agit. Une équipe a été placée pour protéger la villa 143 de Moretti, et des éléments de protection se relayaient.» Le juge lui demande à quel titre et l'officier répond : «C'est le directeur général de la Sûreté. Il est responsable de la sécurité. J'exécute ses instructions. Je ne cherche pas à comprendre. Il m'a demandé d'installer des caméras. Il y en a eu sept installées par l'équipe technique de la DGSN. Pour le paiement de la facture, il a dit que c'est lui qui s'en est chargé.» Du fond du box, Hamel conteste : «Je le défie de me ramener un seul rapport de mission. C'est quelqu'un qui connaît de nombreux ministres. Lorsque j'ai essayé de l'enlever du poste, j'ai subi d'énormes pressions.» Le témoin réplique : «En mission, nous sommes en contact direct avec la salle des opérations à laquelle nous rendons compte de tous nos mouvements. Les rapports existent.» L'autre confrontation qui compromet Hamel a eu lieu avec Mehdi Mhidi, directeur du service de la protection des personnalités, qui confirme avoir reçu des instructions de son directeur général pour mettre un dispositif de protection à Maya, sans pour autant savoir de qui il s'agissait. «Nous venions d'installer le dispositif de protection autour de la maison de Amar Saâdani, lorsqu'on nous a appelés pour aller à la villa 143, pour installer le même dispositif...», affirme le témoin. L'autre confrontation a été faite avec un officier chargé du dressage de chiens, qui confirme qu'il avait entraîné le berger allemand de Maya pour qu'il devienne un chien de garde et pris en charge un caniche de sa fille. Puis c'est au tour de Abdelghani Zaalane. Il nie, rejette toutes les acusations et jure lui aussi n'avoir jamais connu ou vu Mme Maya, jusqu'au jour où il a été présenté au tribunal. «J'étais wali à Oran, à quelques mois de la fin de ma mission, j'ai reçu un appel téléphonique de Mohamed Ghazi, qui était wali de Chlef et il m'a dit clairement que le Président et son frère vont m'envoyer des membres de leur famille pour les prendre en charge, sans pour autant me préciser les raisons de la visite. J'ai fixé un rendez-vous en lui disant que lorsqu'ils arrivent à la wilaya, ils se présentent comme étant les personnes envoyées par Ghazi. Quelques jours après, j'ai reçu dans mon bureau Abdelghani Belaid et Benaicha et ce dernier m'a demandé une parcelle de terrain pour un investissement et Belaid a sollicité un autre terrain pour la réalisation d'un centre commercial à Oran. En dépit du fait que celui-ci remplissait toutes les conditions d'investissement, je lui ai dit qu'il n'y avait pas d'assiette à Chetaibia mais à Tafraoui, où il pouvait réaliser son unité de froid. Mais ce qui a retenu mon attention, c'était l'arrogance et l'excès d'audace de Belaid, juste pour le fait qu'il soit recommandé par la Présidence. J'ai alors appelé le conseiller à la Présidence, Saïd Bouteflika. Je l'ai informé et il m'a dit qu'il n'a envoyé personne et mon frère, le Président ne l'a pas fait aussi. Il m'a affirmé qu'il suivait l'affaire. Après cette communication, je me suis senti victime d'une escroquerie. J'ai décidé d'annuler les deux décisions d'affectation de terrain que j'avais signées pour Benaicha et Belaïd». Chacun des prévenus repasse à la barre pour être interrogé par le procureur et les avocats. «Le président me l'a présentée comme un membre de sa famille» L'exercice commence avec Mme Maya, qui n'arrive pas à donner la valeur exacte des bijoux retrouvés chez elle, ni leur poids, parce qu'elle ne les a pas pesés, dit-elle. A propos des 950 millions de dinars trouvés chez elle dans des boîtes, elle affirme que c'est Amar Yahiaoui, un de ses voisins, parmi les principaux prévenus, en situation de fuite, qui les a ramenés la veille à la maison. «Il les a laissés chez moi, sous prétexte qu'il y avait des invités chez lui. Il devait les reprendre, mais il n'est pas revenu et les services de sécurité les ont trouvés.» Elle confirme avoir demandé une protection à Abdelghani Hamel, après le vol qu'elle eu à la maison. Le juge : «Qui vous a volé ?» Maya : «Je ne sais pas. Je vous renvoie la question. Après le premier vol, l'auteur a été arrêté. La deuxième fois, ils sont revenus puis ont été arrêtés par les gendarmes. Ces vols sont volontaires. Ils s'acharnaient contre moi.» Le procureur insiste sur les 950 millions de dinars trouvés chez elle et elle persiste à dire que c'est Yahiaoui qui les a déposés chez elle sciemment. Un de ses avocats lui demande d'expliquer sa relation avec le Président déchu. Elle affirme qu'il était l'ami de son père, un ancien moudjahid de la Wilaya IV, et qu'elle le connaissait depuis des années, bien avant qu'il ne soit Président. Elle affirme que la première fois qu'elle est allée voir Ghazi, à Chlef, elle s'est présentée comme Mme Maya Belaachi, son nom d'époux, pour un dossier d'investissement, qui était bloqué depuis 2001, en précisant ne lui avoir rien demandé. «J'ai été voir le président Bouteflika. Je lui ai parlé de ce projet bloqué à Chlef. Deux ou trois jours après, son secrétaire particulier, Rougab, m'a appelé en m'informant qu'il m'a réservé un rendez-vous avec le wali de Chlef. Depuis cette rencontre, nous sommes restés amis.» Elle confirme avoir eu comme associé Ali Talbi, prévenu en détention, qui a par la suite racheté l'affaire. Sur le rendez-vous avec Abdelghani Zaalane, à Oran, elle affirme : «Yahiaoui m'avait demandé de l'aider pour obtenir des terrains à Oran, pour des projets d'investissement. J'en ai parlé à Ghazi. Il m'a dit qu'il le connaissait. Il a vite fixé une date pour le rendez-vous. Je ne savais pas que son fils Chafiâ s'est déplacé aussi à Oran. Après leur retour, Yahiaoui a déposé chez moi les boîtes d'argent. Il les a donnés à la femme de ménage, laquelle les a donnés à ma fille. Je n'étais pas présente. J'ai su que c'était de l'argent, lorsqu'il est revenu pour prendre 5 millions de dinars. Il avait l'habitude de venir à la maison avec des courses.» Abdelghani Belaid affirme, quant à lui, avoir rendu service à son ami Miloud Benaicha, en remettant l'argent à Yahiaoui. «J'avais à faire à des gens puissants qui pouvaient me faire du mal» Le juge lui fait savoir qu'il a servi d'intermédiaire, mais lui conteste : «Je ne savais pas que c'était de l'argent. Benaicha était occupé à Oran, il m'a sollicité pour remettre le colis à Yahiaoui, à Alger. Il m'attendait au parking de Moretti, où il habite. Il l'a pris, on est parti chez Mme Maya, et il l'a déposé chez elle.» Appelé à la barre comme témoin, Mohamed Rougab, l'ex-conseiller et secrétaire particulier du Président déchu, affirme que Mme Maya connaissait le Président. «C'est le Président personnellement qui m'a appelé pour me demander de l'aider. Elle est venue une seule fois à la Présidence. Le Président me l'a envoyée pour prendre en charge son problème qui était lié à un projet d'investissement bloqué à Chlef. J'ai appelé Ghazi, qui était wali, en lui disant que le Président vous demande de l'aider.» En fin de journée, c'est au tour de la partie civile, représentée par l'AJT (Agent judiciaire du Trésor), Me Zakaria Dahlouk. Il demande, à Mohamed Ghazi et à Abdelghani Zaalane, le paiement d'un montant de 1,234 milliard de dinars, puis cède sa place au procureur qui requiert une peine de 15 ans de prison ferme et 6 millions de dinars d'amende contre Zoulika Nachinache, dite Mme Maya, la même peine avec un million de dinars d'amende contre Mohamed Ghazi, Abdelghani Zaalane, une autre de 12 ans de prison ferme et un million de dinars contre Abdelghani Hamel, Abdelghani Belaid, et Karim Koudjil, et Belkacem Bensmina (les ex-fiancés des deux filles de Mme Maya). Le procureur a réclamé 10 ans de prison ferme assortis d'un mandat de dépôt à l'audience, contre les deux filles, Farah et Imène, de Mme Maya, la même sanction contre Amar Yahiaoui, mais avec un mandat d'arrêt international, une autre de 10 ans de prison ferme contre Miloud Benaïcha, Mohamed Cherif, Mustapha Boutaleb et 5 ans contre Chafiâ Ghazi, le fils de Mohamed Ghazi. Les plaidoiries de la défense, toutes pour réclamer la relaxe, se poursuivaient hier au tribunal de Chéraga, durant ce procès où les journalistes ont eu toutes les peines du monde à exercer leur métier, en raison des conditions difficiles qui leur ont été imposées, notamment l'interdiction de l'utilisation des outils de travail. Advertisements