Vous suivez pratiquement au jour le jour l'évolution de la situation aléatoire à laquelle est confrontée votre filière. Quels sont, selon vous, les risques et les promesses qui se profilent pour cette année ? Vu de près, notre activité de transformation est confrontée à une grande fragilité. Avec la concurrence déloyale, il y a également les difficultés financières qui assaillent tous les conserveurs. Les mises en faillite largement médiatisées et précédées de saisies et de ventes aux enchères de bon nombre de nos adhérents impliquent que, contrairement à ce qu'en pensent certains, les conserveurs ne roulent pas sur l'or. Certes, il ne faut pas noircir le tableau, mais je dois souligner que notre activité s'achemine tout droit vers une crise grave. Les agriculteurs-producteurs de tomate fraîche vivent une situation tout aussi aléatoire que la nôtre. Actuellement, nous avons la pire des combinaisons. D'un côté, vous avez le ministre de l'Agriculture sensible à nos contraintes et celles de nos partenaires agriculteurs. Ils ne lésinent pas sur l'effort pour nous apporter aide et soutien. De l'autre, des spéculateurs qui noient le marché national en concentré de tomate importé à des prix minorés. Il y a aussi ces contrebandiers installés aux frontières terrestres qui annuellement inondent notre pays de concentré de tomate tunisien. Comment se fait-il que l'attention des institutions concernées n'ait pas été attirée par ces boîtes anonymes de concentré de tomate commercialisées dans le pays avec un emballage sur lequel on a collé des étiquettes indiquant une fausse traçabilité du contenu ? Tous ces facteurs et bien d'autres que je développerai par la suite sont à l'origine de la mise en faillite et de la fermeture de plusieurs unités de production de tomate. Croyez-vous que l'annonce d'une mesure protectionniste de l'Etat sur certains produits nationaux, comme le concentré de tomate, vous sera d'un quelconque apport ? Je dois d'abord préciser que je n'ai rien contre les importations licites à des coûts réels. Savez-vous que nous payons annuellement 5 milliards de dinars pour nos approvisionnements en tomate fraîche et que nous produisons 70 000 tonnes de concentré de tomate ? Globalement, les conserveurs consomment l'équivalent de 2,50 milliards de dinars en emballage métallique, 250 millions de dinars en emballage carton et 335 millions de dinars en énergies diverses (électricité et carburant). La même filière emploie en amont et en aval 150 000 travailleurs et paie en taxes 1,63 milliard de dinars. Aujourd'hui, sous la pression des importations frauduleuses ou non, la totalité des conserveurs sont contraints de brader leurs produits. Ce protectionnisme qui porte sur une liste de 122 produits, dont le concentré de tomate, est une bonne chose. J'estime que d'autres garanties doivent être offertes aux agriculteurs-producteurs de tomate fraîche et aux conserveurs. Bon nombre de ces derniers ont été contraints de vendre leurs biens familiaux pour tenir le coup. D'autres victimes de la concurrence déloyale n'ont pas vendu un seul kilogramme cette année. Je crois qu'il faut s'attendre, durant les prochains mois, à une situation chaotique dans notre filière. J'aurais tendance à ne pas mettre de probabilités trop élevées sur des scénarios catastrophe économique et sociale que pourrait générer pareille situation. Mais compte tenu des situations véritablement effervescentes, il n'y a pas une autre lecture à faire. Aujourd'hui, le pays est en train de perdre des potentialités de production d'importance dans la filière du concentré de tomate. Donc les risques dans la filière sont réels et, comme pour le coton, la tomate industrielle pourrait disparaître... Il y a une vérité en matière stratégique qui s'applique singulièrement à la situation présente de notre filière. Quand on va quelque part et quand on veut gagner une bataille, il faut connaître le terrain. Ce qui n'est malheureusement pas le cas de ceux qui, à une certaine époque, avaient décidé de supprimer la subvention étatique à ce produit stratégique qu'est le concentré de tomate. Partout à travers le monde, y compris dans les pays les plus libéraux dans le domaine économique, cette subvention est maintenue, sauf en Algérie. Savez-vous que la tomate fraîche et le concentré de tomate algériens sont les plus chers au monde ? Savez-vous que, juste à côté de chez nous, même au plus fort des pénuries, toute importation de ce produit est autorisée sur la base d'un régime de taxation aux frontières fixé à 120% et d'une autorisation préalable du ministère ? Voilà des responsables qui ont véritablement à cœur la sauvegarde de leur économie intégrée depuis 1995 dans le giron de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Chez nous, on permet la minorisation des factures à l'importation et la commercialisation de concentré de tomate très douteux. On décèle une réelle amertume dans vos propos avec également une tendance au découragement. Serait-ce l'ambiance qui prévaut dans le monde algérien de la filière tomate ? Comme je l'ai déjà dit, la situation ne prête nullement à la satisfaction et à l'optimisme. Nous sommes tous pratiquement ruinés ou en voie de l'être. On nous parle de l'adhésion de notre pays à l'OMC comme s'il s'agissait de nous préparer à décrocher le gros lot. Cette adhésion, si elle intervient, impliquera la compétitivité dans tous les domaines. Ce qui implique une affaire de structures étatiques, de suivi, de contrôle et la nécessité de faire le ménage. Or, en ce qui nous concerne, nous sommes confrontés à une concurrence déloyale et à des contraintes financières qui, en aucun cas, ne peuvent nous permettre d'être compétitifs. Il faut dire que ces dernières années, au lieu d'avancer, nous avons au contraire activé en retrait par rapport à nos homologues du bassin méditerranéen. Les importateurs de concentré de tomate et les contrebandiers aux frontières de l'est du pays ne se rendent pas compte du mal qu'ils font. Il ne faut pas oublier que le protectionnisme de l'Etat dont on parle durera le temps de nous permettre de nous mettre à niveau. Or c'est ce temps qui nous a manqué et qui nous manquera encore. C'est dans cette perspective que nous avons conseillé aux agriculteurs de s'organiser en association pour mieux appréhender leurs problèmes et trouver des solutions. Croyez-vous que l'adhésion de l'Algérie à l'OMC est à même d'apporter un plus à l'économie nationale ? Nous avons besoin de grandes réformes des systèmes de protection sociale, éducatif, de la fiscalité et des finances publiques. Ces réformes sont directement liées aux modifications des conditions de compétitivité dans lesquelles les pays adhérents à l'OMC jouent un rôle majeur. Plus nous attendrons pour faire ces transformations, plus nous éprouverons des difficultés à nous adapter aux nouvelles donnes de l'économie mondiale induite par la mondialisation. Mais globalement je crois qu'au niveau de la gestion des grandes et petites entreprises, il faut aujourd'hui avoir une vision mondiale sur le plan économique et surtout sur les technologies de l'information. Il y aura, bien sûr, des perdants et des gagnants parce qu'il s'agit de l'application d'un système de classification des économies à l'échelle planétaire où il y aura ceux qui montent et ceux qui descendent. C'est pourquoi je dois dire que notre adhésion à l'OMC pourrait poser des problèmes que nous commençons à peine à identifier comme la concurrence déloyale. Pour conclure, je dois souligner que les vingt-deux conserveurs implantés sur l'ensemble du territoire national avec une capacité de production de 160 000 tonnes sont légitimement inquiets.