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«Les jeunes du hirak ont prouvé qu'ils n'ont jamais tourné le dos à l'histoire»
66e anniversaire de la révolution anticoloniale
Publié dans El Watan le 01 - 11 - 2020

«La guerre d'Algérie est loin d'être finie. Ses profondes séquelles demeurent dans le subconscient des Algériens pour longtemps. Tout un travail reste à faire par les historiens dans la limite de leurs moyens», estime l'historien Mohammed El Korso dans une déclaration à l'APS, en insistant sur le fait que «cette page de notre histoire continuera d'être un sujet de recherche durant les années à venir».
Ce dimanche 1er novembre 2020 se tient dans un contexte très particulier, un climat tendu, le référendum sur la «Constitution Tebboune».
Mais cette date, c'est avant tout l'occasion de se remémorer l'éternel Novembre et le grand récit de la Guerre de Libération nationale dont nous célébrons le 66e anniversaire. «La Proclamation du 1er Novembre 1954 a été un affront pour une France orgueilleuse et méprisante et une véritable rébellion contre l'ordre colonial.
En s'adressant directement au peuple algérien, elle a élevé celui-ci au rang d'acteur majeur sur qui reposait non seulement le sort de la Révolution, mais l'avenir de l'Algérie au présent et au futur», souligne Mohammed El Korso dans un entretien accordé à l'APS.
L'administration coloniale «a fait de la répression tous azimuts sa raison d'être», observe l'historien, ajoutant que les crimes coloniaux «ont été exploités, jusqu'à épuisement, par la grosse colonisation terrienne servie à merveille par une nuée de caïds, aghas, bachaghas, gardes-champêtres et forestiers, chaouchs et autres mouchards».
Réagissant au rapprochement «mémoriel» avec l'ancien colonisateur et le travail de mémoire conjoint annoncé par les présidents Abdelmadjid Tebboune et Emmanuel Macron, M. El Korso estime que «les tensions sont tombées d'un cran» depuis l'arrivée de M. Macron au pouvoir en 2017.
L'historien tempère cependant les ardeurs de ceux qui pensent que la «coopération mémorielle» va s'accélérer sous la conduite du jeune locataire de l'Elysée qui, faut-il le signaler, a consenti un certain nombre de gestes symboliques depuis son arrivée, à l'image de la restitution des restes mortuaires de 24 héros de la résistance populaire. «Pour significative qu'elle soit, la restitution récente des crânes des chouhada de la résistance populaire n'est que l'arbre qui cache la forêt.
Le plus dur étant de savoir jusqu'où pourra aller le président Macron», déclare Mohammed El Korso, avant de faire remarquer : «Déclassifier les archives, surtout les archives militaires classées ‘‘secret défense'', serait suicidaire pour un Président plus décidé que jamais à briguer un second mandat.»
Cela dit, l'ancien président de la Fondation du 8 Mai 1945 n'a pas manqué de saluer la désignation de Benjamin Stora, côté français, pour une mission sur «la Mémoire de la colonisation et de la guerre d'Algérie», tandis que, côté algérien, c'est Abdelmadjid Chikhi, le directeur général des Archives nationales, qui, rappelle-t-on, a été chargé par M. Tebboune de mener ce travail de mémoire.
«Politiquement et scientifiquement, ce choix (celui porté sur Benjamin Stora, ndlr) ne relève pas du hasard.
Historien confirmé et aux nombreux travaux sur l'Algérie, M. Stora est à même de faire avancer les choses pour peu qu'il résiste aux pressions qu'il subit», s'est réjoui M. El Korso. «La guerre d'Algérie est loin d'être finie.
Ses profondes séquelles demeurent dans le subconscient des Algériens pour longtemps. Tout un travail reste à faire par les historiens dans la limite de leurs moyens», relève-t-il en insistant sur le fait que «cette page de notre histoire continuera d'être un sujet de recherche durant les années à venir».
«Benjamin Stora a finalisé son rapport»
Mohammed El Korso a tenu, par ailleurs, à rendre hommage aux manifestants du hirak qui ont témoigné régulièrement, note-t-il, de leur profond attachement aux figures et aux symboles de la Révolution.
«En se réappropriant l'emblème national, les slogans ainsi que les portraits des pères de la Révolution, dit-il, les jeunes du hirak ont prouvé qu'ils n'ont, en réalité, jamais tourné le dos à l'histoire de la nation dont ils ont fait une arme contre les imposteurs de tout acabit pour sauver le pays.»
De son côté, Abdelmadjid Chikhi, conseiller auprès du président de la République chargé des Archives et de la Mémoire nationale, a fait savoir encore une fois, dans une déclaration à l'APS diffusée ce vendredi 30 octobre, que le travail de mémoire qui devait être engagé avec la partie française «n'a pas encore débuté du fait de la propagation de la pandémie de Covid-19».
M. Chikhi a indiqué qu'il a «pris contact à deux reprises» avec l'historien Benjamin Stora, mais «le travail n'a toujours pas débuté solennellement».
Il a confié dans la foulée qu'il a «appris récemment que M. Stora avait finalisé son rapport, cristallisant une idée générale sur les étapes et priorités de ce travail pour la partie française» et qu'il «l'avait même soumis au président Macron».
Dans cette même déclaration à l'APS, le conseiller en charge des Archives et de la Mémoire nationale dit en substance n'avoir aucun doute sur l'existence d'une volonté politique de part et d'autre de la Méditerranée pour avancer sur les questions mémorielles.
Il a rappelé à ce propos que «le président Tebboune avait annoncé expressément cette volonté et défini le cadre dans lequel ce dialogue devait se tenir». «Et nous avons perçu la même volonté chez la partie française», a-t-il ajouté.
M. Chikhi s'est engagé à communiquer aux Algériens «les informations historiques dont elle (l'Algérie, ndlr) sera destinataire, considérant que la liberté des Algériens est liée à la connaissance des origines et des hauts faits réalisés par les générations précédentes en faveur de la patrie». «Nul n'a le droit de priver le citoyen algérien de prendre connaissance de son histoire», martèle l'ancien maquisard.
Et de lancer : «Nous souhaitons que la partie française sache que nous n'avons nullement l'intention d'obscurcir la vérité à notre peuple, de même que nous l'invitons à faire pareillement envers ses citoyens afin qu'ils soient informés des faits qui ont eu lieu lors de la période coloniale.»
«Guerre totale»
L'Algérie, souligne le directeur des Archives nationales, était «un véritable champ d'essais pour mener des pratiques sauvages qu'il (le colonisateur, ndlr) a eu à exercer, par la suite, dans d'autres colonies, notamment en Afrique, où les autochtones ont pâti de la traite des esclaves dans laquelle ont été impliquées de hautes personnalités françaises.
Toutes ces pratiques sont consignées dans les archives». M. Chikhi a fait part une nouvelle fois de la détermination de l'Etat algérien à récupérer notre patrimoine archivistique détenu par la France.
Il a déploré le recours à des procédés «alambiqués» pour empêcher l'Algérie de rapatrier ses archives «en les transférant du Centre des archives de Paris et Aix-en-Provence vers des lieux inconnus et en les éparpillant à travers l'ensemble de son territoire, et ce, en violation de la règle universelle garantissant l'unité des archives».
Approché également par l'APS, le politologue Olivier Le Cour Grandmaison a mis l'accent pour sa part sur le fait que la France a mené une véritable «guerre totale» faite de «razzias, destruction des villes et des villages, déportation des populations civiles, massacres de masse et enfumades».
L'auteur de La République impériale : politique et racisme d'Etat précise qu'«en février 1841, le général Bugeaud est nommé gouverneur général de l'Algérie et il va y mener une guerre totale, puisqu'elle méconnaît les dispositions des conflits conventionnels tendant à la protection des civils et reposant sur la distinction entre champs de bataille et sanctuaire».
«Tels sont les moyens de cette guerre dont les conséquences vont être une baisse spectaculaire du nombre des ‘‘indigènes''», soutient-il.
L'universitaire français rapporte qu'«entre 1830 et 1872, la population autochtone a ainsi perdu environ 875 000 personnes en raison des effets cumulés de ces guerres presque ininterrompues, de la misère et des famines qu'elles ont favorisées et aggravées».
Dans cet inventaire macabre, Olivier Le Cour Grandmaison rappelle, en outre, «les terribles massacres de Sétif, Guelma et Kherrata» ainsi que ceux du 17 Octobre 1961, à Paris, «dans un contexte où il est de notoriété publique que la torture, les exécutions sommaires et les disparitions forcées font également partie des pratiques de la police française que dirige, dans la région parisienne, le préfet Maurice Papon».
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