Depuis près de deux semaines, les commerces, à qui mieux mieux, font de plantureux étalages de friandises et de divers fruits à coque. Pour d'aucuns, le 1er janvier passé, c'est signe que le Nouvel An autochtone s'annonce. Mais, c'est plutôt la fête des enfants qui pointe. Ils font agape de douceurs en journée et de berkoukès en soirée, avec une prime à qui aurait la chance que sa cuillère tombe sur le noyau de datte jeté dans la marmite au moment de la cuisson ou à sa fin. C'est, méditerranéïté oblige, l'équivalent de la fève de la galette des rois chez les chrétiens, fève qui intronise souverain celui qui, dévorant sa part, la trouve sous sa dent. Ici, plus modestement mais tout aussi flatteusement, celui dont la cuillère remonte le noyau est déclaré le porteur de baraka de la famille. Ennayer, comme on le prononce ici, a donné cette année l'occasion aux artisans de travailler. La Covid-19 n'a pas freiné leur activité pour l'occasion. Ainsi, cette année, de Kabylie sont arrivés de petits paniers de différentes formes, couverts d'un tissu bariolé de rouge et orange, celui des traditionnels coupons de foutas. Ils sont joliment garnis sur leur pourtour de pompons multicolores et rubans. Egalement, en provenance d'autres régions, de petits paniers en feuilles de palmier ou en toile de jute, tout aussi agrémentés, sont proposés par les magasins d'artisanats. Les uns et les autres des contenants garnis de gourmandises sont offerts à chacun des enfants de la famille. Pour en individualiser la destination, et pour quelques dinars de plus, des commerces les proposent avec une inscription des prénoms. Auréolé de ce nouveau folklore, la célébration d'Ennayer pour cette année n'est pas ternie par les habituelles remontrances des relayeurs d'oukases religieux venus du Moyen-Orient. Mais que garde localement la mémoire collective de cette fête millénaire ? A Beni Saf, spécificité de cité prolétarienne, la préparation et la consommation de La Mouna, une brioche avec un œuf inséré à l'intérieur, se sont perdues avec le temps. Celle du berkoukès, sans avoir totalement disparu, n'est plus aussi répandue là où les traditions rurales subsistent encore. Par contre, la consommation du cœur de palmier nain a repris de plus belle au regard de l'offre qui en est faite sur les marchés. Ici, dans les mémoires, Ennayer est relié au début de l'année agraire. Interrogé, Zoheir Belkedar, archéologue, rappelle qu'en des temps immémoriaux, à cette occasion, était célébrée la déesse de la terre, une plus ancienne divinité que Tanit honorait à Carthage. De cette façon, il était espéré que la terre soit féconde et que les moissons soient généreuses. Est-ce que la question de la baraka couvrant celui qui découvre le noyau de datte ne serait pas liée à cette antique croyance en ce coin d'ancienne Numidie où l'illustre Syphax avait sa capitale ? «Très probable, sachant qu'il s'agit d'une coutume qui relève d'un résidu de pratiques magico-religieuses, pratiques qui relèvent de croyances dites païennes avec laquelle les cavaliers de l'islam ont dû tactiquement composer pour ne pas les avoir condamnées.» Advertisements