Le chef du gouvernement libyen, Abdelhamid Dbeyba, a effectué une visite officielle en Turquie, il y a une dizaine de jours ; il a passé d'importants accords avec la Turquie, histoire de compenser l'effort de guerre turc en Libye durant la dernière décennie. A peine Dbeyba rentré d'Ankara, Le Caire a dépêché son chef du gouvernement, Mustapha Madbouli ; ce dernier a signé, lui aussi, une série d'accords entre les deux pays. Le Caire ne veut rien lâcher à Ankara et le nouveau pouvoir libyen est appelé à équilibrer ses relations et ses accords de coopération avec les deux axes. Pas facile. Le gouvernement de Fayez Al Sarraj a passé la main à celui de Abdelhamid Dbeyba, le 16 mars dernier. Abdallah Thenay a, quant à lui, passé le témoin le 24 mars à Benghazi. Le nouveau pouvoir est donc installé sur toute la Libye. Mais l'équipe El Menfi/Dbeyba fait face à de gros problèmes socioéconomiques légués par ses prédécesseurs à l'intérieur ; elle hérite aussi d'accords et d'alliances très complexes avec l'étranger, faits aussi bien par le gouvernement de l'Est que de celui de l'Ouest, pour lesquels elle est appelée à en assurer le suivi. Les Libyens de l'intérieur vont bientôt exiger des comptes à l'équipe du pouvoir. Les puissances étrangères vont réclamer la rétribution des services rendus dans la reconstruction de la Libye. Et c'est dans ce cadre que sont passés ces accords de coopération avec la Turquie et l'Egypte. Mais, les gros chantiers du pétrole et du gaz, voire de la reconstruction des villes, ne sont pas encore ouverts. La donne est néanmoins très complexe pour le nouveau pouvoir libyen qui n'a pas encore ouvert le complexe dossier des groupes armés étrangers et de la restructuration de l'armée locale. Hormis les déclarations générales du chef du gouvernement Abdelhamid Dbeyba attestant que la question des groupes armés est «une épine envenimant la vie des Libyens», et celle de la ministre des Affaires étrangères, Najla Mangouch, réclamant le départ des groupes armés étrangers, aucune réunion officielle n'a été tenue pour discuter de cette problématique. Pis encore, la Libye est unifiée politiquement. Mais la route entre l'Est et l'Ouest n'est pas encore ouverte. Elle est toujours bloquée entre Syrte et Misrata. Les forces militaires sont à ce jour sur le terrain, chacune dans ses positions, à l'Est et à l'Ouest. «Que l'on veuille ou pas, Khalifa Haftar est toujours l'homme fort de l'Est libyen, malgré la présence du nouveau Conseil présidentiel et du nouveau gouvernement», assure le politologue Ezzeddine Aguil. Stratégie L'approche choisie par le nouveau pouvoir libyen vise clairement à contourner les dossiers épineux, au profit d'une gestion des affaires courantes, essayant d'améliorer le quotidien des Libyens et de stabiliser le pays. Avec l'étranger, il s'agit, semble-t-il, de maintenir de bonnes relations avec tout le monde. Mais, les observateurs s'interrogent si des élections générales pourraient se tenir dans une ambiance pareille. A cette question, le politologue libyen Imed Abou El Hassen assure : «Bien que la situation libyenne n'est pas encore clarifiée sur le plan sécuritaire, les tendances sont positives, d'autant plus que la présence armée s'amenuise de plus en plus dans les villes.» Concernant les élections, Abou El Hassen ajoute : «L'absence de baïonnettes devant les urnes est nécessaire pour parler d'élections libres et démocratiques ; nous sommes sur la bonne voie !» L'autre question concerne l'éventuelle rupture du cessez-le-feu de la part des groupes armés étrangers, notamment les Soudanais à l'Est et les Syriens à l'Ouest, si jamais ils ne reçoivent plus leurs pensions. A cette question, le politologue pense que «bien qu'ils soient des mercenaires, ces groupes armés se retrouvent dans un cadre militaire institutionnel et sont obligés de respecter les ordres de la hiérarchie». Le politologue conclut donc à l'obligation de discipline au sein de ces groupes armés et favorise l'option de la réussite du processus du retour au calme. Et même concernant l'Egypte et la Turquie, Abou El Hassen privilégie l'idée que «chacun de ces pays va plutôt chercher à tirer profit de la paix en Libye». Et c'est au gouvernement d'assurer l'équilibre très fragile du système.