Personne n'aurait cru que les Libyens qui s'entre-tuaient pendant des années et jusqu'en mai dernier, parviendraient à enterrer rapidement la hache de guerre et voter à l'unanimité la confiance au gouvernement d'Union nationale de Abdelhamid Dbeyba. Pourtant, les faits ont montré que les milliers de morts dans les confrontations interlibyennes n'ont pas empêché la réconciliation. «C'est pour empêcher plus de morts que les Libyens se sont réconciliés», assure le politologue Ezzeddine Aguil. Tous les observateurs craignaient le pire pour le processus politique en Libye, habitués qu'ils sont des rebondissements politiques de ce conflit aux multiples portées, couvant des intérêts antagoniques de plusieurs acteurs locaux et internationaux. Mais au-delà de l'équation complexe du paysage politique libyen, c'est finalement la réaction des institutions officielles et des visages de proue de la politique qui a scellé le sort de ce processus, parrainé par la communauté internationale. Les barons de la politique ont, semble-t-il, compris que c'était leur dernière chance qu'ils ne soient dépassés, comme ce fut le cas dans le Dialogue de Genève, qui a choisi le nouveau pouvoir exécutif. Le Parlement aurait pu être dépassé s'il n'avait pas accordé la confiance au gouvernement d'Union nationale. Mais, Aguila et compagnie ont préféré garder la main, surtout que le Conseil présidentiel et le chef du gouvernement nominé leur tendaient la main. Dans pareil contexte, très favorable à la réconciliation, a démarré la réunion du Parlement libyen le 8 mars à Syrte. La sympathie du président du Parlement envers le chef du gouvernement nominé était évidente, lorsque Aguila a demandé aux députés d'arrêter d'intervenir auprès de Dbeyba, pour la nomination de leurs proches à des postes ministériels. Le courant passait très bien entre Aguila et Dbeyba. Ils étaient pourtant sur des listes concurrentes à Genève. Dbeyba a gagné et Aguila a perdu. «Quelque chose a vraiment changé en Libye, si l'on parvient à tourner la page en moins d'un mois», constate le juge Jamel Bennour, président du Conseil politique local à Benghazi en 2012 et 2013, exilé libyen à Tunis depuis 2014. Le juge espère que la réconciliation permettra de rétablir l'Etat de droit, afin qu'il puisse regagner son pays. La réunion du Parlement ne fut donc que formalité et même la requête de reporter la réunion, à cause des soupçons d'achat de voix à Genève, a été ignorée. Dbeyba a obtenu la confiance des 132 députés libyens présents à Syrte. Consensus et ouverture Le ton atypique de cette nouvelle équipe gouvernante en Libye a été donné depuis l'arrivée inattendue à Benghazi du président du Conseil présidentiel, Younes El Menfi, et sa rencontre avec le général Khalifa Haftar, qui l'a assuré de son adhésion au processus de paix devant mener à des élections le 24 décembre prochain. El Menfi a également rencontré le président du Parlement libyen, Aguila Salah, et les chefs des tribus de l'Est, en visitant Toubrouk, El Baydha, en plus de Benghazi, avant d'atterrir à Tripoli le 17 Février, jour de commémoration de la révolution. Cette facilité de circulation du nouveau pouvoir exécutif libyen, entre l'Est, le Sud et l'Ouest libyens, a contrasté avec les réticences usuelles des gouvernants libyens à bouger hors de leurs bases. «Ces nouveaux venus veulent vraiment introduire des normes, basées sur la réconciliation nationale», constate le politologue Ezzeddine Aguil. Par ailleurs, tous les pays étrangers, antagoniques entre eux sur la scène libyenne, ont félicité la réussite du processus de vote de confiance en faveur du gouvernement libyen. Ainsi, aussi bien le Qatar, la Turquie, que les Emirats et l'Egypte ont félicité les Libyens pour cette réussite. Les Etats-Unis, l'Allemagne et la délégation de l'ONU ont également salué l'événement. Le président tunisien Kaïs Saïed a appelé Younes El Menfi pour le féliciter. C'est donc une réussite spectaculaire des Libyens, d'autant plus qu'elle a été réalisée sans le moindre accroc. «Espérons maintenant que l'on parvienne à extirper les mercenaires, véritable épine dans le dos de notre patrie chérie», assure le chef du gouvernement nominé, Abdelhamid Dbeyba, conscient de cette difficulté. «El Menfi et Dbeyba sont certes soutenus par les Libyens de tous les bords. Encore, faut-il qu'ils puissent étendre leur pouvoir à toute la Libye», souligne le politologue Ezzeddine Aguil, qui ajoute que «plusieurs obstacles attendent les nouveaux gouvernants».
Tunis De notre correspondant Mourad Sellami Advertisements