Mieux vaut une bonne guerre qu'une mauvaise paix, dit un proverbe finlandais, et Kaïs Saïed, loin d'être un adepte de la guerre, a compris que le statu quo fait beaucoup plus de mal à son pays. Le chef d'Etat tunisien a jugé que son peuple courait un péril imminent et a tranché dans le vif en renvoyant gouvernement et députés et en s'octroyant les pouvoirs exécutifs. Il a donc choisi de sauver la Tunisie et les Tunisiens au détriment des institutions. Fidèle à son nationalisme romantique, et libre des influences occidentales et/ou des monarchies du Golfe, Saïed a fait ce choix compte tenu des circonstances et des manifestations de rue réclamant la dissolution du Parlement. Cette Assemblée des représentants du peuple (ARP) – dont le parti Ennahdha détient le quart des sièges – est paralysée par des querelles de chapelles et entachées par des scandales de corruption. Le coup de Saïed indispose les légalistes, mais semble satisfaire les Tunisiens qui ont manifesté leur approbation par des scènes de liesse. Le débat sur la constitutionnalité ou pas de ces décisions peut occuper les plateaux télé, mais la rue tunisienne préfère l'ajourner pour se donner la priorité à la survie face au virus mortel. 18 000 Tunisiens ont trouvé la mort, en effet, à cause de la Covid-19 sur une population de 12 millions d'habitants, ce qui donne l'un des taux de mortalité les plus élevés au monde depuis l'éclatement de la pandémie. Une véritable hécatombe. La crise sanitaire est conjuguée à une crise économique aiguë et à un blocage politique inscrit dans la durée, résultat d'un bras de fer entre la Présidence et le couple gouvernement/Parlement, et incarné dans un duel à fleurets mouchetés entre Saïed et Ghannouchi. Les Tunisiens, saignés à blanc par une dégradation vertigineuse de leur pouvoir d'achat et l'absence de perspectives, se sentent trahis et abandonnés par leurs institutions. Ces Tunisiens qui ont ébloui le monde par leur Révolution en 2011 contre le régime autoritaire et corrompu de Benali, et résisté par la suite face au projet islamiste, sont certes fatigués par les coups successifs de la contre-révolution soutenue par le capitalisme mondial et l'internationale des Frères musulmans. Ces Tunisiens sont capables du meilleur face aux défis actuels. La jeune démocratie tunisienne souffrira peut-être d'une crise constitutionnelle et le chemin sur lequel s'engage le pays est incertain, mais l'indéniable légalisme du constitutionnaliste Saïed et l'adhésion populaire à sa démarche, surtout, désarment ses adversaires d'Ennahdha et leurs alliés. Il est certes trop tôt pour cerner au mieux cet épisode ou encore parler de l'avènement d'une IIIe République tunisienne, mais s'il y a une première leçon à retenir, c'est celle du peuple qui tient à sa souveraineté, et la Constitution n'est finalement qu'une expression de celle-ci. Advertisements