Au lendemain de la rencontre convoquée mercredi par le président tunisien Kaïs Saïed, au palais de Carthage, où se sont rendus les représentants des groupes parlementaires, il semblait que la sortie de crise était encore lointaine et que les efforts des uns et des autres pour dégeler la situation et permettre au gouvernement Hichem Mechichi de prêter serment restaient insuffisants au regard du chef de l'Etat. Intransigeant sur son refus de recevoir les quatre ministres qu'il soupçonne de corruption et de conflits d'intérêts, Kaïs Saïed n'a fait aucune concession. Du coup, la situation paraissait bloquée. Mais voilà qu'hier, un coup de théâtre est intervenu, avec l'annonce du chef du gouvernement tunisien, Hichem Mechichi, de démettre de leurs fonctions cinq ministres, concernés par le remaniement ministériel de janvier dernier. L'agence tunisienne TAP qui a rapporté cette information, citant un communiqué de la présidence du gouvernement, a précisé que les cinq ministres remerciés seront remplacés par cinq autres membres du gouvernement (quatre ministres et une secrétaire d'Etat) chargés d'assurer l'intérim de ces départements, et ce dans l'attente du parachèvement des procédures relatives au remaniement, c'est-à-dire la prestation de serment bloquée par le chef de l'Etat depuis trois semaines. Dans son communiqué, le Premier ministre indique qu'il «reste ouvert à toutes les solutions propres à dépasser le blocage et permettre aux ministres de prendre leurs fonctions dans le respect de la Constitution». Un appel du pied au président Saïed qui a émis des réserves sur «la constitutionnalité» du remaniement opéré à la fin janvier. Le président tunisien avait dénoncé, dans une audience accordée au secrétaire général de l'UGTT des «violations» du fait que Mechichi a recouru au règlement intérieur du Parlement et non à la Constitution pour justifier le choix des membres du nouveau gouvernement. Or, cette démarche qui lui a sans doute paru incontournable pour obtenir le vote de confiance de l'ARP est à la source même du problème, Mechichi ayant accepté les conditions émises par Ennahdha de Rached Ghannouchi et ses alliés al Karama et Qalb Tounes. La nouvelle rapportée par l'agence TAP laissait croire que Hichem Mechichi offre une alternative au chef de l'Etat. En réalité, il n'en est rien. Car les cinq ministres qu'il a limogés sont ceux-là même qui étaient proposés par Kaïs Saïed et non pas les quatre qu'il refuse de recevoir pour une prestation de serment. Ainsi, la situation s'avère non pas débloquée mais compliquée davantage, Mechichi pratiquant la fuite en avant. Car, avec son plan B, il a certes affranchi son gouvernement de l'influence présidentielle mais cela suffira-t-il à lui ouvrir la porte de la prestation de serment? Rien n'est moins sûr. Avec huit ministres détenant chacun deux portefeuilles, il plonge dans une instabilité chronique et aggrave le différend avec le président tunisien Kaïs Saïed. Fortement tributaire de la troïka Ennahdha-al Karama-Qalb Tounes, il est parti pour découvrir à son tour le sort de certains prédécesseurs qui sont passés à la trappe pour avoir cru dans un deal conséquent avec Ennahdha et ses alliés. Or, celle-ci a des comptes à régler avec le président Kaïs Saïed. Pendant ce temps, le gouvernement va vers la paralysie et le pays qui attend des solutions à une crise socio-économique aggravée peut basculer dans des évènements bien plus graves que les manifestations récentes à Tunis et dans de nombreuses autres villes.