-Les Journées cinématographiques de Carthage vous réussissent bien puisque après la consécration de votre moyen métrage Lmuja en 2015, voilà que Argu décroche deux prix. Que représente pour vous une telle distinction à l'étranger ? Oui c'est vrai, les JCC me portent chance. C'est un très beau festival doté d'une chose importante qu'on ne trouve pas dans la plupart des festivals, un public cinéphile et exigeant. Pour les prix, oui, je suis évidemment content. -Ressentez-vous la même satisfaction que celle que vous avez lors d'une distinction dans le pays, à savoir l'Olivier d'or au Festival du film amazigh du court métrage de Tizi Ouzou ? Ça n'a rien à voir. Les responsables de la culture doivent confier le Festival du film amazigh du court métrage à des passionnés du cinéma pour une meilleure organisation et une qualité de la programmation pour le sauver. Les compétences et la passion du cinéma ne manquent pas chez les jeunes. -Vous déclariez que Argu est un film qui vous a beaucoup épuisé, dans quelles conditions et avec quels moyens vous avez pu le réaliser ? Il m'a épuisé physiquement. J'ai perdu 18 kg en quatre semaines de tournage. Sur le plan matériel et logistique, mes producteurs (le défunt Cherif Agoune et Ahmed Agoune) ont été d'une grande disponibilité. Ils n'ont jamais hésité un instant à répondre favorablement au besoin du film. J'étais et je vivais entièrement dans cette fiction. J'ai complètement oublié le monde extérieur. J'ai un rapport affectif avec mes personnages et décors et cela nécessite énormément d'énergie. Au bout de quelques semaines, on est vidé. -Vos films arrivent à séduire bien qu'ils n'engagent pas de gros moyens et reposent sur des rôles campés essentiellement par des amateurs. Est-ce par contrainte ou un choix qui répond à des considérations précises ? C'est un choix. Je ne fais et ne ferai des films qu'avec des ami(e)s et des personnes qui m'inspirent. Il s'agit de ma vie, de mon univers, de mes rêves, illusions et désillusions. Pour ces raisons, j'ai besoin de complices. Je fais mes castings autour de moi, parmi mes ami(e)s où dans des cafés, bars, marchés populaires. Tous ces visages, ces regards, ces situations m'inspirent. Je les filme avec beaucoup d'amour. Je ne peux pas imaginer travailler avec des personnes avec qui je ne partage rien. -Vos films peignent une partie de votre vécu, à travers notamment Koukou et Mahmoud dans Argu, lorsqu'ils ne sont pas le reflet de la réalité des gens dépossédés de quelque chose (ouvriers, femmes...). Le cinéma vous est-il un besoin pour conjurer un mal quelconque et est-ce pour porter un regard critique sur la société ? Je m'inspire de la réalité et tous les sujets portés dans mes films sont réels et souvent des situations vécues par moi où par des proches. Un film où une œuvre artistique n'est qu'une intention, un regard, une sensibilité sur ce qui nous traversent et nous traversons, tantôt douloureux, tantôt joyeux et c'est ce qui fait la beauté de la vie et du cinéma quand on croit à la poésie. Le personnage de Mahmoud c'est mon regard d'adulte aujourd'hui sur un passé d'une jeunesse porté par Koukou. Tout cela se déroule dans un environnement naturel et humain composé d'une beauté féerique des paysages et de toutes ces femmes courageuses, généreuses mais qui sont malheureusement souvent opprimées.
Entretien réalisé par Kamel Medjdoub
Argu décroche deux prix aux JC de Carthage : Le meilleur argument De Dihya (2010) à Argu (Rêve), en 2020, en passant par Lmuja (vague), en 2015, le cinéaste Omar Belkacemi avance avec beaucoup d'humilité et d'un pas résolu dans le monde du cinéma, poussé par sa seule passion. Faire de l'auto-stop pour aller en Egypte où l'attendait Youcef Chahine qu'il allait assister dans une de ses productions ou encore vendre des figues sèches pour pouvoir faire Lmuja, Omar Belkacemi se dévoue comme un fou qui récolte bien les fruits de sa «folie». Sa dernière production, Argu, qui est son premier long métrage qui s'inscrit toujours dans le cinéma d'expression amazighe, raconte l'histoire d'un jeune villageois kabyle dans sa Kabylie natale où s'affrontent deux visons du monde, sur fond d'un conflit de générations. Argu a séduit le jury de la Fédération africaine des critiques du cinéma lors des 32es Journées cinématographiques de Carthage (JCC) qui lui a décerné le prix de la Critique africaine Paulin Soumanou Vieyra mais aussi le jury de la presse internationale qui lui a attribué la mention spéciale FIPRESCI. Argu avait déjà inauguré son palmarès au Festival méditerranéen de Montpellier le 24 octobre dernier en décrochant le prix des exploitants et de la distribution. Un «film qui m'a épuisé», avoue Omar Belkacemi. Advertisements