La salle Ibn Zeydoun de Riadh El Feth a abrité, jeudi soir, la projection en avant-première du film long-métrage «Argu» de Omar Belkacemi. Une coproduction entre le Centre algérien de développement du cinéma et la société Agence Visual avec le soutien du ministère de la Culture et des Arts. Un film que le réalisateur a dédié à feu Chérif Laggoune, le producteur délégué du film, ayant travaillé aux côtés de Ahmed Aggoune, le chargé de la production. Ce très beau long métrage- fiction, rappelle t-on, a été présenté en avant-première mondiale au Cinemed 2021 où il a gagné le Prix des exploitants ainsi qu'une sélection en compétition aux JCC (Journées cinématographiques de Carthage-Tunisie) où il a remporté le prix Paulin Vieyra de la Critique africaine (Facc / Afcc) et reçu une Mention spéciale Fipresci (Prix de la critique internationale). Un film inspiré du vécu du réalisateur qui aborde l'histoire de «Koukou, un jeune de 20 ans, qui vit dans un village en haute montagne de Kabylie avec ses parents et sa soeur Jura». Hommage aux rêveurs Au village, Koukou est traité de fou pour son look et son comportement différents aux yeux du comité des sages du village et de son père. Pendant un des rassemblements hebdomadaires du village, le comité des sages décide d ' interner Koukou, avec la complicité de son père, dans un asile psychiatrique. Son frère Mahmoud, enseignant de philosophie dans un lycée à Béjaïa et désabusé par son histoire d'amour, apprend la nouvelle. Il est révolté par la décision du comité. Pendant son séjour au village, Mahmoud mène un combat quotidien pour convaincre son père et les sages du village de l'innocence de son frère.» Va t-il réussir à les convaincre de laisser tranquille son petit frère? On ne vous racontera pas la fin du synopsis. Dans ce film contemplatif à souhait, le réalisateur s'est laissé à faire parler cet adolescent qu'il était avec le regard de l'adulte qu'il est devenu aujourd'hui. Ces deux protagonistes dans le films sont la face cachée du même Omar Belkacemi qui, idéaliste et rêveur comme Mahmoud, naïf, généreux au regard rempli de tendresse comme Koukou, n'a de cesse de garder les yeux grands ouverts sur le monde et nous restituer ainsi ses états d'âme via l'image et le son. « Tourner des films c'est tout ce que je sais faire», dira t-il. Ce film qui prends le temps de raconter les choses, parle du désir d'être soi-même, d'accepter la différence, de la difficulté de réaliser ses rêves et de s'accomplir dans une société dictée par la morale et le regard inquisiteur de l'Autre qui traite de «malade» quiconque ne ressemblant pas aux autres... «Argu», c'est aussi une ode à la «magie» de l'amour, un hommage aux femmes kabyles et aux mères qui portent le monde sur leurs épaules, une ode a la vie malgré le désespoir...un film sensitif où la nature est partout comme faisant écho à l'humanité toute entière en ce quelle a de perfide ou de beau en elle. Dans «Argu», les femmes semblent plus combatives que les hommes qui se laissent aller à l'ennui, à la vindicte, quand cela ne fini pas par un exil ou le suicide... Dans «Argu» les plans des paysages, sont panoramiques, à couper le souffle. Ils sont le coeur battant de l'homme et le reflet de son âme tourmentée, son corps «calciné» par le chagrin... Ces hautes montagnes qui se dressent altières au milieu des nuages, jurent avec les gros plans des acteurs qui, parfois, jouent mal, mais parviennent au final à exprimer les intentions du réalisateur grâce à une mise en scène toute minimaliste et des silences prolongés, interminables, sans doute pour mettre mal à l'aise le spectateur, remuer sa fibre sensible. Le réalisateur réussit, en effet, à nous toucher même avec cette pudeur caractérisée qui frappe parfois à l'image....l'on sent, également, l'influence peut-être du mentor Tariq Teguia dont Omar Belkacemi en a été l'assistant réalisateur... «C'est ma vie qui est racontée...» Accompagné de son équipe artistique, sur scène, en présence de la ministre de la Culture et des Arts et de Ahmed Rachedi, Omar Belkacemi dira à propos de son film:: « C'est juste mon regard. C'est comme ça que je vois les choses. C'est mon univers. C'est une histoire vraie. Je raconte ce que j'ai vécu. Koukou représente un peu mon enfance et Mahmoud, c'est le regard adulte sur Omar d'aujourdhui. C'est ainsi que je vois les choses. J'ai un regard affectif sur mon environnement, composé de paysages et d'humains aussi. Ce que vous avez vu, c'est vraiment ma mère. Je n'ai triché à aucun moment. Ce sont des scènes vécues, vues. Je tenais vraiment à revoir ces situations vécues en tant qu'adolescent.». À propos du comité des sages dont le réalisateur épingle la pudibonderie et l'hypocrisie dans son film, il soulignera: «Ça a toujours été comme ça. C'est la société. Cela renvoie à un certain ordre établi qui existe. À la morale qui y sévit, j'ai essayé de rester fidele et au plus proche de la réalité. En écrivant le scénario, c'était déjà assez pénible pour moi. Ce n'était pas facile pour moi de revoir ces scènes. J'ai la chair de poule. J'ai beaucoup de mal à revoir le film. Ce sont des situations vécues. C'est tragique. C'est difficile, mais il y a de la poésie tant qu'il y a de l'amour. On ne vit que par les rêves et c'est tant mieux. Je rends hommage aux rêveurs. J'ai raconté ce que j'ai vécu avec beaucoup de sincérité et beaucoup d'amour...» a t-il conclu tout ému, avant d'être congratulé par le conseiller chargé de la culture et de l'audiovisuel, Ahmed Rachedi qui soulignera à juste titre que « c'est différent de tout ce qu'on a vu. C'est ce genre de film qu'il faut encourager. Des films personnels. Je crois que c'est la première fois qu'on voit ce genre de film en Algérie. Bravo! Continuez!...» À noter que le film sera bientôt distribué dans les salles. Il est aussi promu à de belles aventures cinématographiques puisqu'il continue son bonhomme de chemin dans les festivals, nous a confié le réalisateur, en aparté.