Il est parti sur la pointe des pieds avec le sentiment d'avoir accompli son devoir à l'égard de sa société et en faveur de la culture d'une manière générale. Rien qu'à évoquer son nom, des milliers d'anciens élèves appartenant à différentes générations se souviendront de l'homme à la frêle corpulence, mais dont la présence emplissait le lieu qui lui tenait de local. Il s'agit du regretté Belkaïd qui a trôné, trois décennies durant, sur un empire bâti sur la seule richesse du savoir que contiennent ses monticules de livres. Qui, d'ailleurs, des générations postindépendance n'a pas fréquenté le réduit du bouquiniste où il a eu le bonheur de trouver le livre qui manquait à sa collection, ou tout simplement l'ouvrage qui lui permettait de découvrir davantage les méandres de la connaissance ? Les clients ne se faisaient pas d'illusions sur la fin de son métier dès que celui-ci aura quitté ce monde, car sa présence au sein d'une rue commerçante est devenue une incongruité pour son environnement. Le véritable capharnaüm où des milliers de livres étaient entassés sur des achalandages en bois et au milieu desquels il se tenait pour mieux dominer les termes de l'échange ; il ne reste aujourd'hui plus rien sauf le local qui a été utilisé pour un autre type de commerce. C'est avec beaucoup de regret que les nombreux clients qui ont connu Ami Belkaïd se souviennent de l'époque où ils se rendaient dans sa bicoque afin de dénicher le livre ou le magazine qui leur manquait ou simplement pour revivre quelques souvenirs de leur époque de bachotage. Le vieux bouquiniste s'en est allé, il y a maintenant quelques années, et le vide laissé ne risque jamais d'être comblé, car son métier ne fait plus recette dans une société où le savoir n'est plus aux premières loges.