L'impact de l'avortement à risque sur la santé et le bien-être des femmes et de la société » est le thème d'un colloque national organisé hier à l'hôtel Sofitel par l'Association algérienne pour la planification familiale (AAPF). A l'unanimité, les participants à cette rencontre (médecins, spécialistes, psychologues et sociologues) ont déclaré que le problème de l'avortement existe bel et bien en Algérie même si l'ampleur de ce phénomène n'est pas cernée avec certitude. L'avortement est un sujet qui reste toujours tabou et dont les répercussions sur le plan psychosocial sont néfastes, a tenu à préciser le professeur Kabouya, président de l'AAPF. Tout en indiquant que l'objectif visé à travers l'organisation d'une telle manifestation est d'attirer l'attention sur cette question complexe et de susciter un débat plus large dans la société algérienne. Au plan pratique, il s'agit, selon les spécialistes, d'arriver à une prévention et à la mise en place d'un dispositif permettant d'éviter toutes les grossesses indésirables. Toutefois, les intervenants, notamment les représentants des associations, ont déploré le fait qu'aucune institution n'a pu établir des chiffres fiables ou approximatifs sur le phénomène de l'avortement. Certains intervenants ont avancé le nombre de 200 à 300 avortements clandestins par an. Le docteur Kedad, représentante du ministère de la Santé, de la Population et de la Réforme hospitalière, s'est contentée de donner le nombre d'enfants abandonnés chaque année et qui est de l'ordre de 5000. « L'avortement est une pratique illégale dans notre pays et c'est un sujet tabou. Donc la femme qui avorte dans la clandestinité n'avouera jamais cet acte et le médecin qui recourt à cette pratique risque la prison. C'est pour cette raison que nous n'avons pas de chiffres sur ce phénomène », a déclaré Mme Kedad. Celle-ci précisera également que le chiffre se rapportant aux 5000 enfants abandonnés nés hors mariage a été fourni par les services de l'état civil. Mme Nadia Aït Zaï a, pour sa part, rappelé que l'avortement (interruption volontaire de la grossesse) est une infraction qui est considérée comme un délit ou un crime contre la famille. L'article 304 du code pénal dispose que « quiconque, par aliments, breuvages, médicaments, manœuvres, violences ou par tout autre moyen, a procuré ou tenté de procurer l'avortement d'une femme enceinte, qu'elle y ait consenti ou non, est puni d'un emprisonnement d'un an à cinq ans et d'une amende de 500 à 10 000 DA. Si la mort en est résulté, la peine est la réclusion à temps de dix à vingt ans ». Le professeur Chafi a, dans son intervention, soutenu que l'Afrique est le continent le plus touché par la mortalité et la morbidité liées à l'avortement. Selon lui, il a été enregistré 580 000 décès dans le monde. Pour une femme qui meurt, il y a à côté 10 à 15 femmes qui sont handicapées à vie. A cet effet, le professeur Chafi fera remarquer, entre autres, que la stérilité est une conséquence tragique d'un avortement pour une jeune femme qui n'a pas encore d'enfants. M. Ferfoul, gynécologue représentant la Tunisie, a affirmé que l'avortement existe dans son pays et se pratique de manière sauvage et clandestine. Le phénomène de l'avortement en Tunisie, de son avis, est en nette diminution. L'intervenant illustre ses propos par des chiffres. Il dira qu'entre 1978 et 1984, il y a eu 20 000 avortements, et de 1984 jusqu'à aujourd'hui, il y a eu 12 000. Il indiquera qu'en 2001, il y a eu l'introduction de l'avortement médicamenteux. Menace De son côté, le professeur Belkhodja a, en présentant la problématique de l'avortement, souligné qu'en Algérie, l'avortement n'apparaît pas comme un problème majeur de santé publique. Mme Belkhodja a tenté d'expliquer la différence entre un avortement clandestin et l'avortement spontané. Ce dernier, d'après elle, est, certes, une source de morbidité et de complication, mais pas de mortalité, sauf en cas d'hémorragies de certaines formes. Par contre, l'avortement clandestin demeure une menace redoutable et la concernée peut mourir de différentes causes. La conférencière a, en outre, abordé la question des femmes violées par les terroristes et qui n'ont pu avorter, car il y a eu des tergiversations de la part des représentants de la santé. Sur justement ce dernier point, Mme Saïda Benhabyles a, dans sa courte intervention lors des débats, reproché aux représentants du ministère des Affaires religieuses l'absence d'« ijtihad » (effort). Mme Benhabyles s'est remémoré avec amertume les adolescentes violées par des terroristes et qui ont imploré son intervention pour l'avortement. « Nous avons demandé au ministère des Affaires religieuses et au Haut-Conseil islamique d'intervenir pour autoriser à ces victimes l'avortement. Ces deux organismes nous ont renvoyé à un imam de l'université El Azhar. Nous l'avons effectivement sollicité pour émettre une fatwa similaire à celle faite aux femmes bosniaques. Pour toute réponse, l'imam nous annonce que le cas de l'Algérie est différent et que les femmes en question ont été violés par des musulmans algériens », dira, outrée, Mme Benhabyles, qui estime que le viol est considéré dans d'autres pays comme étant un crime contre l'humanité. Quant à Mme Aït Zaï, elle a indiqué que la législation actuelle n'autorise la pratique de l'avortement que lorsque la grossesse présente un risque de mort pour la femme. L'article 72 de la loi de 1985 admet l'avortement thérapeutique s'il est accompli dans les règles légales. L'avortement doit être effectué par un médecin dans une structure spécialisée après un examen médical conjoint avec un médecin spécialiste. Il s'agit d'un psychiatre qui déterminera si l'équilibre psychologique et mental de la mère est gravement menacé. Ce que la loi, d'après la juriste, a autorisé n'a pas été appréhendé par les médecins de la même manière. Souvent confrontés à leurs convictions religieuses et philosophiques, des gynécologues ont refusé d'appliquer cette disposition, même lorsqu'il s'est agi de soulager les femmes violées par les terroristes. La circulaire du ministère de la Santé, explique Mme Aït Zaï, prise en 1997, était venue rappeler l'article 72 du code de la santé publique. Ce texte a divisé le corps médical sur cette question. Le Haut-Conseil islamique a enfoncé le clou en déclarant que « les femmes violées par les terroristes sont pures, il est donc interdit de procéder à l'avortement. L'enfant né sera pris en charge par l'Etat ».