Au moment où nous mettons sous presse, l'affaire de l'ex-wali d'Oran est en délibération. Néanmoins, une peine de 15 années de prison ferme assortie d'une amende de 2 millions de dinars a été requise hier par le parquet d'Alger contre l'ex-wali Bachir Frik, l'ex-directeur de l'Agence foncière d'Oran, Cheikh Tayeb Laoufi. Le représentant du ministère public, Me Abdelkader Kahoul, a requis dix années de prison ferme contre les anciens directeurs des Domaines Hassan Baalas et de l'OPGI Chaabane Makhloufi, assortie d'une amende de 2 millions de dinars pour chacun d'eux. Contre le directeur Bouarfa, le parquet a requis 5 ans de prison ferme et une amende de 2 millions de dinars. Un réquisitoire que les avocats ont jugé « excessif » du fait de l'absence de preuves. Pourtant, Me Kahoul a indiqué que « le dossier est suffisant » pour retenir les chefs d'inculpation de complicité à dilapidation de deniers publics pour le Dr Bouarfa, de dilapidation et complicité pour les autres accusés qui « de surcroît » sont des fonctionnaires de l'Etat. « Les faits qui leur sont reprochés ont été commis, alors qu'ils étaient en fonction. » Se sentant obligé de faire une mise au point adressée beaucoup plus à l'opinion publique à travers la presse, le procureur général a tenu à « répondre aux interrogations des uns et des autres sur le fait que seulement 5 personnes sont aujourd'hui au box des accusés, alors qu'au début de l'affaire, 56 personnes ont été présentées au parquet, parmi lesquelles 33 ont été inculpées durant l'instruction. Au niveau de la chambre d'accusation près la Cour suprême, uniquement 5 dossiers ont été retenus, alors que les autres ont bénéficié de la prescription du fait que les faits qui leur sont reprochés sont des délits qui remontent à plus de trois ans ». Le représentant du ministère public a noté également que le choix du tribunal criminel d'Alger vient du fait q'un wali a le privilège de la juridiction et ne peut être donc jugé dans la ville où il a exercé. Revenant aux faits, Me Kahoul a estimé qu'il ne s'agit pas de « détournement » des textes de loi, mais plutôt d'« omissions volontaires pour ériger des fortunes à travers la spéculation foncière ». Pour lui, « l'esprit de la loi n'a jamais permis au wali de se servir », précisant que le montant global du préjudice causé par « cette dilapidation est de 190 millions de dinars ». Il a cité comme exemple le local cédé à Zaatout au prix de 1 million de dinars et revendu ensuite à 8,3 millions de dinars. Ce qui prouve « la préméditation » et la dilapidation. « Il y a eu 11 cas de violation volontaire de la loi au moment où les services de contrôle dormaient. » « PRÊTE-NOM » Me Kahoul s'est interrogé sur les témoignages de Belatrech, ancien sous-directeur de l'Agence foncière : « Ce qui a été signé par Belatrech a été préparé par Laoufi. Ceux qui ont bénéficié de ces affectations ne sont pas de simples citoyens. Un ancien ministre des Postes et des Télécoms, le général Djoudi, etc. La signature engage la responsabilité de la personne. » Il a rappelé les 3 trois locaux commerciaux affectés à l'épouse du wali et un autre à « un de ses proches par le biais d'un prête-nom ». Il s'est offusqué des déclarations de Ameur Ali, directeur de la réglementation de la wilaya d'Oran, mandaté par celle-ci pour porter plainte dans cette affaire et convoqué par le parquet en tant que témoin, mais intervenant en tant que partie civile. « Je suis surpris de voir Ameur Ali se transformer en témoin à décharge de Bachir Frik, alors qu'il a déposé plainte contre ce dernier. » Le parquet a demandé au tribunal de prendre en considération, lors de la délibération, le fait que le foncier est un patrimoine sacré avant de prononcer les peines contre les accusés. La première plaidoirie a été celle de Me Kadri du barreau d'Oran assurant la défense du Dr Bouarfa. Il a insisté sur le fait que ce médecin est le seul qui a respecté la destination du terrain qui lui a été affecté en vue de réaliser une clinique. Les deux autres avocats de l'accusé, Mes Menaceur père et fils, ont affirmé que leur mandant a été victime de son « intégrité », en s'interrogeant sur l'absence des autres bénéficiaires de terrains cités dans l'arrêt de renvoi dans le box des accusés. Défendant l'accusé Tayeb Laoufi, les avocats Sidhoum, Fahim, Bensadok et Ghouadni ont tous plaidé l'innocence. Me Sidhoum a relevé les pressions subies par Laoufi de la part du commissaire principal Mokrani. Me Fahim s'est interrogé sur l'absence des personnes ayant bénéficié des biens dilapidés et sur le fait que l'enquête n'a touché que le mandat de Bachir Frik. Me Bensadok a préféré rappeler l'ambiance ayant régné durant l'été 2001 marquée, selon lui, par des articles de presse « qui préparaient l'opinion au procès contre l'ex-wali ». Me Ghouadni a préféré politiser son intervention tout en battant en brèche l'expertise : « Il y a eu un flagrant délit de tricherie. C'est malsain. C'est un camouflet à la Cour suprême. Nous sommes ici ensemble, avocats et magistrats. Et la décision qui sortira est une responsabilité collective. Savez-vous que le terrain qui a accueilli le Sheraton d'Oran a été détourné de sa vocation ? Il devait servir à la construction de la cour d'Oran. Vous voyez que le problème du foncier est partout. » Me Koudriet, avocat de Makhloufi, a plutôt parlé de la notion juridique du terme « dilapidation » qui, selon lui, ne s'applique pas à son client. Défendant le même accusé, Me Bouchina a estimé que son client a subi une lourde pression et des menaces car il a refusé des logements à des militaires et à des personnes qui n'étaient pas dans le besoin. Me Belamri, avocat de Baalas, a axé sa plaidoirie sur le fait que celui-ci exécutait les décisions de son responsable hiérarchique, le wali en l'occurrence. La défense de Bachir Frik, constituée de Mes Mokrane Aït Larbi, Miloud Brahimi et Fadhel, a plaidé l'innocence de son client, faisant savoir que son mandant était « victime d'un complot ». Me Aït Larbi est revenu sur les étapes de l'enquête et la qualification de l'accusation. Pour lui, ce n'est pas à cause de cinq appartements et de cinq locaux que Bachir Frik s'est retrouvé au box des accusés tout en rappelant que dans le dossier il n'existe pas de plainte, mais une lettre adressée par le wali d'Oran au commissaire principal. Il a insisté sur les propos de son mandant selon lesquels la justice a été victime de cette affaire. Les plaidoiries se sont poursuivies tard dans la soirée. Le verdict sera connu aujourd'hui.