Après seize heures de délibérations, le tribunal criminel d'Alger a rendu, hier, son verdict dans l'affaire de l'ex-wali d'Oran, Bachir Frik. Cette sentence, très attendue, a été prononcée vers 15h30 devant une assistance nombreuse constituée surtout de journalistes et d'avocats. Ainsi, Bachir Frik et l'ancien directeur de l'Agence foncière, Cheikh Tayeb Laoufi, ont été condamnés à huit années de réclusion criminelle assortie d'une amende de 500 000 DA (pour chacun). L'ex-directeur des Domaines, Hacène Baâlas, a écopé de cinq années de réclusion plus une amende de 200 000 DA. D'autre part, une peine de trois ans de prison ferme assortie d'une amende de 100 000 DA a été retenue contre l'ex-directeur de l'OPGI, Chaâbane Makhloufi, alors que le docteur Bouarfa a été simplement acquitté. Le prononcé de ces peines a lourdement affecté Tayeb Laoufi. Bachir Frik, lui, est resté imperturbable. Baâlas dévisageait sa défense comme pour chercher une explication. Alors que Makhloufi s'est tourné vers son avocat pour lui demander d'un air désespéré : « Que se passe-t-il ? » Le tribunal a déclaré coupables Bachir Frik et Tayeb Laoufi de dilapidation volontaire de deniers publics et de complicité de dilapidation de deniers publics ayant causé un préjudice d'un montant compris entre 5 et 10 millions de dinars. La culpabilité pour les mêmes faits a été retenue contre Makhloufi et Baâlas, alors que le docteur Bouarfa a été déculpabilisé. Néanmoins, le tribunal a accordé les circonstances atténuantes aux quatre accusés condamnés. Agissant en tant qu'avocat de la wilaya, partie civile dans cette affaire, maître Ziani a demandé la préservation de ses droits. Le Français Doolos a demandé sa réintégration dans son domicile. Alors que l'avocat des P et T s'est contenté de réclamer le dinar symbolique (comme d'ailleurs Doolos). La défense des accusés a, pour sa part, demandé le refus de la constitution en tant que partie civile à Doolos et à la direction des P et T. Requête que le tribunal criminel a acceptée après une délibération de trente minutes. Pendant ce temps, des cris se sont élevés dans la salle d'audience. Très en colère, le frère de Laoufi s'en est pris aux policiers. Bachir Frik, très calme et serein, a préféré s'adresser à la presse. « Je n'ai rien fait d'illégal. Je n'ai fait que servir le pays et je ne le regrette pas. Je suis innocent et tout le monde le sait. Un jour, la vérité se saura... », a-t-il lancé, avant que ses avocats ne lui conseillent de se taire parce que, a précisé l'un d'eux, le principe est de ne jamais commenter un jugement, mais plutôt d'utiliser les voies de recours pour le contester. Il s'est retourné vers son fils, en pleurs, pour lui demander de « rester digne ». Enfin, des moments assez durs pour les familles et proches des accusés qui avaient beaucoup d'espoir pour un verdict plus clément. Les avocats ont décidé d'introduire un pourvoi en cassation auprès de la Cour suprême, dès aujourd'hui. Le délai pour cette procédure est de huit jours francs. La veille de ce verdict, les plaidoiries s'étaient poursuivies jusqu'à vingt-trois heures. Elles ont été closes par les interventions de la défense de Bachir Frik, composée de trois avocats, maîtres Mokrane Aït Larbi, Fadel et Miloud Brahimi, qui a insisté surtout sur les vices de procédure qui ont marqué le dossier de l'ex-wali. Pour maître Fadel, l'accusation n'est pas basée dans la mesure où il n'y a eu ni dépassement du quota de 10% de logements ou celui de 15% de locaux commerciaux que la loi accorde à un wali pour en disposer. Maître Miloud Brahimi a, quant à lui, parlé des « multiples violations de la procédures au point où je voulais plaider le refus de plaider parce qu'il ne plus rien à plaider... » Selon l'avocat, même si le wali a pris cinq logements, cinq locaux commerciaux et un terrain, « cela ne peut être un motif valable pour le mettre en détention pendant plus de 39 mois ». Il est revenu sur ces biens vacants qui appartenaient aux colons que beaucoup d'Algériens ont, par la suite, occupé, parfois de force, mais aussi sur des biens appartenant à des familles d'anciens hauts responsables algériens, occupés de force après avoir chassé leurs occupants dès leur départ du pouvoir. « Personne ne croira que Frik a été condamné parce qu'il a détourné cinq logements, cinq locaux et un terrain tout simplement parce que d'autres ont détourné des forêts entières, des villas, des appartements (...). Il faut alors présenter tous les walis actuels, ceux qui les ont précédés et ceux qui vont leur succéder au tribunal... » Maître Brahimi a précisé au tribunal que l'inculpation de complicité dans la dilapidation de Frik avec Laoufi a « été exclue à trois reprises par la chambre d'accusation près la Cour suprême, et aujourd'hui nous la retrouvons. Cela veut dire que l'on créé la complicité par ignorance ». Il a récusé le rapport présenté par l'expert qui, selon lui, « aime bien gonfler les chiffres, y compris ceux de ses honoraires ». Poursuivant sa plaidoirie, maître Brahimi a consacré près d'une demi-heure au procès de la presse. Pour lui, « la presse écrite dite libre écrit n'importe quoi. Le journal El Moudjahid est plus honnête que ces journaux qui disent que Frik a accusé des généraux. Avez-vous entendu Frik parler de généraux ? », a t-il conclu en qualifiant les comptes rendus de « malheureux ». A signaler que maître Brahimi n'était pas le seul à s'être attaqué avec virulence à la presse écrite, puisque d'autres avocats ont sévèrement critiqué les journaux, notamment ceux paraissant à Oran. Au point où la présidente du tribunal, voyant des avocats s'éterniser sur la lecture de certains articles de journaux, a lancé ironiquement : « Faut-il faire le procès de la presse ? »