Bouras Mohamed est né le 26 avril 1908 à Miliana, ville où il passe son adolescence et termine ses études primaires. Ne pouvant y suivre des études secondaires, il rejoint Alger à l'âge de 18 ans, et trouve un emploi de dactylo-comptable au sein des services de l'Amirauté. Mohamed Bouras ne cesse de développer ses connaissances, il se perfectionne dans la langue maternelle en suivant les cours du soir à la médersa « Achabiba » et s'inscrit par ailleurs à la faculté d'Alger pour l'obtention d'une capacité en droit. En sport, Mohamed Bouras s'initie au tir à la carabine, il a aussi pratiqué la gymnastique, le football ainsi que la natation. Devenu maître nageur, il sauve de la noyade, en risquant sa vie, de nombreuses personnes, algériennes et européennes. Pour ces exploits, il obtient plusieurs médailles du mérite. Mais, pour Mohamed Bouras, le sport était un moyen de se dépasser et d'aguerrir son corps. Très tôt, il s'est intéressé, et a participé, à toutes les manifestations et meetings visant à dénoncer les injustices dont sont victimes les Algériens – comme cette injustice qui lui a dénié le droit de suivre des études secondaires. Cet engagement total pour la cause algérienne l'amena à fréquenter une cellule de l'Etoile Nord Africaine (E.N.A), parti algérien présidé par l'Emir Khaled. Fréquentation épisodique, car c'est à cette époque – il avait alors 28 ans – que Mohamed Bouras découvre pleinement la réalité de sa vocation latente : consacrer sa vie à l'éducation et à la formation de la jeunesse algérienne. Mais comment y parvenir ? Mohamed Bouras obtient très vite une réponse à cette question. Lors d'une promenade avec ses amis, une troupe de scouts français, encadrée par un prêtre et des religieuses, passe devant eux. Bouras les regarde longuement puis s'adresse à ses amis : « Frères, que pensez-vous de la création d'un scoutisme musulman algérien ? (1) ». Devant l'approbation enthousiaste de ses amis, Mohamed Bouras passe rapidement à l'action. Le 26 avril 1936, il dépose les statuts pour la création du premier groupe scout musulman algérien « El-Falah ». Mais ces statuts sont rejetés par les autorités coloniales (probablement parce que dans la liste des activités prévues figure la phrase « préparation militaire »). Face à cet échec, Mohamed Bouras décide immédiatement d'entamer un long parcours à travers l'Algérie dans le but de susciter dans chaque région la création de groupes scouts et, aussi d'appeler à l'union les quelques organisations de jeunes existantes, afin de pouvoir donner corps à son intention de constituer un mouvement de scout authentiquement algérien. Cette initiative porte ses fruits, puisque en 1939 s'ouvre au Lido, près d'Alger, un grand rassemblement qui regroupe les Scouts Musulmans Algériens, les Eclaireurs Musulmans Algériens et plusieurs groupes encore autonomes. Ce rassemblement donne naissance à la Fédération des Scouts Musulmans Algériens (F.S.M.A) dont Mohamed Bouras devient le 1er Président et Omar Lagha (Président des Eclaireurs Musulmans Algériens) le premier vice-président. Avec l'agrément de la F.S.M.A, Mohamed Bouras croyait pouvoir lancer son grand projet de mobilisation de la jeunesse algérienne au sein d'un environnement éducatif et culturel. Mais, pour le pouvoir colonial, le sigle de la nouvelle fédération – F.S.M.A – contient deux qualificatifs hautement révulsifs : Algériens et Musulmans. Deux mots qui inquiètent la police coloniale qui commence à s'intéresser de près aux faits et gestes de Mohamed Bouras. Nous sommes en 1941 et la France, vaincue au début de la Deuxième Guerre mondiale, est occupée par l'armée allemande. En Algérie, beaucoup de patriotes nourrissent l'espoir de se libérer du colonialisme français en profitant de l'affaiblissement actuel du pays colonisateur. Mohamed Bouras est probablement acquis à cette idée. Et, comme c'est d'abord un homme d'action, il a agi. Le 3 mai 1941 Mohamed Bouras est arrêté par des agents du 2ème Bureau français, à sa sortie de l'hôtel Aletti (Alger) où résidait la commission allemande de contrôle, et incarcéré à la prison militaire de Bab-El-Oued (Alger) où il a été affreusement torturé. Le 8 mai 1941, il comparait devant le tribunal militaire d'Alger sous des accusations lourdes « d'activités subversives et de collaboration avec l'ennemi (l'Allemagne) ». Malgré les tortures subies, Mohamed Bouras ne fait aucun aveu et ne dénonce aucun de ses compagnons. Qu'à cela ne tienne pour la justice coloniale, Mohamed Bouras est doublement dangereux pour la présence française en Algérie : en tant qu'éducateur, et risque de contaminer la jeunesse algérienne avec ses idées « subversives », en tant que patriote, il a montré qu'il était disposé à prendre les armes contre la France… (On apprendra plus tard que Mohamed Bouras a contacté les Allemands, le 3 mai 1941, dans le seul but de ses procurer des armes pour déclencher la lutte armée (2). La cause étant entendue, on constitue rapidement une cour martiale qui, sans tergiverser, condamne Mohamed Bouras à mort le 14 mai 1941. Et, avec la même hâte, on conduit le condamné devant le peloton d'exécution. Au bourreau qui voulait lui bander les yeux, il réplique (3) : « Le bandeau est destiné aux lâches, je le refuse. Qu'on le veuille ou non, l'Algérie vivra libre et indépendante. Qu'attendez-vous pour accomplir votre besogne ? 3 ». Et la sinistre « besogne » est accomplie. Mohamed Bouras a été fusillée le 27 mai 1941, à l'aube, sur le terrain militaire d'Hussein Dey (Alger). Il a laissé derrière lui une famille démunie composée de cinq garçons en bas âge. La justice coloniale a fait assassiner Mohamed Bouras parce qu'il aimait trop son pays spolié, l'Algérie. Mohamed Boucherait, dit Kabrane, un des co-accusés de Mohamed Bouras est fusillé le même jour. * Sources : (1) Scène rapportée par Abderahmane Saïdi, ami et compagnon de Mohamed Bouras. (2) Témoignage de ses anciens compagnons, repris par Mahfoud Kaddache dans son livre : Histoire du nationalisme algérien. (3) Paroles rapportées par deux témoins qui ont assisté à l'exécution (Bennacer, imama de la Mosquée « Djamaâ El-Djedid, et Cheikh Saïd, fonctionnaire à la vielle d'Alger). * Sources : M.T. Illoul et Ali Aroua. Le Groupe Emir Khaled de Belcourt. Alger. Dahleb.