Oran capitale du crime. Ce triste qualificatif n'émeut plus personne. Les Oranais eux-mêmes le reconnaissent et n'hésitent jamais à recommander à leurs hôtes d'éviter les « zones chaudes ». « N'empruntez pas les ruelles obscures, car vous serez systématiquement agressés », ordonnent-ils à leurs amis et alliés « étrangers » débarquant fraîchement dans la ville. Si la cible la plus facile reste la femme, les hommes n'en échappent pas pour autant. Surtout si on circule en solo. Que faire si l'on vous pointe un cran d'arrêt sur la nuque ? Vous auriez remis sans réfléchir toute votre fortune en priant vos agresseurs de vous épargner la vie », soupire un étudiant, agressé à deux pas de la place d'Armes pour un portable qu'il collait « par oubli » à l'oreille. Originaire de la ville, le jeune homme a préféré ne pas déposer plainte. Il a peur des représailles car, empruntant souvent le même itinéraire, il risque d'être violemment « corrigé ». « ça peut aller jusqu'à la mort », affirme-t-il. Toutefois, le sentiment d'insécurité n'est pas circonscrit à la seule partie « intra-muros » d'Oran. La proche banlieue sert aussi de terreau aux crimes et délits de toute nature. Cela peut aller de la simple consommation d'un joint jusqu'à l'homicide des plus crapuleux. La chronique ressasse toujours le récit de cette femme de 39 ans qui a tué sa mère (67 ans) avant de la découper en plusieurs morceaux pour ensuite jeter les lambeaux en plusieurs endroits, dans des sacs plastique. Commis en août 2003, le crime avait pour mobile une dette de quelques millions de centimes. La mère ayant vendu un lot de bijoux à sa fille pour la somme de 270 000 DA n'avait jamais encaissé son dû. Résolue à ne pas honorer la dette, la fille-parricide opta pour la solution finale : un meurtre qu'elle a cru parfait, car s'étant assurée de faire disparaître le corps de la défunte. Son interpellation à Canastel a été rendue possible grâce à la mystérieuse odeur émanant d'un sac de voyage qu'elle tenait à la main. Elle écopera de la réclusion à perpétuité. Coupable aux yeux de la loi, cette femme sera néanmoins l'objet d'intenses débats dans le Tout-Oran. « Elle n'est que le produit d'une société dont la cellule de base, la famille, est réduite à sa plus simple expression. Née sous X, la femme criminelle est de son côté mère d'une fille de 19 ans (sa complice dans le crime) qui ne connaît pas son père », constate un sociologue, comme pour signifier que l'on ne devient pas tueur sur un simple coup de tête. Cela dit, les foyers de « tension », s'ils sont partout, ont tendance à se concentrer dans la zone dite USTO. Un paradoxe pour celui qui décrypte l'acronyme, car USTO c'est l'Université des sciences et de la technologie d'Oran, c'est-à-dire la sœur jumelle de l'USTHB d'Alger et non moins prestigieux campus lorsqu'il a été inauguré il y a deux décennies environ. Outre l'université et ses trois cités U qui accueillent 20 000 étudiants, « l'USTO » entasse une population de 130 000 habitants, dans plusieurs cités de type HLM. La promiscuité, le chômage, la précarité, l'échec scolaire sont le lot de ces cités-dortoirs. On est loin des quartiers « tchi tchi » de St Hubert, Bel Air, les Palmiers... Une de ses composantes, Hayy Sabah compte pour lui seul 60 000 âmes où se trouve une brigade de gendarmerie. Suffisant ? « La charge est énorme ! », avoue le commandant de groupement de la wilaya d'Oran, le colonel Benamane. La brigade a eu à procéder à près de 900 arrestations en une année (2004). Les stupéfiants, le port d'armes blanches, les casses, les vols à la tire, les coups et blessures volontaires, la fausse monnaie, l'immigration clandestine. « Maffia sournoise » Tout y est. Idem pour d'autres localités comme Yaghmorassen, Sidi El Bachir, Sid Chahmi ou Chtaïbou que l'on qualifie de cité illicite en raison de l'inexistence de l'aspect urbanistique. Une espèce de « Hamiz » à l'oranaise. El Karma, autre localité « chaude », est habitée par 65 000 âmes. Elle est dotée d'une brigade de gendarmerie (unique point de sécurité), qui arrive toutefois à assurer la quiétude publique, assure-t-on au groupement. Sinon pour l'ensemble de la wilaya, 1503 affaires de crimes et délits, soldées par l'arrestation de 1445 personnes dont 847 ont été écrouées, ont été traitées durant le 1er trimestre de 2005. Quatre meurtres, 2 tentatives de meurtre et 243 agressions à l'arme blanche (coups et blessures volontaires) figurent dans les statistiques du 1er trimestre de l'année en cours. En matière de stupéfiants, ce sont 68 affaires auxquelles sont mêlées 71 personnes qui ont été traitées durant les 3 premiers mois de 2005. Les 18,5 kg de kif traité, saisis, sont considérés comme « insignifiants » d'autant plus qu'il est établi que le fléau a une assise solide à Oran. Cependant, assure-t-on au groupement, la lutte contre le trafic de drogue ne connaîtra jamais de répit. « L'objectif recherché est d'atteindre la tête du trafic. C'est elle qui est en train d'empoisonner nos jeunes », affirme la Gendarmerie nationale, en qualifiant le réseau de « maffia sournoise ». Et de rappeler que celle-ci, profitant de la présence des forces de sécurité sur le front anti-terroriste, a pu s'installer à Oran et étendre ses ramifications, sinon à travers tout le pays, du moins dans les 12 wilayas de l'Ouest. Dans ce registre, il y a lieu de citer le « baron des barons », Zendjabil dit Chelfi, qui a fini sa course dans les mailles du filet sécuritaire en début 2005. Détenant des biens à l'étranger, Zendjabil a également trempé dans un trafic international de véhicules, falsification de papiers, émission de chèques sans provision, faux et usage de faux et bien sûr trafic de drogue à grande échelle. Son arrestation a provoqué le démantèlement de l'édifice, « d'où la rareté dans les saisies », se félicite toutefois le groupement. Et les « petits délinquants » ? Train de 7 h 45 « Nous sommes dotés d'une brigade spécialisée dans la sensibilisation. Les agents, spécialement formés, sillonnent les lycées en se frottant également aux jeunes en d'autres endroits. Un travail de prévention qui nécessite d'ailleurs l'implication du mouvement associatif et surtout des parents. » Par ailleurs plaque tournante de la contrebande, Oran draine des milliers de trabendistes des quatre coins du pays. Dans le train Alger-Oran de 7h 45 du 5 mai 2005, la patrouille de gendarmerie chargée de la sécurité du trajet met la main sur un lot de près de 600 portables de différentes marques. La marchandise serait d'origine asiatique qui transite par le Maroc. Le train était bondé de familles, « signe de quiétude, mais aussi par souci d'économie sachant que le billet d'avion est devenu inabordable pour les petites bourses ».