Le ministre français des Affaires étrangères, Michel Barnier, a accordé une interview exclusive à El Watan dans laquelle il évoque le partenariat d'exception entre l'Algérie et la France. Evoquant la tragédie du 8 Mai 1945 en Algérie, M. Barnier rejoint les propos de son ambassadeur à Alger, qui avait salué « la mémoire des victimes de cet enchaînement d'un climat de peur, de manifestations et de leur répression, d'assassinats et de massacres ». En visite officielle à Alger le 13 juillet 2004, vous affirmiez que la France est « mobilisée » pour relancer le partenariat avec l'Algérie afin de conclure en 2005 un traité d'amitié couvrant tous les domaines de coopération. Comment se traduit concrètement cette mobilisation ? Le traité d'amitié franco-algérien portera sur « la coopération bilatérale, sur la dimension euro-méditerranéenne de nos relations, sur le travail de mémoire qui est engagé en même temps que sur les questions de défense et de sécurité », avez-vous déclaré lors de votre visite officielle à Alger le 13 juillet 2004. Un programme de travail et d'échanges pour le développement d'un « partenariat d'exception » entre les deux pays a été défini lors du Conseil ministériel présidé par M. Chirac le 21 juillet 2004. Quels sont les résultats réalisés dans chacun des grands secteurs identifiés ? La mobilisation de la France se traduit d'abord au niveau politique par une intensification de notre dialogue dans tous les domaines, ce que traduit le développement des visites à haut niveau, à commencer par nos chefs d'Etat, qui se sont vus à trois reprises depuis juillet dernier (à Toulon et à Brégançon au mois d'août, à Ouagadougou lors du dernier Sommet de la francophonie, tout récemment à Paris le 5 avril) ; dix visites ministérielles dans les deux sens depuis ma dernière visite en Algérie, notamment celle du ministre de la Défense, qui a rouvert un champ important de coopération entre nos deux pays. Ce mouvement va s'amplifier jusqu'à la signature du traité d'amitié qui consacrera un rythme élevé d'échanges ministériels. Notre mobilisation se traduit ensuite dans notre coopération, qui ne cesse de monter en puissance, pour accompagner les efforts courageux engagés par l'Algérie dans les domaines qui engagent l'avenir : l'éducation et la formation, la transition vers l'économie de marché, le renforcement de l'Etat de droit. Nous avons su créer ensemble des instruments originaux comme le Haut-Conseil universitaire et de recherche, qui va stimuler les partenariats universitaires entre nos deux pays dans une logique de mise en réseau des établissements, ou l'Ecole supérieure algérienne des affaires, qui repose sur un principe de partenariat public-privé inédit en Algérie. Nous travaillons également en étroite collaboration avec l'Union européenne qui consacre elle-même des moyens de plus en plus importants à l'Algérie. Là aussi, le traité d'amitié permettra de conforter et prolonger ces efforts en mettant en place un cadre de coopération rénové, à la hauteur de cette relation si forte, dont les potentialités et les promesses sont incomparables.La mobilisation n'est pas celle des seules autorités gouvernementales même s'il leur revient d'impulser et d'entretenir la dynamique. La coopération décentralisée connaît un développement très prometteur : les deuxièmes rencontres franco-algériennes des présidents de collectivités locales se sont tenues à Paris au mois d'octobre dernier. De nouveaux projets communs se mettent en place entre les villes et les régions. Je citerai, par exemple, le partenariat entre Grenoble et Constantine et la visite récente en Algérie du maire de Paris. Les contacts entre nos sociétés civiles ne cessent de se développer. Le très grand succès de l'Année de l'Algérie en France que nous avons organisée en 2003 a stimulé de nombreux partenariats, au niveau local et associatif, qui se prolongent aujourd'hui. Conséquence de cette mobilisation : les entreprises françaises sont de plus en plus nombreuses à retrouver le chemin de l'Algérie. La visite d'une importante délégation du patronat français en février dernier, comprenant plus d'une centaine d'entreprises, a été fructueuse. L'aide-mémoire sur le partenariat pour la croissance et le développement signé le 27 juillet dernier par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'Economie et des Finances, et son homologue, a tracé les grands axes de coopération dans le domaine des infrastructures notamment. Son application est notre priorité. Le 26 février dernier à Sétif, l'ambassadeur de France en Algérie, M. Hubert Colin de Verdière, reconnaissait que le 8 mai 1945, il y eut un massacre à Sétif relevant de la responsabilité française. L'Etat français serait-il prêt à reconnaître les méfaits de son passé colonial ? Notre ambassadeur en Algérie, M. Hubert Colin de Verdière, a effectivement eu l'occasion de déclarer, au cours du déplacement qu'il a récemment effectué à Sétif, que cette ville fut le lieu d'une « tragédie inexcusable » en mai 1945. Il a salué à cette occasion la mémoire des « victimes de cet enchaînement d'un climat de peur, de manifestations et de leur répression, d'assassinats et de massacres », en mai de cette année-là. Permettez-moi de vous dire, au sujet de cette démarche qui est celle des autorités françaises, toute l'importance que nous attachons au travail de mémoire dans nos relations avec l'Algérie, pays proche et ami. Nos deux chefs d'Etat l'ont inscrit au cœur de ce « partenariat d'exception ». Il est essentiel pour construire un avenir commun que nous arrivions à examiner ensemble le passé afin d'en surmonter les pages les plus douloureuses pour nos deux peuples. Cela suppose d'encourager la recherche des historiens, de part et d'autre, qui doivent pouvoir travailler ensemble, sereinement, sur ce passé mutuel. Ce travail de mémoire est un objectif qui doit se retrouver dans le traité d'amitié en préparation. Mais il est aussi une réalité. Je pense d'abord à ce que font déjà les chercheurs des deux pays, qui ont aujourd'hui l'accès le plus large aux archives de toute la période de la présence française et qui peuvent nous aider à qualifier les faits. Je pense aussi à la réhabilitation des cimetières français d'Algérie, qui fait l'objet d'un programme ambitieux en coopération avec les autorités algériennes, ainsi qu'à la duplication des actes d'état civil des Français rapatriés, qui va bientôt reprendre. Plusieurs centaines d'enseignants qui refusent « l'enseignement d'une histoire officielle » demandent l'abrogation de la loi du 23 février 2005 portant « reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés », plus particulièrement son article 4. Revient-il au Parlement de dire comment les historiens doivent enseigner l'histoire ? Les programmes d'enseignement visés par la loi ne relèvent-ils pas du domaine réglementaire, soit de l'Exécutif ? Cette loi ne contribuerait pas à un apaisement des mémoires. « Une telle loi constitue un obstacle à une intégration paisible dans le respect des différences et sans exclusive ; elle encourage ceux qui réactivent aujourd'hui les réflexes nationalistes et conforte, par contrecoup, ceux qui prônent l'enfermement communautaire des groupes disqualifiés, ainsi interdits de passé », avancent les universitaires qui la récusent. Historiens français et algériens ne devraient-ils pas être encouragés à travailler ensemble dans toute la rigueur et l'impartialité de leur discipline pour rendre compte de la complexité du processus colonial ? Evitons les malentendus : la loi du 23 février a pour principal objet de prendre d'importantes mesures à caractère fiscal et social, qui répondent à des revendications anciennes et légitimes des Français rapatriés d'Algérie et anciens harkis. Elle entend également contribuer au travail de mémoire nécessaire sur la guerre d'Algérie, les combats du Maroc et de Tunisie, tout en laissant naturellement la responsabilité essentielle et première dans ce domaine aux travaux scientifiques des historiens, chercheurs et universitaires, qui doivent pouvoir continuer de travailler dans l'objectivité et la pluralité des points de vue. La loi n'est pas à lire autrement. Je suis tout à fait d'accord avec vous quand vous dites qu'il faut encourager les historiens français et algériens à travailler ensemble dans toute la rigueur et l'impartialité de leur discipline pour rendre compte de la complexité du processus colonial. C'est précisément ce que nous cherchons à faire et souhaitons soutenir à travers le traité d'amitié qui doit être signé cette année. Le partenariat d'exception implique l'amélioration des conditions de circulation des personnes entre les deux pays. Toutes les mesures et dispositions ont-elles été prises en ce sens ? La première richesse de notre relation, c'est sa dimension humaine, forte notamment des apports des populations originaires d'Algérie établies en France. C'est pourquoi la Déclaration d'Alger signée le 2 mars 2003 par nos deux chefs d'Etat comprend l'engagement de favoriser la circulation des ressortissants algériens en France et des ressortissants français en Algérie. Dans le même temps, la maîtrise des flux migratoires est un défi commun, et l'Algérie doit également y faire face. Notre politique d'immigration recherche un équilibre entre la pleine intégration des migrants légaux et l'éloignement des clandestins. La France, comme vous le savez, ne prend pas des mesures seule, mais avec ses partenaires européens de l'espace Schengen. Nous avons effectué de grands efforts en termes financiers et humains pour améliorer la délivrance des visas vers la France dans le cadre des règles de l'espace Schengen. Nous avons réduit les délais de délivrance et développé les visas dits de circulation pour les personnes amenées à voyager fréquemment entre les deux pays. Nous allons faire de nouveaux efforts : les consulats d'Alger et d'Annaba sont en train d'être réaménagés et modernisés de façon à rendre un meilleur service, et dans des délais encore plus courts, aux Algériens qui souhaitent se rendre en France. La réouverture du consulat général d'Oran est également en préparation. « Nos relations avec le Maghreb demeurent plus que jamais une priorité politique extérieure », avait déclaré le président Chirac lors de la clôture de la 12e conférence annuelle des ambassadeurs réunis à l'Elysée. Quel est le contenu de cette priorité ? Les trois pays du Maghreb, avec lesquels nous entretenons des liens humains exceptionnels, au plan des sociétés et des gouvernements, représentent à tous points de vue une priorité de la politique extérieure et de la coopération françaises : sur le plan quantitatif, ils ont représenté 10% de l'aide publique au développement française en 2003 et sont les premiers bénéficiaires (hors annulation de la dette) de notre aide au développement. L'Algérie a compté pour 110,7 M. Cet effort financier sans comparaison avec ce que nous faisons ailleurs est pleinement justifié par l'importance de l'enjeu politique, économique et humain que constitue notre relation avec nos voisins méditerranéens les plus proches. De ces trois pays sont issus la majorité des ressortissants étrangers résidant en France ainsi que plusieurs millions de citoyens français qui y sont nés ou dont les parents y sont nés. Il est fondamentalement dans l'intérêt de la France de contribuer de façon déterminante à la modernisation économique, sociale et politique au Maghreb afin d'assurer paix, justice, sécurité et prospérité de part et d'autre de la Méditerranée et d'éviter que celle-ci ne devienne une zone de fracture. Quelles seront les implications de la Constitution européenne, si elle est votée, sur les relations entre l'Union européenne et les pays du sud de la Méditerranée ? Le traité constitutionnel européen n'a pas d'implication spécifique pour les relations entre l'Union européenne et les pays du sud de la Méditerranée. Mais il est porteur d'un renforcement et d'une plus grande visibilité de la politique étrangère européenne avec, notamment, l'institution d'un ministre des Affaires étrangères de l'Union européenne et la mise en commun des capacités d'action aujourd'hui éparpillées. Cela devrait bénéficier directement à la relation avec nos partenaires méditerranéens, en particulier maghrébins. Quels sont les contours et le contenu de la nouvelle politique européenne de voisinage en cours de discussion au sein de l'Union européenne ? Quels sont les pays concernés par cette nouvelle politique ? L'Algérie en fait-elle partie ? La politique européenne de voisinage concerne naturellement nos « anciens voisins », ceux du Maghreb et de la rive sud de la Méditerranée, ainsi que nos « nouveaux voisins » de l'Union européenne que sont la Moldavie, la Russie, l'Ukraine et les trois pays du Caucase. La politique européenne de voisinage doit permettre de renforcer et d'enrichir le partenariat euro-méditerranéen qui demeure le cadre central et privilégié de la coopération entre l'Union européenne et les pays du sud de la Méditerranée. Il s'agit à la fois de pouvoir faire plus et mieux ensemble, avec des moyens renforcés et de meilleures méthodes. Des plans d'action ont ainsi été adoptés avec plusieurs des pays concernés par la politique de voisinage, qui dressent des priorités de court terme et de moyen terme pour accélérer leur rapprochement vers l'Union européenne. Un plan d'action est également envisagé avec l'Algérie à la suite de l'excellente nouvelle que représente sa toute récente ratification de l'accord d'association signé en 2002 avec l'Union européenne. Que propose la France pour relancer le processus de Barcelone qui, après dix ans d'existence, selon un avis largement partagé, piétine ? La célébration du 10e anniversaire du partenariat euroméditerranéen qui, nous le souhaitons vivement, devrait donner lieu à un sommet des chefs d'Etat et de gouvernement à la fin du mois de novembre prochain est une occasion formidable de relancer cette grande ambition. L'objectif de construire une zone de paix, de sécurité et de prospérité partagée entre peuples de la Méditerranée est plus que jamais pertinent. Pour cela, il nous semble essentiel de travailler à la fois sur les méthodes et le contenu du processus euroméditerranéen. Nous devons ensemble renforcer la dimension partenariale et le caractère paritaire de ce processus, nous fixer des objectifs, nous donner les moyens d'une évaluation conjointe de nos programmes et engager une communication publique plus lisible pour les populations et les sociétés civiles. Nous devons aussi nourrir la dimension politique du partenariat de deux façons : d'une part, en travaillant de façon plus active à la promotion de l'Etat de droit et de l'ouverture politique et au respect des droits de l'homme et des libertés publiques ; d'autre part, en mettant l'accent sur le dialogue politique régional, la promotion du règlement des conflits, les coopérations concrètes en matière de sécurité, de lutte contre le terrorisme, de non-prolifération, de protection civile et de prévention des catastrophes naturelles. Sur le terrain économique, l'objectif est d'encourager un développement durable et créateur d'emplois dans les pays du sud de la Méditerranée. Nous devons accélérer les efforts pour la mise en place de la zone de libre-échange à l'horizon 2010, renforcer l'efficacité des instruments financiers considérables mis à la disposition des pays méditerranéens du Sud, puisqu'ils représentent en 2004 un flux annuel de 3 MDS d'euros à travers les dons du programme MEDA et les prêts de la BEI et améliorer les programmes d'assistance sectorielle, notamment industrielle. Il nous semble essentiel de développer un dialogue économique et financier à haut niveau entre l'ensemble des partenaires. Enfin, nous devons être plus volontaristes sur le troisième volet du processus, qui concerne l'éducation, les échanges entre sociétés civiles et le dialogue des cultures. De nouveaux instruments ont été récemment mis en place. Il faut nous appuyer sur eux, qu'il s'agisse de la plateforme des ONG du forum civil Euromed ou de la fondation Anna Lindh pour le dialogue des cultures.