Saisir le sens des choses du monde pour en rendre ensuite raison, tel est l'enjeu de la science, une formidable aventure intellectuelle qui mobilise l'humanité depuis la plus haute antiquité. Comprendre les ressorts de la science suppose d'explorer à la fois son évolution, son organisation et ses démarches. C'est à la philosophie des sciences qu'a été consacré le dernier café philosophique de la Bibliothèque nationale du Hamma, en marge du Salon national du livre. Ahmed Chebchoub, professeur à l'Université de Tunis, spécialiste en épistémologie et en didactique et auteur de plusieurs ouvrages, avait pour mission de traiter d'un sujet bien particulier : « La philosophie des sciences et son utilité pour le citoyen maghrébin ». A première vue, un thème barbant et surtout inutile dans la vie de tous les jours. C'est ce qu'a décidé de démonter le conférencier. Mais avant de reprendre le cheminement de sa réflexion, commençons par donner quelques définitions. Philosophie des sciences : branche de la philosophie qui étudie les fondements philosophiques, les systèmes et les implications des sciences naturelles et des sciences sociales. Aussi, cette discipline est à rapprocher de l'épistémologie et de l'ontologie, deux domaines à qui elle emprunte beaucoup et pose de nouveaux questionnements. Epistémologie : discipline qui prend la connaissance scientifique pour objet. Et enfin, ontologie : organisation hiérarchique de la connaissance sur un ensemble d'objets par leur regroupement en sous-catégories suivant leurs caractéristiques essentielles. Ou théorie de l'être. Dotés de ces définitions, nous pouvons revenir au thème de la conférence. Le professeur Ahmed Chebchoub a commencé par se poser la question : est-ce que les sciences sont universelles ? A priori, oui. Cependant, les rapports des individus avec les sciences ne sont pas pareils selon qu'on soit Maghrébin ou Européen. Certaines théories largement étudiées en Occident sont totalement rejetées par les musulmans. Le conférencier évoque, ici, les propos de Gaston Bachelard (philosophe français) : « Pour acquérir les sciences, il faut dépasser certains obstacles. » Notamment culturels, voire religieux. Pour qualifier les sciences d'universelles, il faut se pencher sur le rapport consommateurs/producteurs. Le professeur ne se contente pas de commentaires, il avance des chiffres parlants, à savoir les fonds alloués à la recherche scientifique dans différentes régions du monde. Israël : 3,2% du PIB. Japon : 3%. USA : 2,9%. UE : 2,5%. Quant au monde arabe : 0,4% ! Sachant que les Arabes, en général, sont de grands consommateurs des sciences. Le fossé commence déjà à se creuser. Maintenant, à la question de savoir si les sciences se développent de façon linéaire, le professeur avance deux théories. Celle d'Al Djahidh : « Nous avons trouvé plus de connaissances que nos aînés ; et nos enfants trouveront plus que nous avons nous-mêmes trouvés », et Bachelard : « La science a toujours avancé par rupture avec le passé. On connaît toujours, par contre, une connaissance antérieure. » Le fossé semble définitivement creusé. Deux perceptions différentes séparent deux mondes, finalement différents dans leurs conceptions et leurs perceptions des sciences. Comme quoi, le citoyen maghrébin devrait prendre son mal en patience et se poser beaucoup de questions - longuement philosopher - pour atteindre le sommet de la connaissance. « Il n'y a pas de monde si lointain que l'on ne pourrait atteindre, de connaissance si vaste que l'on ne pourrait acquérir. » Peut-on espérer se permettre, un jour, de dire cette phrase de Descartes ?