L'Algérie a besoin d'un projet alternatif. » L'appel est de Mouloud Hamrouche, ancien chef de gouvernement, lancé hier lors d'une conférence au club de la Confédération des cadres de la finance à Alger. L'ex-candidat à l'élection présidentielle de 2004 estime que l'urgence, pour l'Algérie, est de disposer d'« un projet global de modernisation ». Son constat démarre de l'échec des réformes entamées dans le pays et de l'absence de conditions pour l'action politique. « Il y a des urgences pour le pays. Le gouvernement n'en a plus ! », lance-t-il. Selon lui, l'Algérie, en tournant le dos aux véritables réformes, a choisi le statu quo. « Elle a préféré rester dans l'univers de l'économie fermée et administrée. Beaucoup d'intérêts inavoués se sont ligués contre toute réforme et tout changement. En bloquant les réformes sans opter pour une autre alternative, l'Algérie a gâché ses chances », constate-t-il. Hamrouche est irrité par la domination de l'« informel » à tous les niveaux de la sphère économique. C'est simple, « l'informel prime sur l'officiel », dit-il. Au début des années 1990, Mouloud Hamrouche, alors chef de l'Exécutif, avait voulu faire admettre l'idée de « régulariser » le commerce parallèle, ou le trabendo, pour lutter contre les évasions qui en découlent. Cela lui a valu une levée de boucliers du « Parlement » FLN de l'époque. Le trabendo, qui a pris d'autres formes, n'a, pendant plus de dix ans, fait l'objet d'aucun traitement économique pour freiner son développement. « Aujourd'hui, tout se déroule en dehors de la loi. Les gens ont adopté leurs propres actes et reconnaissance. (...) Les opérateurs publics et privés avouent cheminer en dehors des normes établies. Le gros des affaires se traite à la lisière du légal », dit-il. Selon lui, personne ne croit aux vertus de l'économie de production ou du projet industriel. « Plus personne ne s'intéresse à la valeur ajoutée. Personne ne se préoccupe du travail et du marché de l'emploi. Le système fiscal et les charges sociales n'ont plus de signification économique et sociale », constate-t-il. Pour Hamrouche, il existe une ambiguïté dans le mode de pilotage stratégique de la démarche économique. Il relève l'existence d'« un contrôle bureaucratique total » de la sphère économique, y compris dans le privé. Il soulève aussi l'insuffisance des contre-pouvoirs économiques et financiers et « le défaut de contrôle institutionnel ». Hamrouche évoque, dans son analyse, le manque de transparence dans les pratiques commerciales, l'extension des privilèges, l'opacité dans les subventions et l'absence d'une autorité financière. « L'opération privatisation connaît une situation de flottement. Certains, plus sévères, parlent plutôt d'impasse », estime-t-il. Selon lui, la privatisation doit être à l'abri des incursions des « puissants intérêts illégitimes ». « Pour qu'elle soit un succès, la privatisation ne doit pas souffrir d'ambiguïté, d'incohérence ou d'hésitation. Elle doit être claire dans ses préalables... », explique-t-il. Préalables ? « La légitimation des positions économiques et sociales ; des situations de droits et de légalité ; des autorités indépendantes de contrôle ; des gestionnaires identifiés et responsabilisés ; des organes de vérification... », précise-t-il. La privatisation a suscité, selon lui, des convoitises à cause de l'importance des entreprises publiques à vendre. « Faut-il, alors, s'étonner que l'approche de privatisation n'ait jamais été soumise à un examen approfondi ? Et qu'elle soit abordée, sans débats, comme une mesure d'ouverture ? », s'interroge-t-il. Hamrouche regrette que des entreprises publiques ne soient pas capables de détailler leur propre patrimoine. « Certaines n'ont même pas la preuve des biens qu'elles possèdent. (...) La richesse du pays n'est pas identifiable », observe-t-il. Les réformes, d'après lui, ne bénéficient pas d'un consensus « clair et ferme ». « L'Algérie n'est pas en condition d'entamer sa longue marche vers une économie de marché concurrentielle ni de déverrouiller la croissance », déclare-t-il. Selon lui, l'Algérie a même échoué à « assumer » les réformes demandées par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI). Hamrouche critique les justificatifs des officielles qui citent l'Organisation mondiale du commerce (OMC) à chaque décision. « Ils disent, à chaque fois, c'est une exigence de l'OMC. Eh bien, l'OMC, qui est une autorité de régulation, n'exige rien ! », indique-t-il. Et il se demande comment l'Algérie va-t-elle adhérer à cette organisation alors qu'elle n'a pas son propre marché ? « Notre économie ne peut prétendre à la compétition industrielle, financière et commerciale. Elle ne peut profiter des dispositions d'accès au marché puisqu'elle n'a pas de produits à exporter », estime-t-il. Hamrouche, qui ne croit pas à la croissance « boostée » par les décaissements d'argent, pense que le pays doit adopter une autre démarche pour sortir du cercle des « aléas climatiques » et des « conjonctures pétrolières ».