Soixante ans après, les événements du 8 Mai 1945 demeurent toujours aussi vivaces dans les mémoires des rescapés qui ne veulent ni oublier ni tourner aussi facilement la page. Des événements qui n'ont pas livré tous leurs secrets. Des survivants, qui ont pourtant tant souffert des exactions de l'internement et des pires sévices de la torture, pointent le doigt vers l'ingratitude des compagnons de torture d'hier, devenus amnésiques aujourd'hui. Ali Bouras, un Sétifien arrêté le 10 mai 1945, n'arrive pas à briser le mur du silence qui se dresse sur son chemin. La Fondation du 8 Mai 1945, la direction des moudjahidine ainsi que le ministre, sollicité pour une reconnaissance, n'ont pas jugé utile de répondre à cet octogénaire qui ne demande pourtant ni réparation matérielle ou une quelconque licence. L'histoire du citoyen qui s'est rapproché de nos bureaux est celle d'un ex-condamné à la réclusion criminelle à perpétuité, et ce, pour avoir participé un certain 8 mai 1945 à une manifestation pacifique qui s'est transformée en un massacre à huis clos. M. Bouras, qui se remémore fort bien le mardi noir, ne cache pas sa déception vis-à-vis des gestionnaires du dossier des ex-condamnés, ayant pourtant joué un rôle dans ces événements : « En sortant de chez moi, le jeudi 10 mai 1945, à 10 h exactement, un voisin, en compagnie d'un autre colon, procède à mon arrestation. Avant de me remettre entre les mains des gendarmes, les deux tortionnaires ont tenté de me liquider à Oued Bousselam. » Le vieux qui a été interdit de séjour a, dit-il, subi les pires sévices de la torture, et ce, durant les six mois passés au camp d'internement de Sétif. Il fut accusé d'assassinat, le 6 novembre 1945, et le tribunal militaire permanent de Constantine l'a condamné aux travaux forcés à perpétuité. Cette peine a été commuée, des années après, à cinq années de prison. « L'oublié », ayant séjourné dans les maisons d'arrêt de l'antique Sitifis, de Constantine, d'El Harrach et de Berrouaghia ne recouvre qu'une semi-liberté, n'ayant plus le droit de retourner dans sa ville natale. En 1950, « cette interdiction de séjour, qui m'a poussé une année plus tard à partir en France, a été plus dure à vivre que les cinq années passées dans les geôles ». Pour lever toute équivoque, notre interlocuteur motive sa démarche par son désir désintéressé de rétablir certaines vérités occultées par des responsables qui ne veulent reconnaître ces résistants : « Je ne vous raconte pas mon histoire pour qu'on me délivre une licence de taxi ou autre chose, mais pour que les chargés d'un aussi volumineux dossier n'oublient pas les gens, comme moi, qui ont croupi dans les prisons, puis ont été interdits de séjour. Mon message, s'adresse en outre aux historiens et chercheurs qui doivent, à mon avis, prendre en charge le volet des milliers de prisonniers et des disparus qui méritent, plus que les autres, une attention particulière... »