Le sommet des chefs d'Etat de l'Union du Maghreb arabe (UMA), dont les travaux devaient s'ouvrir hier à Tripoli, connaît son premier couac. Le roi du Maroc, Mohammed VI, a rendu publique hier sa décision de ne pas y participer. Il se fera représenter par son ministre des Affaires étrangères, Mohamed Benaïssa. L'annonce du roi marocain risque fortement de compromettre la tenue du sommet de l'union, une organisation déjà malade et pour ainsi dire à l'arrêt depuis une dizaine d'années. Mohammed VI a motivé, officiellement, sa défection en invoquant l'« attitude d'Alger dans l'affaire du Sahara-Occidental ». En réaffirmant sa position en faveur du Polisario, un mouvement en lutte pour l'indépendance du Sahara-Occidental, l'Algérie a pris la responsabilité de compromettre l'opportunité de relance, au plus haut niveau, de l'édification maghrébine », a indiqué, dans un communiqué, le ministère marocain des Affaires étrangères. L'argument du roi du Maroc n'est pas nouveau puisque celui-ci est invoqué à chaque grand rendez-vous de l'UMA. Les raisons invoquées sont, par ailleurs, difficilement recevables sachant que les positions de principe exprimées par le président Bouteflika ne sont pas nouvelles. En ce sens, les motivations du roi du Maroc sont certainement à chercher ailleurs. Mais quoique surprenante, la décision du roi Mohammed VI de ne pas prendre part à ce sommet, qui devait plancher sur une réforme de fond de l'UMA, était quelque peu attendue et prévisible, surtout après les critiques acerbes dirigées le même jour par la presse marocaine à l'encontre du président Bouteflika. Les médias marocains s'en sont pris violemment, en effet, au chef de l'Etat après la réaffirmation, vendredi dernier, par l'Algérie de son appui au peuple sahraoui, à l'occasion du 32e anniversaire de la création du Front Polisario. Dans un message de félicitations adressé au président de la République arabe sahraouie démocratique (RASD), Abdelaziz Bouteflika avait souligné, rappelle-t-on, la détermination de l'Algérie « à œuvrer pour l'édification d'une Union forte (maghrébine, Ndlr) pour servir les intérêts de l'ensemble des peuples de la région, sans se défaire de ses principes, notamment en ce qui concerne votre appui (RASD, ndlr) en tant que mouvement de libération reconnu dans les forums internationaux et, en premier lieu, l'ONU et le Conseil de sécurité ». « L'Algérie soutient cette cause et toutes les autres conformément à la Charte de l'ONU en vue d'aider le peuple sahraoui ainsi que tous les peuples à recouvrer leur liberté et leur indépendance », a indiqué encore le président de la République. Les attaques de la presse marocaine contre le Président algérien sont, mentionne-t-on, intervenues au lendemain de la publication par le ministère marocain des Affaires étrangères d'un communiqué à travers lequel il « déplore vivement les déclarations (...) que l'Algérie à cru devoir exprimer (...) sur la question du Sahara marocain ». La déclaration du ministère marocain des Affaires étrangères, qui marque, pour ainsi dire, la fin de la lune de miel entamée par l'Algérie et le Maroc au lendemain du sommet arabe d'Alger, a appréhendé par ailleurs les positions de l'Algérie comme étant opposées « aux intérêts supérieurs du royaume ». Par la même occasion, Rabat a rappelé aussi son rejet d'un règlement du conflit du Sahara-Occidental s'articulant autour du principe du droit du peuple sahraoui à l'autodétermination, tel que préconisé en avril dernier par le Conseil de sécurité de l'ONU. La plupart des quotidiens du royaume ont publié des articles au vitriol accusant, en effet, le chef de l'Etat d'« entraver l'édification du Maghreb (...) en reprenant une posture d'activiste acharné de la cause du Polisario ». La presse marocaine, qui s'est aussi ingéniée à décrypter le message adressé par le président Bouteflika à son homologue sahraoui comme une « immixtion dans les affaires internes du royaume », franchit le Rubicon en se montrant persuadée que l'Algérie s'emploie à « saboter » et à « empêcher » la réalisation du Maghreb arabe. Le quotidien nationaliste l'Opinion n'a ainsi pas hésité à dénoncer, dans un style qui rappelle la campagne médiatique anti-algérienne menée l'été dernier par Rabat, les « déclarations malintentionnées » du Président algérien qui sont « de nature à torpiller les efforts entrepris pour relancer l'UMA ». Aujourd'hui, le Maroc estime, pour sa part, que le discours de Bouteflika « est de nature à remettre en cause le rapprochement maroco-algérien ». L'attitude de Rabat consistant à ignorer systématiquement la légalité internationale et la décision du souverain marocain de claquer une nouvelle fois la porte de l'UMA, après l'avoir fait à l'occasion du sommet d'Alger de l'organisation, ont pour effet immédiat de faire revenir pratiquement les relations algéro-marocaines à la case départ et de renvoyer aux calendes grecques la refondation de l'union maghrébine. Et ainsi que le montre la violente campagne de presse orchestrée hier contre l'Algérie par le royaume, tout semble indiquer que Rabat n'est pas prêt à aller dans le sens d'une normalisation basée sur des règles du jeu admises par tous et, surtout, profitables à tous les peuples de la région. La tension et le climat d'hostilité permanent entretenus par les autorités marocaines - actuellement aux prises avec une crise économique aiguë et une forte contestation populaire interne - participent à faire perdurer un statu quo pouvant s'avérer, à la longue, dangereux et improductif pour tous les peuples de la région.