Eva Joly, la juge d'instruction la plus populaire en France et en Norvège, dont le nom fait trembler les patrons français pour avoir lutté implacablement contre la corruption, est depuis hier et jusqu'à demain l'hôte de l'Algérie. Plusieurs rencontres avec le président de la République, le chef du gouvernement et des ministres sont au programme de cette visite qui intervient sur invitation du ministre de l'Emploi et de la Solidarité, Djamal Ould Abbas. Actuellement conseillère du gouvernement norvégien, l'invitée fera une virée dans des centres de rééducation et s'entretiendra avec des magistrats et des cadres de l'administration, ainsi qu'avec des membres de la société civile avant de clore son programme avec une conférence de presse. Membre très actif de Transparency International, une ONG internationale qui milite contre la corruption, la juge, née à Oslo, mariée en France, était conseillère juridique d'un hôpital psychiatrique, avant d'être magistrate aux parquets d'Orléans et d'Ivry, en 1983, alors qu'elle n'avait que 38 ans, puis à celui de Paris 1989. Elle sera par la suite détachée au Comité interministériel des restructurations industrielles qui dépendait du ministère des Finances. Eva Joly aura beaucoup de démêlés avec le monde politique et financier en France suite à ses enquêtes sur certaines affaires de corruption. Elle sera décue par l'état de la justice en France alors que le sentiment d'impuissance devant la grande délinquance financière et l'immobilisme de la communauté internationale sur la question des paradis fiscaux l'ont rendue pessimiste. En juin 2003, à la veille du procès Elf, elle sort son livre Est-ce dans ce monde-là que nous voulons vivre ? aux éditions Les Arènes qui a été saisi sur décision en référé du tribunal de grande instance de Paris. Pour Eva Joly, il s'agissait d'une censure. Cette interdiction est intervenue alors que 15 personnalités du monde entier, notamment des magistrats, s'apprêtaient (le 19 juin 2003) à signer une déclaration rédigée par Eva Joly pour dénoncer les effets dévastateurs de la grande corruption et son corollaire l'impunité. La déclaration de Paris, pour faciliter les enquêtes, a prôné la suspension des immunités diplomatique, parlementaire et judiciaire, et l'obligation, pour les institutions financières internationales, d'organiser une traçabilité totale des flux financiers comportant l'identification précise des bénéficiaires et des donneurs d'ordres. Le 17 mai, trois ans après son départ en Norvège, Eva Joly est revenue à la charge en plaidant pour une grande réforme dans la magistrature française et la nécessité de couper les ponts entre les milieux politiques et judiciaires. Eva Joly, auteur de plusieurs ouvrages dont Notre affaire à tous en juin 2000, Korrupsjonjeger en 2001, L'abus des biens sociaux en 2002, a su gravir un à un les échelons du pouvoir et sa façon d'utiliser les médias, ses méthodes de travail peu orthodoxes, son franc-parler et sa force de persuasion ont pendant une décennie terrorisé le monde politico-juridique français. Sa visite en Algérie est la première du genre. Elle n'est pas le fait du hasard. L'Algérie est l'un des pays qui a été pointé du doigt par Transparency International du fait de la corruption, ce fléau qui gangrène les institutions du pays. L'ouverture de nombreux dossiers liés à la criminalité financière dans laquelle de hauts responsables de l'Etat sont impliqués est devenue presque banale et donne souvent l'air d'un règlement de comptes entre clans du pouvoir que d'une lutte implacable contre la corruption.