De la ribambelle de personnalités que M. Bouteflika a congratulées depuis 1999, en plus grand nombre ailleurs qu'ici, Eva Joly n'a pas seulement prénom et nom à charge poétique. Les mots de cette grande dame - magistrat qui a fait trembler des mafieux de tout poil -, dits à l'Ecole nationale d'administration et à la presse, sont œuvre de pédagogie civique. Conseillère spéciale du gouvernement norvégien, ancienne juge d'instruction en France, particulièrement implacable dans la fameuse affaire Elf qui a fait voler en éclats la raison d'Etat du gouvernement Mitterrand, elle applique pleinement le principe de Montesquieu : pour réduire l'abus du pouvoir politique, il faut le diviser contre lui-même, le surveiller ; en jouant de contre-pouvoirs. Ce qu'elle a dit lors de son trop court séjour en Algérie nous donne un change oxygéné de la « communication » à sens unique dominants/dominés que nous infligent les gouvernants ; de leur cage aux mots, euphémismes assénés, bardés de censure et d'autocensure. Fondamentalement, prévient-elle, « les textes sont le royaume des idées où tout est toujours parfait, vous ne pourrez jamais vaincre la corruption, si la société civile ne comprend pas que cette lutte la concerne et qu'il est de son devoir de signaler toute pratique douteuse ». Audit froid de magistrat qui a scruté les arcanes ténébreuses des pieuvres de la mafia internationale, elle souligne que l'Algérie doit intégrer le concert des nations, « pas seulement par la lutte contre le terrorisme mais également contre la corruption et ne plus être une zone noire », en adoptant le principe de « la tolérance zéro » contre les responsables de cette criminalité. Par ces temps où le harcèlement judiciaire redouble de férocité contre des journaux indépendants (y compris, il faut le dire, des pratiques attentatoires à la profession), il est bon d'entendre la juge recommander le principe universel de prendre attache avec la presse. Car « dans une démocratie, il y a la protection des sources des journalistes », précisant que tant en Norvège qu'en France « la plupart des dossiers traités par la justice le sont grâce aux articles de presse ; une presse corrompue est la pire dérive ». Ces mots d'un magistrat chirurgien de la grande criminalité peuvent nous prémunir contre la tentation de nos gouvernants d'exister au-dessus de la société, voire contre elle.