Un vote sans surprise, dira-t-on, tant l'Europe avait envahi les foyers des Français et devenait la réponse à toutes leurs préoccupations. Voire l'explication à tous leurs problèmes. D'ailleurs toutes les franges de la population française qui vit des problèmes d'emploi, et de revenus d'une manière générale, que ce soit les agriculteurs, les pêcheurs ou les ménages qui risquent de perdre leurs acquis face au risque d'ouverture et de privatisation des services publics, se sont exprimées de la même manière, surmontant en tout cas les clivages classiques gauche-droite. Il n'est donc pas étonnant que les Français sanctionnent ce choix, par ailleurs, mal expliqué, en rejetant massivement la Constitution européenne, avec près de 55% des suffrages, infligeant un camouflet à leurs dirigeants. Le non a atteint 54,87% des suffrages, contre 45,13% pour le oui, selon les résultats définitifs annoncés par le ministère de l'Intérieur. La France, un des pays fondateurs de la construction européenne, devient ainsi le premier pays de l'UE à rejeter le traité constitutionnel. Elle pourrait être suivie dès demain des Pays-Bas où le non est également donné majoritaire. Ce refus pourrait s'avérer fatal à la survie du premier texte élaboré à l'échelle du continent pour régir l'UE élargie à 25 membres. Un avis qui n'est pas partagé par tous, puisque des spécialistes, qui considèrent eux aussi avoir fait bonne lecture du texte, estiment qu'il est amendable et qu'en tout état de cause il n'y a pas de vide juridique ou institutionnel puisque le Traité de Nice demeurera en vigueur. Ce qui contrarie les déclarations des plus hautes autorités européennes, lesquelles à l'image du premier ministre luxembourgeois, ont reconnu que « le traité n'est pas mort » sans dire toutefois ce qui le maintient en vie puisque un vote négatif a valeur de veto. Dans une déclaration solennelle, le président Chirac a très rapidement « pris acte » de la « décision souveraine » des Français. Il avait pris l'initiative du référendum alors qu'une ratification par la voie parlementaire était possible. La France « reste dans l'Union » et « continuera à y tenir toute sa place », a-t-il dit, mais ce vote négatif a créé « un contexte difficile pour la défense de nos intérêts en Europe ». M. Chirac a aussi laissé entendre qu'il allait remplacer dans les prochains jours son très impopulaire Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin. Mais prendre acte du choix des Français semble aller aussi loin que le demandent de nombreux dirigeants politiques. A droite comme à gauche, des appels à la démission du président ont été en effet lancés dès dimanche soir, mais le chef de l'Etat avait annoncé à l'avance qu'il excluait une telle option. Que dire aussi des chefs politiques eux-mêmes déboutés par l'électorat de France ? Ils refusent de tirer les conséquences pour eux-mêmes. A l'image du chef du parti socialiste (PS), François Hollande, qui appelait au oui mais dont la formation s'est déchirée durant la campagne et a rejeté la responsabilité de l'échec du oui sur M. Chirac et son gouvernement. L'autre enseignement de ce vote est la forte participation qui avoisinait les 70%, témoignant de la forte mobilisation des Français après une campagne qui a passionné et divisé le pays. Marqués par l'image du plombier polonais comme d'autres avant eux par le maçon portugais, les uns et les autres venant leur prendre leurs revenus, les électeurs sont restés insensibles, dans leur majorité, aux arguments du camp du oui qui mettait en garde contre un isolement de la France, une « panne » de l'Europe, voire une plongée dans le « chaos » en cas de rejet du texte. Le malaise social, le ras-le-bol d'un chômage qui touche 10,2% de la population, la crainte inspirée par un texte souvent perçu comme « trop libéral » et risquant de mettre à mal le fameux « modèle social » français, la volonté de sanctionner les élites, ont pesé lourd dans le choix des Français. Ces Français viennent de divers horizons politiques, et c'est à ces derniers d'apporter les réponses urgentes à toutes ces interrogations. « C'est une majorité de refus et de mécontentement qui a voulu faire connaître sa peur du chômage et sa crainte diffuse d'une Europe élargie, a expliqué le politologue Jérôme Jaffré. Un point de vue largement partagé par la presse française qui considérait hier que ce vote était un échec cinglant en forme de séisme pour le président Jacques Chirac et la classe politique. » Les Français, lit-on aussi, ont désavoué Jaques Chirac, mais aussi la plupart des dirigeants politiques, mais le holà est mis par les mêmes sources pour qui il « importe, pour demain, de cesser d'accuser l'Europe d'être la cause de nos difficultés et, comme ce fut trop souvent le cas, d'en faire un bouc émissaire ». Mais, ajoute-t-on, « ce ‘'non'' signifie quelque part ‘‘changez tout''. (...) Changez cette Europe trop lointaine et trop technocrate (...) Changez cette manière de faire de la politique déconnectée des réalités quotidiennes ». Sauf pour l'Espagne où c'était un oui plutôt enthousiaste, l'incertitude demeure pour les autres membres où l'usure du pouvoir est devenue une évidence, comme l'ont révélé les récentes élections régionales en Allemagne. Où qu'ils soient, les électeurs ont prouvé qu'ils n'étaient pas sourds et qu'ils savaient faire preuve de discernement.