Les émeutes des banlieues françaises semblent faire tache d'huile dans une Europe qui craint la contagion. La violence qui a gagné la province française et s'est accentuée dans la région parisienne n'a pas faibli plus d'une dizaine de jours après son explosion à Clichy-sous-Bois? amenant le gouvernement français à décréter le couvre-feu d'abord, l'état d'urgence ensuite pour certaines régions touchées par les émeutes. Ce qui, à l'origine, avait été une manifestation de colère après la mort de deux adolescents - et aussi contre l'autre violence, la violence policière -, s'est transformée en ras-le-bol généralisé, prenant au fil des jours les allures d'une véritable révolte d'une population déshumanisée, marginalisée, victime des discriminations, frustrée et désespérée face à un avenir qui s'annonce sombre et sans lendemain. Les émeutes des banlieues françaises illustrent en fait le cuisant échec du modèle français d'intégration, un modèle qui a en fait créé ce que le ministre de l'Intérieur français, Nicolas Sarkozy, a qualifié, sans élégance, du terme trivial et méprisant de «racaille». Une «racaille» néanmoins partie prenante du tissu social français. En fait, tout le malentendu du modèle français est résumé dans l'appréciation même que fait le gouvernement français d'une situation sociale qui l'interpelle gravement. De fait, le gouvernement et une partie de la société française, ne semblent pas avoir compris le phénomène de ces banlieues qui brûlent, préférant rejeter sur les émigrés le développement -devenu incontrôlable - de la situation comme d'user de la facilité du recours à la manière forte plutôt que de tenter de comprendre les soubassements de cette révolte, ses tenants et aboutissants afin d'apporter à la crise actuelle le remède approprié. De fait, en privilégiant la force, les dirigeants français font un aveu d'impuissance et confirment l'impasse dans laquelle ils se sont eux-mêmes fourvoyés. Ainsi, le président Chirac n'a pas eu les mots justes en direction de cette jeunesse émigrée désorientée et désespérée, mais annonça, a contrario, un nouveau renforcement de «l´action de la police et de la justice» choisissant de la sorte de ne pas resituer ce ras-le-bol dans son contexte réel qui est celui d'un appel au secours d'une émigration marginalisée en terre française. La réaction, qui se voulait musclée des autorités françaises, confirme en fait le déficit d'écoute, de la part des pouvoirs publics français, des pulsions de cette partie de la société française -ghettoïsée dans les no man's land des banlieues - et leur incapacité à répondre aux demandes et besoins de cette catégories de «Français» de seconde zone. De fait, le (s) problème (s) de l'immigration n'est (ne sont) pas un problème spécifiquement français, mais bien une affaire européenne comme l'on montré les émeutes de Birmingham en Angleterre au début du mois d'octobre et, surtout, les émeutes de l'enclave espagnole de Melilla où il y a eu la mort d'une dizaine d'Africains qui essayaient de gagner le continent européen, qui reste aux yeux de ces damnés de la terre «l'eldorado» et le «paradis» promis alors qu'à l'évidence la réalité est tout autre. Beaucoup de ces «Européens» d'origine africaine et asiatique, souvent parqués dans des quartiers à part, - en réalité des « réserves » qui ne disent pas leur nom -, n'ont pas trouvé dans les pays d'accueil en Europe les conditions adéquates pour s'adapter au mode de vie de leur pays d'adoption. Les attentats commis le 7 juillet à Londres par des Britanniques d'origine asiatique (émigrés pakistanais de la troisième génération) en attestent largement. De fait, l'Europe n'a en vérité rien à offrir au moment où le racisme, la xénophobie et le rejet de l'autre ne cessent de se développer dans cette Union européenne qui se barricade aujourd'hui dans ses murs après avoir exploité hier jusqu'à l'épuisement, les richesses du continent africain, notamment, drainant vers l'Europe, en sus de ses matières premières, ses matières grises, privant ainsi l'Afrique de cadres qui auraient pu la sortir de son sous-développement, de créer du travail pour ses enfants. Ce qui, à tout le moins, aurait rendu sans objet l'émigration vers l'Europe. En fait, la responsabilité de l'Europe est grande dans ce qui apparaît de plus en plus comme un cercle vicieux, une quadrature du cercle créée essentiellement par la colonisation qui a, pour ainsi dire, émasculé le continent africain, singulièrement, en le rendant inapte à nourrir, instruire et construire un avenir pour ses enfants. Un avenir que des cohortes d'Africains et de Maghrébins tentent de trouver dans une Europe qui se ferme de plus en plus devant eux. En fait, la problématique de l'immigration constitue depuis plusieurs mois déjà le dossier récurrent pour l'Europe des 25 qui a mis en oeuvre de véritables arsenaux juridiques afin de juguler l'immigration et rendre ses frontières étanches. D'ailleurs, les émeutes cycliques qui secouent des pays européens repus qui, - peu ou prou, ont exploité jusqu'à l'usure une main-d'oeuvre africaine et maghrébine serviable et corvéable à merci - ont constitué pour l'UE un signal fort sans que, pour autant, celle-ci l'analyse correctement ou le prenne pour ce qu'il était en fait, jusqu'à ce qu'il y ait des explosions comme celles de Birmingham, Melilla et Clichy-sous-Bois. La France a échoué dans son modèle d'intégration de cette frange de la société, les autres pays européens n'ont guère fait mieux à l'image de l'Allemagne, de l'Italie ou de la Belgique où une telle explosion peut survenir à n'importe quel moment. D'où la crainte de contagion de ce qui se passe en France exprimée par plusieurs responsables et analystes européens et que résume l'analyste britannique, Aurore Wanlin, du Centre for European Reform de Londres, qui estime que «le modèle français ne protège pas ceux qui ne font pas déjà partie du système». La crainte du syndrome des banlieues françaises est aussi répercutée par Mirjam Dittrich, de l´European Policy Centre basé à Bruxelles, qui s'interroge: «La grande préoccupation est de savoir s´il peut y avoir un effet de contagion dans d´autres pays européens.» Le phénomène migratoire est devenu en fait un problème européen. Les 25 tentent de maîtriser l'immigration en multipliant les rencontres et réunions sur le sujet. Ainsi, le 4 novembre, au moment où les banlieues françaises étaient en effervescence, se tenait à Toulouse (sud-ouest de la France) une réunion regroupant les pays du sud de l'Europe, lors de laquelle ces derniers se sont engagés à «agir de concert pour maîtriser» l'immigration clandestine et de mettre en place «une politique de codéveloppement avec l'Afrique». Le chef de la diplomatie française, Philippe Douste-Blazy, a ainsi affirmé: «Nous avons réitéré notre volonté d´agir ensemble pour que ne se répètent pas de nouveaux drames humains». Sans doute, mais bien après que la situation fut devenue ingérable. M.Douste-Blazy a également évoqué l'idée de créer, - lors de cette réunion à laquelle participaient ses homologues de Chypre, de Grèce, d'Espagne, d'Italie, de Malte et du Portugal -, «un groupe de travail restreint UE-Méditerranée-Afrique sur l´immigration, avec la Commission (européenne), qui serait chargée de faire des recommandations sur les moyens de renforcer la coopération». Mais n'est-ce pas un peu sur le tard que l'Europe songe (enfin?) à associer l'Afrique à la résolution de la question des immigrés quand les Européens n'ont rien fait dans leur propre pays pour faciliter l'intégration de ces travailleurs dont l'Europe, vaille que vaille, ne peut se passer pour son développement global et aussi, faut-il le souligner, pour le maintien à un niveau acceptable du taux démographique d'une Europe qui a de la peine à renouveler sa population? Comme hier, quand les émigrés participèrent à la reconstruction de l'Europe, l'avenir de ce continent est inextricablement lié au devenir d'une immigration qui a largement contribué à configurer le visage de l'Europe contemporaine.