Après avoir longtemps tenu la dragée haute au dollar, l'euro, la monnaie unique européenne, perd de la vitesse après les derniers développements politiques. L'expression franche d'un non à la Constitution européenne en France et aux Pays-Bas a porté un coup au symbole de l'Union européenne (UE) au point de remettre en cause l'existence même de la zone euro. L'euro est en train de vaciller face au billet vert malgré la persistance des éléments qui avaient été à l'origine de sa progression. La monnaie européenne a été en effet dans l'impossibilité de profiter du faible taux de création d'emplois aux Etats-Unis où seuls 78 000 ont été créés en mai contre 274 000 en avril. Ce qui représente le plus faible niveau en 21 mois. Les économistes tablaient sur un chiffre compris entre 175 000 et 180 000. L'euro s'échangeait à 1,2228 dollar américain vendredi, en fin de journée. Cette situation a donné lieu à des idées plutôt surprenantes, notamment en Italie où un ministre du gouvernement de Berlusconi n'a pas trouvé mieux que de proposer lundi dernier la création d'une nouvelle monnaie nationale. Le ministre des Réformes, Roberto Calderoli, puisque c'est de lui qu'il s'agit, a suggéré de créer une lire qui serait liée au dollar. Il a critiqué dans la foulée la Commission de Bruxelles qui a épinglé l'Italie, contre laquelle elle s'apprête à déclencher une procédure pour déficit excessif. « Nous étudions avec des économistes et des experts de droit européen ce qu'on doit faire. Il n'y a pas seulement l'hypothèse d'un retour à la lire. Nous pensons également à la double circulation. Nous pourrions aussi imaginer une nouvelle monnaie - la Lire avec un L majuscule - liée au dollar », a déclaré le ministre dans une interview au quotidien La Republica. M. Calderoli, membre du mouvement populiste et antieuropéen de la Ligue du Nord, a failli provoquer une crise politique dans son pays après avoir lancé des piques contre le chef de l'Etat italien, Carlo Azeglio Ciampi, lorsque ce dernier a défendu l'Europe et l'euro. Il a fallu que le chef du gouvernement, Silvio Berlusconi, intervienne pour rappeler à l'ordre ses ministres. Recul Reste que l'avenir de la monnaie unique européenne est désormais assombri. D'après les économistes de la banque Tokyo-Mitsubishi, « le rejet écrasant de la Constitution de l'UE en France et aux Pays-Bas a plongé la zone euro dans le chaos », affectant la confiance des investisseurs dans l'euro. Si pour le moment la devise européenne tient le coup, elle reste vulnérable. Son repli, après les propos du ministre italien, démontre sa fragilité dans un marché acquis à la monnaie européenne. Les analystes y voient un signe avant-coureur d'une chute. « La réaction négative très aiguë, quoique très brève, de l'euro (vendredi matin) est un signe que le marché reste nerveux (...), et qu'il demeure vraisemblablement une marge de manœuvre pour une capitulation et un recul de l'euro à court terme », a résumé Steven Englander, économiste à la banque Barclays Capital. Dans une telle conjoncture, des voix se sont élevées pour critiquer le fonctionnement de l'union monétaire faisant monter au créneau des personnalités comme Jean-Claude Trichet, président de la Banque centrale européenne, ou d'Otmar Issing, son chef économiste, pour dénoncer ces rumeurs comme « absurdes » et « démagogiques » et « complètement exagérées ». D'après Julien Seetharamdoo, économiste au cabinet Capital Economics, la seule évocation de cette hypothèse « à fort impact et à faible probabilité » a suffi à causer le mal et à semer le doute, laissant l'euro en position très fragile.