Le gouvernement n'a, depuis vingt-deux ans, jamais rendu compte à l'Assemblée », a souligné, hier, Ahmed Guerza, député FLN, dans l'hémicycle Zighoud Youcef, à Alger. L'occasion ? La présentation du projet de loi relatif à la prévention et à la lutte contre la corruption a été faite dans la matinée par le ministre de la Justice et Garde des Sceaux, Tayeb Belaïz. L'objectif de cette loi, première du genre, est de « lutter contre ce fléau qui constitue une grave menace tant pour la démocratie et la stabilité sociopolitique des pays que pour le développement durable », a expliqué le ministre dans son exposé. Il a attesté de la volonté politique de l'Etat traduite par les réformes engagées et par des mesures dont le le but est de moraliser la vie publique et d'introduire plus de transparence dans la gestion des affaires. Ahmed Guerza a ajouté, dans son intervention, que « l'APN n'exerce pas sa mission de contrôle de l'action du gouvernement ». Droit consacré par la Constitution dans son article 99. « Cette disposition constitutionnelle n'a pas été appliquée », a-t-il regretté. Idem pour les dispositions de la loi 87-17 qui réaffirme la mission de contrôle de l'Assemblée. « La confiance, c'est bien. Mais le contrôle, c'est mieux », a poursuivi M. Guerza. Ce député du parti majoritaire a qualifié cette loi de « chèque en blanc ». Plus précisément de l'encre sur papier. Selon lui, si l'on veut en découdre avec ce fléau, il faudra « mettre fin à l'obstruction au droit de contrôle » et restituer à l'Assemblée « son droit de regard sur les capitaux marchands, les banques... ». Ahmed Dane du MSP (parti membre de l'Alliance présidentielle) a indiqué que la corruption « est un problème de l'Etat ». Il a précisé que les lois de la République ont, depuis l'indépendance, réprimé la corruption, soulignant au passage la création de l'Office national de la prévention et de la lutte contre la corruption, qui a été ensuite dissous. A ses yeux, il faut appliquer l'islam et assurer la légitimité et la transparence des élections pour avoir raison de ce fléau. Il a insisté également sur le rôle de l'Etat dans la protection de la presse qui constitue un instrument on ne peut mieux dans la lutte contre les maux sociaux et la corruption. « Mais au lieu de cela, on voit que le journaliste se retrouve souvent devant les tribunaux pour avoir dénoncé une affaire douteuse », a-t-il regretté, tout en avertissant contre l'utilisation de l'argument de lutte contre la corruption à « des fins partisanes ou pour porter atteinte à un autre parti ». Message codé adressé au chef du gouvernement, connu pour avoir dirigé la première campagne « mains propres » à l'époque de Liamine Zeroual (1996-1997). Djeloul Djoudi du Parti des travailleurs (PT) lie la prolifération de la corruption au choix de la politique économique. Ainsi, pour y faire face, il conseille le gouvernement de revoir d'abord son approche économique, car il se dit convaincu que les poches de la corruption se sont multipliées à la faveur de l'ouverture économique au privé. Sabah Bounour, vice-présidente du groupe FLN, a averti contre une lutte sélective, qui toucherait uniquement une catégorie de personnes pour « leur appartenance politique, sinon pour des luttes d'influence ou d'intérêt à tous les niveaux ». « Il faut veiller à ce que cette loi ne soit pas un prétexte pour des opérations de règlement de comptes. La lutte contre ce fléau devra s'inscrire dans la durée et il faut que ce soit un effort quotidien et durable », a-t-elle souligné. Elle s'est en outre demandé si la décision du gouvernement d'instituer une nouvelle instance de prévention et de lutte contre la corruption ne s'inscrit pas dans la logique de remplacement de la Cour des comptes amputée de ses prérogatives et dont les activités sont pratiquement gelées depuis plus de deux ans. Elle s'est interrogée sur « les prérogatives attribuées à la nouvelle instance », tout en évoquant la suite donnée à l'affaire Khalifa sans omettre de citer au passage le scandale des 26 milliards de dollars. Disparités salariales Elle a demandé également que l'Assemblée sache comment est géré le Fonds de régulation des recettes, et les réserves de changes qui s'élèvent à 46 milliards de dollars. Un autre député du PT a axé son intervention sur la rémunération des fonctionnaires et autres agents de l'Etat. Pour l'exemple, l'intervenant a cité les disparités salariales énormes existant entre les cadres algériens et les étrangers travaillant pour le compte de l'Algérie ou dans le pays. « Un ingénieur algérien travaillant pour le compte de l'Etat touche un salaire de 15 000 DA/mois, alors qu'un étranger ayant les mêmes qualifications touche 18 000 DA/jour », a-t-il indiqué. Un député du FNA (parti jeune ayant huit députés à l'Assemblée) a relevé une erreur dans la définition de l'agent public en logeant à la même enseigne le législateur, le judiciaire et l'administrateur. « On ne peut considérer une personne disposant d'un mandat législatif ou judiciaire comme un agent de l'Etat », a-t-il attesté, suggérant au ministre de revoir la terminologie employée. Abdelkrim Dahmane du MSP s'est interrogé sur l'existence ou non des moyens nécessaires pour rendre cette lutte effective sur le terrain. « Car, ajoutera-t-il, il ne suffit pas de légiférer, mais il faut plus de rigueur dans l'application de la loi. » Il a attesté, en outre, que « le système politique favorise la corruption ». Lui aussi a appelé à assurer plus de protection aux témoins et aux journalistes. Le député Khaled Benaïssa du FLN a souligné le fait que le projet de loi s'est contenté, dans ses articles allant de 25 à 56, de l'incrimination et de la pénalisation. Ainsi, il dira au ministre s'il n'est pas judicieux d'amender le code pénal en lui intégrant les articles relatifs à la lutte contre la corruption au lieu de faire toute une loi contre ce fléau. Il a interpellé également le ministre sur « l'utilité de mettre en place une instance chargée de combattre la corruption sachant qu'il y a eu auparavant la création d'instances de lutte similaires qui n'ont jamais atteint les objectifs assignés ». Il a, de son côté, demandé au ministre ce qui a poussé ou motivé le gouvernement à choisir cette période (ou conjoncture) pour présenter ce projet à l'APN. Conjoncture marquée, selon lui, par « une campagne adressée contre des hauts fonctionnaires de l'Etat qui nous fait rappeler la campagne mains propres durant la décennie passée ».